2:14, c’est le décompte d’une journée à travers le récit en chassé-croisé de cinq personnages, dont les destins s’entrechoquent. Au milieu des discours fragmentés — parfois drôles, parfois graves, toujours surprenants — un sixième personnage, une femme-hirondelle, détonne. Au fil des révélations, une histoire commune apparaît au compte-gouttes. Celle de 2 h 14. Tragique. Irrévocable. Inexplicable.
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Scénographie : Clélia Brissaud
Éclairages : Tommy Chevrette
Chorégraphies : Caroline Laurin-Beaucage
Conception sonore : Maxime Leduc
Conception costumes : Marilyne Roy
*Ce concours, créé par la Maison Théâtre, l’Option-Théâtre du Collège Lionel-Groulx et le Centre des auteurs dramatiques (CEAD), vise à stimuler l’émergence d’une relève en théâtre jeune public.
Une rencontre avec les artistes aura lieu le samedi 9 février, après la représentation de 15 h.
Cartes Prem1ères
Date Premières : toutes les représentations
Régulier : 18,40$
Carte premières : 9,20$
Une création de Ad Vitam
par David Lefebvre
Lauréat du prix Le théâtre jeune public et la relève en 2009, 2 :14, la deuxième pièce de David Paquet (Porc-épic, Rouge Gueule) avait été présentée à quelques reprises en 2010. Croyant au projet, Sophie Côté, Mara Joly et Martine Pype-Rondeau, finissantes de Lionel-Groulx, créèrent la compagnie Créations Ad Vitam ; deux ans plus tard, la Maison Théâtre ouvre une deuxième fois ses portes et accueille la création au sein, cette fois-ci, de sa programmation régulière - une première pour une pièce ayant obtenu ce prix.
Il y a d’abord Pascale (Martine Pype-Rondeau) qui ne veut pas être une tortue mais une hirondelle, sortant toujours avec son masque d’oiseau. Puis Berthier (Julien Lemire), premier de classe qui ne désire qu’une chose, un baiser, une caresse, l’amour. Il y a Katrina (Mara Joly), expulsée de son école pour avoir tabassé un professeur ; éprise d’une furie incontrôlable, elle désire le montrer à la face du monde et se fait tatouer une panthère sur le ventre, qui se transformera de lui-même, malgré elle. Il y a François (Félix-Antoine Tremblay), qui passe du rêve à la réalité au travers mille portes, et qui tombe amoureux d’une septuagénaire, voisine de lit de sa grand-mère hospitalisée. Il y a Denis (David Blais), professeur de français, qui n’a que le goût du sable dans sa bouche depuis quelques semaines. Il y a Jade (Guenièvre Sandré lors de la première, en alternance avec Florence Lonpré), qui compte dans ses cahiers plus de 32 887 marques se rapportant à toutes les insultes de « grosse » dont elle a été victime. En regardant un reportage sur le ver solitaire, elle voit soudainement en ces bestioles une possibilité de maigrir. Rendue mince, donc belle aux yeux des garçons, elle sombre dans un besoin effréné d’effacer tous les x de ses cahiers en embrassant et baisant tous les hommes qui veulent bien d’elle. Et il y a Charles, fils de Pascale, animateur de la radio étudiante, dont on ne connaît que trop peu de choses, mais qui viendra faire éclater à jamais toutes ces vies et celles des spectateurs. À 2h14, tout a basculé.
Par sa forme fragmentée, soit de petites scènes proposant des bouts d’histoire touchants, drôles, poétiques, surréalistes, 2 :14 marque lentement, mais de façon indélébile l’esprit du public. On se laisse charmer par ces adolescents et cette mère, on assiste aux différents changements psychologiques et physiologiques de chacun – Berthier joue à l’aveugle dans la rue pour sentir le contact des autres, Katrina se fait marquer à l’encre, Jade devient l’hôte de parasites pour modifier son apparence, Denis tente de comprendre pourquoi il ne goûte plus rien, François se drogue depuis qu’il a rencontré Henriette, Pascale se cache sous son masque – jusqu’à ce qu’ils prennent une décision pour recréer l’équilibre dans leur vie. Mais celle-ci ne connait pas la justice. Elle ne se soucie guère de nos choix, de notre état d’âme. Arrive l’impensable : la violence brutale, surprenante, les cœurs et les corps qui éclatent, le geste désespéré d’une personne qui entraine toutes les autres.
Claude Poissant insuffle à cette production une grâce, un rythme soutenu, un souffle rock n’ roll sans être trash. On sent tout l’amour qu’il porte à ces personnages, marqués et marquants. Avec une simplicité désarmante et beaucoup de respect, on entre au cœur de leurs rêves, de leurs pensées, de leurs fantasmes, parfois crus, parfois directs, mais toujours vrais. Les personnages passent du réalisme au surréalisme sans heurts, grâce au jeu des comédiens, très physique (chorégraphies de Caroline Laurin-Beaucage), et aux éclairages de Tommy Chevrette, teintant ici un récit, isolant là un moment plus intime. Lors de la première, le public adolescent a d’ailleurs réagi fortement au cours de quelques scènes, dont lors d’une réplique et d’un baiser qui en a fait fondre plus d’une, et lors d’une jouissante montée de lait de Denis contre son conjoint qui ne pense qu’à son bureau. Mais tous ont été soufflé par le dénouement, l’heure fatale, puis cet élan dansant d’un continental rassurant, ébranlant, durant lequel l’espoir lutte contre la tristesse, pas après pas.
Cette pièce ne reflète pas l’actualité, elle est l’actualité. 2 :14 n’aurait pas pu être présentée à un meilleur moment. L’auteur indique dans le programme qu’il aurait préféré ne pas écrire ce spectacle, mais que, parfois, la réalité nous laisse pantois, que l’on doit donner un sens à ce qui nous échappe, et qu’une parole doit s’élever. Il en a préconisé six, six voix, celles de la vie, celles de Jade, François, Denis, Katrina, Berthier et Pascale, qui ne doivent jamais se taire, malgré ce qu’elles ont subi. Que « l’histoire soit plus grande que leur absence ». Poignant, saisissant, nécessaire.
2 :14 est publié chez Leméac Actes Sud.