Depuis que sa meilleure amie est partie découvrir le monde, Flé est impatiente de dépasser elle aussi ses horizons. Or, à Sainte-Inertie-de-l’Énergie, il n’y a rien à vivre, le plus extraordinaire qui puisse survenir étant le passage de trois clients en moins de cinq minutes à la pompe à essence du village… Oui, pour grandir, il faut s’éloigner, sortir du bocal où nous enferment les traditions. Inspirée par le voyage que fit Che Guevara en Amérique du Sud et qui l’incita à changer le monde, Flé convainc sa bande de partir vers la Ville en rouge. Celle que même les parents n’ont jamais atteinte. Tous feront en route leurs découvertes, sur eux-mêmes, sur les autres, sur l’amitié. Tous révolutionneront à leur manière leur vie. L’important n’est pas toujours la destination, mais le chemin emprunté…
Ce spectacle tout en mouvement nous parle autant des frontières physiques que de celles que nous franchissons à l’intérieur de nous pour réaliser nos rêves. Se déployant tel un road movie, La Ville en rouge nous emporte dans son sillage. Marionnettes, ombres chinoises, animations et projections visuelles nous font passer, avec les comédiens, de l’ici à l’ailleurs, du petit à l’infiniment plus grand.
Publié chez Lansman Jeunesse en 2012, le texte de Marcelle Dubois est porté par l’énergie de la rencontre entre Martin Genest et Pierre Robitaille, codirecteurs artistiques du Théâtre Pupulus Mordicus, et les artistes du Théâtre du Gros Mécano et du Théâtre populaire d’Acadie. Le Gros Mécano crée depuis 1976 des spectacles accessibles et émouvants, dont plusieurs ont marqué l’imaginaire de générations d’enfants ici et à l’étranger. Présentée récemment à la Maison Théâtre, La librairie a remporté un grand succès de cœur. La Ville en rouge a valu à Pierre Robitaille le prix Jacques-Pelletier, dans le cadre de l’édition 2012 des Prix d’excellence des arts et de la culture, pour la conception des marionnettes et des maquettes.
Section vidéo
Assistance à la mise en scène : Katia Talbot
Marionnettes et maquettes : Pierre Robitaille, assisté de Vano Hotton
Scénographie et éclairages : Christian Fontaine
Musique originale et environnement sonore : Jean-François Mallet
Costumes : Sébastien Dionne
Crédit photos : Louise Leblanc
Rencontre avec les artistes : 27 avril
Durée 60 minutes
Une création du Théâtre du Gros Mécano
Dates antérieures (entre autres)
29 avril et 6 mai 2012 - Les Gros Becs (Québec)
par Olivier Dumas
Coproduction du Théâtre du Gros Mécano de Québec et du Théâtre populaire d’Acadie, La Ville en rouge arrime réflexion et aventure sous une signature palpitante.
Dans le septième cahier de ses Carnets, Albert Camus écrit à propos d’Oscar Wilde: « Il a voulu mettre l’art au-dessus de tout. Mais la grandeur de l’art n’est pas de planer au-dessus de tout. Elle est au contraire d’être mêlé à tout ». La plume de Marcelle Dubois s’illustre elle aussi par sa capacité à intégrer des questions existentielles vécues par des adolescents et adolescentes de toute époque. Malgré quelques maladresses d’écriture, les dilemmes exposés sur scène par le quintette de personnages ont fait réagir à plusieurs reprises les jeunes spectateurs et spectatrices de la Maison Théâtre.
Pendant un peu moins d’une heure, la pièce aborde de manière crédible et poétique (nous sommes loin de certaines histoires moralisatrices de romans ou fictions télévisuelles) le quotidien d’une bande d’ami(e)s. Flé, son frère Léo, Patty et Minus s’ennuient dans la lointaine petite ville de Sainte-Inertie-de-l’Énergie. Trop grands pour les sages jeux enfantins et trop petits pour être pris au sérieux, ils recherchent des péripéties palpitantes. Flé s’ennuie depuis le départ de sa meilleure amie, qui lui écrit des cartes postales à les rendre jaloux, loin de tout ce qui peut être excitant. Alors qu’elle dévore le récit de voyage à motocyclette en Amérique du Sud d’Ernesto Guevara, surnommé le Che, (périple que l’on peut voir dans le touchant long-métrage Carnets de voyage de Walter Salles), elle convainc sa bande de partir en cachette pour la Ville en rouge, un lieu synonyme pour eux de toutes les libertés et point d’ancrage d’une révolution à venir, celle de s’affranchir, de se libérer, de découvrir qui ils sont.
Directrice appréciée du Festival Jamais Lu et auteure de pièces de théâtre, Marcelle Dubois démontre ici une perspicacité audacieuse dans le choix de la figure du Che pour témoigner du désir de rébellion et d’émancipation de garçons et filles. Avec son célèbre béret présent sur d’innombrables t-shirts de vrais ou de faux révolutionnaires, le portrait du personnage adulé et controversé de l’imaginaire collectif du 20e siècle (et même du 21e siècle) dépasse largement ses idées revendicatrices. Il a de plus inspiré autant de chansons (dont Hasta siempre de Carlos Puebla et la jolie Guevara interprétée par Renée Claude) que des réalisateurs, dont Steven Soderbergh et Richard Fleischer. Des célébrités comme Cher et Madonna ont également porté le couvre-chef (parfois malheureusement par récupération mercantiliste). Nous nous retrouvons ainsi à des années-lumière du héros consensuel, mièvre et tranquille.
Sans donner de précises références biographiques, la dramaturge nous fait apprécier son humanisme universel et intemporel de ses écrits prérévolutionnaires sans verser dans la mièvrerie, le didactisme ou le manichéisme. On sent tout de même une réflexion intérieure, alors que l’auteure, native du Témiscamingue, devait bien rêver de sa ville en rouge, Montréal. Le public constate aussi les dangers de tout projet révolutionnaire lorsque la cause devient trop idéologique et qu’elle s’éloigne de ses objectifs libérateurs initiaux. Souvent associée aux contestataires, la couleur rouge permet à l’auteure de jouer à la fois sur un niveau métaphorique et d’ancrer son univers dans le réel avec toutes ses aspérités.
La sensibilité de Marcelle Dubois demeure particulièrement foisonnante et frissonnante durant la première demi-heure du spectacle. Ses descriptions sensibles du vécu de ses protagonistes, avec un dosage d’émerveillement et de désarroi, et de la nature expriment une grande tendresse envers le genre humain et une empathie palpable pour sa société. Par exemple, l’attachement un peu macabre de Minus pour sa grenouille, ou encore la ferveur de Patty pour remplacer la meilleure amie de Flé rendent ses créatures encore plus attendrissantes, loin des archétypes ou clichés. La psychologie de la préadolescence est bien cernée par ses ambivalences quant au désir de s’émanciper de son univers familial et familier tout en vivant la peur de se retrouver le bec à l’eau devant un possible revers. Les apparitions sporadiques d’adultes parfois moralisateurs (un surveillant d’école, deux mères au téléphone) accentuent le clivage entre l’envie d’une existence affranchie des règles préétablies et le ridicule des dogmes rassurants.
Par contre, l’histoire perd légèrement de son élan vers la fin. L’arrivée d’un cinquième mousquetaire plus âgé, Galy, laisse présager un dénouement moins harmonieux que dans la majorité des productions jeune public. Le ton devient plus sombre. En fin de parcours, l’auteure donne l’impression de vouloir exprimer plusieurs enjeux, dont le sentiment amoureux, sans se laisser le temps de les approfondir. Quelques pistes élaguées ou quelques minutes supplémentaires permettraient un dosage plus harmonieux. Par ailleurs, la pièce se termine abruptement, en queue de poisson. Une simple réplique ou une image lyrique forte rectifieraient le tir sans problème.
La mise en scène de Martin Genest apporte une dimension ludique à ce récit initiatique. Les transitions entre les différents lieux de l’action (dont l’ingénieux plateau tournant) sont amenées habilement, en plus d’être portées par la musique apaisante composée par Jean-François Mallet. La présence de marionnettes du Théâtre Populus Mordicus (compagnie codirigée par le metteur en scène) ajoute une dimension agréable pour les yeux. Toutefois, les nombreuses projections vidéo paraissent superflues et anecdotiques. L’illustration des principales actions par des dessins animés semble ici un choix plus discutable. Les mots éloquents de Marcelle Dubois contiennent en eux toute la richesse nécessaire pour faire jaillir les images dans la tête du public, souvent plus fortes que de simples reproductions visuelles.
Les enjeux soulevés par La Ville en rouge trouvent ici une superbe rigueur dans le rythme et l’énergie de la distribution. La plus grande réussite demeure sans contredit ses remarquables acteurs et actrices. Joanie Lehoux (en alternance avec Guylaine Jacob dans le rôle de Flé), Israël Gamache, Pierre-Olivier Grondin, Annik Landry et Sylvain Ward incarnent avec un naturel désarmant les espoirs, inquiétudes et révoltes fragiles de ces personnages plus vrais que nature, sans emphase ou simplisme niais.
« Mourons pour des idées, d’accord, mais de mort lente », chantait Brassens. Souhaitons qu’après les représentations, nos héros de La Ville en rouge susciteront chez les petits et grands enfants des discussions sur le sens de l’engament et de la liberté, un acte révolutionnaire en soi.
par Magali Paquin (2012)
Un été qui s’annonce comme les autres à Sainte-Inertie-de-l’Énergie. Blasée de flâner derrière le garage du village, Flé convainc son frère Léo et ses amis Paty et Minus (Joanie Lehoux, Sylvain Ward, Annik Landry, Israël Gamache) de fuir leur quotidien étouffant pour partir vers la Ville en rouge, ce lieu mythique où toutes les aspirations se réalisent. Inspirée par Che Guevara et ses Carnets de voyage, la jeune fille entraîne ses amis dans un périple « révolutionnaire » qui ne suit toutefois pas le déroulement prévu. Ce qui se voulait au départ une quête d’aventure se transforme en quête d’identité pour les membres du groupe, auquel se greffe sur la route un cinquième compère (André Robillard).
Cette pièce, qui se présente comme un « road movie » (ou plutôt un « road theater ») pour l’enfance, donne peu de temps pour souffler. La mise en scène dynamique de Martin Genest s’appuie principalement sur un décor fait d’une plate-forme circulaire pivotante divisée par un écran, permettant sa modification en coulisse pendant que l’action occupe le devant de la scène. Et changements de décor il y a en quantité, bien que ces derniers soient pour la plupart virtuels. Les différents lieux d’action sont en effet identifiés par une projection vidéo qui ne laisse pas place à l’équivoque… ni à l’imagination, car l’excès d’éléments figuratifs atténue la magie propre au théâtre, lorsqu’avec de petits riens on construit un grand monde. Ces décors virtuels ont pourtant une origine bien concrète, puisqu’ils s’appuient sur de magnifiques maquettes que l’on retrouve simultanément sur scène mais qui, malheureusement, ne sont pas exploitées à leur plein potentiel. Le recours à la vidéo trouve cependant son sens lorsqu’il s’agit d’illustrer les rêves et les ambitions des « enfants de la révolution ». On y perçoit alors la touche du Théâtre Pupulus Mordicus, bien connu pour son travail avec les marionnettes. Les personnages livrent également leurs réflexions en s’adressant à la caméra, mais le concept reste à peaufiner, notamment pour synchroniser l’image aux paroles.
La représentation de presse était la première devant public, ce qui explique probablement que l’interprétation des acteurs n’y était pas toujours sentie et le jeu scénique, pas toujours maîtrisé. Mais ce qui accroche à l’œil du critique n’est pas nécessairement visible à celui du spectateur : une jeune fille d’environ 8-9 ans s’exclamait avec enthousiasme que « la pièce était vraiment cool ! ». Il faut dire que cette production est très accessible : le texte de Marcelle Dubois propose un récit simple, truffé de péripéties, est fondé sur un langage de tous les jours (gros mots compris) et le jeune public est susceptible d’être interpellé par la quête d’aventure proposée. La pièce gagnera certainement à quelques représentations supplémentaires ; le périple initiatique qui en constitue la trame de fond ne s’en déploiera que mieux.