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Du 9 au 19 avril 2015
Ce monde-làCe monde-là
pour les 14 ans et +
Texte : Hannah Moscovitch
Traduction : David Paquet
Mise en scène : Michel Lefebvre

Bijou est blonde et vit dans un quartier cossu. Neyssa est la fille d’immigrants haïtiens moins fortunés. À 16 ans, elles fréquentent le même chic collège et sont « les meilleures amies du monde ». Mais ce jour-là, pour une raison que Bijou ne s’explique pas, Neyssa la frappe en plein visage. Placées en retenue, les deux adolescentes se font face. Bijou tente de mettre le doigt sur ce qui a bien pu pousser Neyssa à lui faire du mal. Alors qu’elle creuse leur passé récent et se rapproche de la sombre vérité, une joute verbale s’engage qui met crûment à jour leurs différences de classes, de valeurs et de points de vue sur la famille, l’amour et la sexualité. Un dicton dit qu’on ne peut juger une personne sans avoir marché trois lunes d’affilée dans ses souliers. Chacune réussira-t-elle à sortir de son propre monde pour atteindre l’autre dans le sien et, ainsi, renouer avec ce qui les avait unies?

Spectacle audacieux et provocateur, Ce monde-là aborde de front des thèmes délicats – le racisme, le clivage des classes, la violence familiale, la sexualité, le viol… – sans jamais tomber dans le moralisme ou le théâtre d’intervention. Porté par l’intensité du texte et l’aplomb du jeu des comédiennes, il expose dans toute leur complexité les débats intérieurs qui agitent les deux protagonistes. La mise en scène, audacieuse et efficace, facilite la confrontation tout en évoquant, au moyen de passerelles non alignées, la possible réunification des chemins. Œuvre d’une grande pertinence, Ce monde-là est un « moteur à réactions » et, pour faciliter échanges et débats entre les spectateurs et les artistes, la Maison Théâtre fera suivre chacune des représentations d’une discussion.


Section vidéo


Scénographie : Véronique Bertrand
Éclairages : Renaud Pettigrew
Conception sonore : Martin Messier
Photos : Alexis Chartrand

Rencontre avec les artistes : dimanche 19 avril, 15 h

Durée 60 minutes

Une production Youtheatre


Maison Théâtre
245, rue Ontario Est
Billetterie : 514-288-7211

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 Critique
Critique

par Olivier Dumas

Avec Ce monde-là, la compagnie Youtheatre propose à la Maison Théâtre une production qui manque de force, mais aucunement de pertinence.

D’abord créé en anglais en 2009, le texte de la Canadienne Hannah Moscovitch connaît son baptême théâtral en langue française grâce à une habile traduction du dramaturge David Paquette (Appels entrants illimités). Construite à la suite de rencontres avec des adolescentes, la pièce traite de sujets épineux avec un souci de réalisme. Durant 45 minutes réparties en deux scènes (une première très courte de bagarre et l’autre où les deux protagonistes féminins se confrontent), la pièce met en scène ou plutôt met en opposition deux adolescentes de seize ans de la même école secondaire privée. Bijou a la peau blanche, les cheveux blonds et vient d’un milieu bourgeois ; Neyssa est d’une famille d’immigrants haïtiens d’un quartier populaire, sa mère travaille dans un Pharmaprix et considère sa fille comme sa plus belle récompense. Or Neyssa frappe subitement sa consœur de classe pour une raison à priori inconnue. Tout au long de la représentation, nous assistons à leurs aveux et confidences, fragilisant et solidifiant à la fois leurs liens de confiance.

La principale force du texte demeure son aisance à exprimer verbalement des situations tendues avec un vocabulaire abondant et très cru (des termes comme «salope» reviennent fréquemment) qui ne fait ni dans la dentelle ni dans la rectitude politique. Nous nous retrouvons aux antipodes de certaines séries télévisées pour les adolescentes et adolescents aux morales mignonnettes où tout le monde est beau, fin et aimable. Les divulgations sur la sexualité sont livrées avec des détails assez explicites et sans censure, mais sans malaise ou maladresse.

La production s’amorce avec force lors du duel entre les deux copines avec une musique tonitruante. Dans un éclairage saisissant, les deux corps des interprètes se déplacent sur l’espace de jeu dans une chorégraphie haletante, près de l’esprit dynamique de la danse contemporaine. Le coup au visage porté par Neyssa à Bijou a suscité une réaction spontanée du public lors de la matinée scolaire auquel MonTheatre a pu assister. Par la suite, le duel entre les deux jeunes filles est ponctué des moments de grande tension et d’autres plus calmes, mais tout aussi chargés de sens.

La scénographie constitue toutefois un obstacle pour apprécier à sa juste valeur cette joute verbale. Deux chaises sont réparties sur le plateau, chacune sur une petite plate-forme et éloignée l’une de l’autre. Les deux comédiennes lancent ainsi leurs répliques dans une distance physique qui dure une bonne partie de la production. Ce choix artistique entraîne ainsi un éloignement émotionnel nuisant à l’incarnation scénique de brûlants enjeux dramatiques. Le statisme empêche donc les possibilités de confrontation, de fuites et de rapprochements continus entre deux individus qui tentent de s’apprivoiser à nouveau  malgré les prises de bec et les insultes lancées au visage. Une dynamique similaire entre deux personnages avait été joliment illustrée dans D’Alaska, sous la gouverne de Frédéric Dubois. Autre faiblesse de Ce monde-là, les deux comédiennes jouent de côté par rapport au public qui perd ainsi une partie du dialogue pourtant rythmé.

Chloé Luchs Tassé et Aiza Ntibarikure insufflent de la ferveur et de la vivacité à ces deux filles dans la fleur de « l’âge ingrat ». Avec à la fois l’assurance, la minauderie, la révolte intérieure et la perte douloureuse des illusions emblématiques de cette période charnière de la vie, elles rendent crédibles ces êtres qui voient leurs repères tranquilles s’effondrer. Devant un auditoire souvent bruyant et parfois même hostile, elles gardent une maîtrise admirable de leur art.

Malgré une conclusion qui aurait mérité un dénouement plus affirmatif et satisfaisant, Ce monde-là réussit à approfondir des situations dérangeantes et quelquefois explosives de notre société contemporaine entre la cacophonie et la fureur. 

14-04-2015