Petit Pierre est né à moitié aveugle, sourd et muet. Il n’apprend rien à l’école. À 7 ans, on l’envoie garder les vaches. Aux champs, Petit Pierre observe la nature, les animaux, les hommes au travail. Tout ce qui bouge le fascine au plus haut point! Aussi, pendant près de 40 ans, alors que le monde change et se mécanise, alors que se succèdent, au-delà de son village, les guerres, les crimes et les révolutions, Petit Pierre fabrique une machine d’une singulière beauté et d’une complexité mécanique que même les ingénieurs auront peine à expliquer : un manège-hommage à tous ces petits riens qui composent la vie et qui font qu’elle subsiste malgré tout.
Écrit pour deux voix, l’une racontant l’histoire du monde et l’autre l’histoire vraie de Pierre Avezard, ce spectacle s’interroge intelligemment sur notre rapport à la différence. Il témoigne de la possibilité pour chacun de faire sa place avec ce qu’il a reçu à la naissance et en dépit des apparences. La mise en scène et les compositions de lumière dévoilent les lieux, les êtres et les gestes par touches, tels des mystères que l’on révèle. Le manège nous apparaît au rythme des gestes de Petit Pierre, qui amasse, taille et construit sans relâche. Hommage à l’art en tant qu’acte de résistance, le spectacle nous parle également de l’art en tant qu’acte de tendresse.
Section vidéo
Décor et accessoires : Francine Martin
Éclairages : Dominique Gagnon
Conception sonore : Nicolas Rollin
Costumes : Marie-Pierre Fleury
Maquillages et coiffures : Pierre Lafontaine
Photos : François-Xavier Gaudreault et Jacques Driol
Rencontre avec les artistes : dimanche 18 janvier, 15h
Durée 60 minutes
Une production Le Carrousel
par Daphné Bathalon
Poésie mécanique
Il y a 13 ans, Petit Pierre faisait ses premiers pas dans le monde, des pas qui l’ont mené du Québec à la France, et de la Suisse au Mexique. Le spectacle du Carrousel revient sur scène ces jours-ci à la Maison Théâtre. L’institution montréalaise ouvre ainsi sa saison hivernale avec le thème de la métamorphose, celle qui nous accompagne toute notre vie et qui fait qu’on n’est jamais tout à fait la même personne que celle qu’on était hier encore.
Petit Pierre, c’est Pierre Avezard, un créateur français né en décembre 1909. Né infirme, à moitié aveugle, sourd et muet, Petit Pierre a cependant un grand talent manuel pour les mécaniques et un sens de l’observation hors du commun. Au fil des années, il construit un fabuleux manège avec les nombreux objets récupérés autour de lui (tôle d’avion, douilles d’obus, roues de vélo…). Petit Pierre passe près de quarante ans à enrichir son manège, toujours plus impressionnant, et on vient parfois de loin pour le voir s’animer les dimanches.
Parce que Petit Pierre parlait très peu, la pièce donne plutôt la parole à deux narratrices omniscientes, témoins admiratifs de la vie de cet inventeur inspiré. Elles observent son enfance, son travail à la ferme, l’assemblage de son manège. Si elle crée une certaine distance entre le jeune public et Petit Pierre, dont on ne voit jamais le visage (l’acteur dissimulant ses traits sous un bas de nylon), cette narration laisse toutefois une large place à l’œuvre de Petit Pierre et à l’évocation de sa vie, à la manière d’un conte.
Invitant les jeunes de 8 à 12 ans à découvrir l’histoire du singulier personnage, l’auteure Suzanne Lebeau leur parle aussi de la grande marche du monde et de la mécanique des puissances qui s’affrontent loin, bien loin de la vie de vacher que mène Petit Pierre. De la Première Guerre mondiale à la chute du mur de Berlin en passant par les nombreux autres conflits et conquêtes (aussi loin que l’espace!), Petit Pierre couvre la grande histoire de l’Europe au XXe siècle, toujours par le regard de cet être simple aux aspirations pas plus grandes que le champ où il fait paître ses vaches. Avec cette production, le Carrousel aborde avant tout le délicat sujet de la différence, l’auteure amenant tout naturellement les jeunes à s’interroger sur leurs rapports aux autres et au monde, sur comment celui-ci peut les changer ou changer leurs perceptions.
Le plateau circulaire sur lequel on installe les différents personnages de ce manège révèle de jolies surprises et prend vie au fur et à mesure que Petit Pierre y ajoute ses mécaniques. Mais ce manège recréé sur scène manque un peu de la folle animation de l’original. Le metteur en scène Gervais Gaudreault en convient lui-même : « Je réalisais que je ne pouvais pas reproduire son manège, que je ne pourrais jamais, sur scène, en rendre la beauté et la vérité. »1
Cette histoire, qui commence dans le drame d’une naissance trop hâtive et d’un bébé « pas fini », d’abord rejeté par ses camarades de classe, puis bousculé par les garçons de ferme avec qui il travaille, se termine avec la mort tranquille d’un rêveur qui a trouvé sa place dans la grande mécanique du monde. Une histoire qui va se nicher droit dans les cœurs.
Pour voir le vrai manège de Petit Pierre en action : https://www.youtube.com/watch?v=uGV7LKjC2KQ ou ici http://videak.fr/films.php?videoid=4
1Source: programme du spectacle