Rosépine a 6 ans. Elle vit au Japon au moment où de grandes tempêtes venues de la mer causent des ravages dans les villes et les villages. C’est en voulant réconforter son grand-père, Akaï, de la perte de sa culture de melons que la petite fille se découvre une grande mission : apaiser les pleurs qu’elle entend. Voguant dans le ciel et sur la mer en compagnie de son amie La Nuit, une grue blanche, Rosépine ira à la rencontre de personnages en quête de réconfort. Qui aura le plus besoin d’elle, le saule pleureur, la vieille Lacrymère, le Violon des marais?
Ode sensible au courage et au don de soi, Rosépine raconte une histoire aux propos actuels dans une mise en scène stylisée, dont chaque élément possède une richesse d’évocation. Donnant tout à voir, les concepteurs font des interprètes à la fois des marionnettistes et des metteurs en scène. Des tiroirs tirés à la verticale permettent de faire apparaître les costumes, les masques, les personnages et les écrans de couleurs composant le décor, de même que d’étonnants kamishibaïs : des petits théâtres que les Asiatiques transportent sur leurs bicyclettes, et qui servent à présenter certaines scènes. Du théâtre dans le théâtre, il s’en fait également en ombres chinoises, sur fond de kimonos, dans Rosépine. Un spectacle magnifique, aussi servi par la musique, l’usage polyvalent des accessoires, la splendeur des costumes et l’expressivité des marionnettes.
Section vidéo
Scénographie : Christine Plouffe
Chorégraphies : Marie-Josée Paradis
Éclairages : Alexandre Nadeau
Musique originale et ambiances sonores : Guillaume Thibert
Direction technique : Isabeau Côté
Photos : Alexandre Nadeau
Rencontre avec les artistes : samedi 1er février, 15 h
Durée 55 minutes
Une production Les Amis de Chiffon
par Olivier Dumas
Après un passage fortement remarqué aux Trois jours de Casteliers en mars 2014 (lire la critique de mon collègue plus bas), la remarquable production Rosépine illumine cette fois-ci la scène de la Maison Théâtre pour le bonheur des petits et grands.
La sympathique compagnie du Saguenay Les Amis de chiffon demeure une habituée des planches de l’institution de la rue Ontario. L’an dernier, elle avait repris l’attachante pièce Une histoire dont le héros est un chameau avec une narration toute en tendresse par la grande chanteuse-comédienne Sylvie Tremblay. Pour Rosépine, le dramaturge québécois Daniel Danis a conçu une fable inspirée du tsunami dévastateur au Japon en 2011 avec, comme figure principale, une merveilleuse héroïne. Celle-ci porte le même nom que le spectacle, est âgée de six ans et vit dans une petite maison. Dans son pays ravagé, elle entend des pleurs en compagnie de son amie, la joliment nommée Nuit, qui prend ici les traits d’un oiseau blanc. La fillette qui a un cœur grand comme l’univers veut réconforter tous les habitants touchés de près ou de loin par la tragédie. Dans sa quête qu’elle amorce avec sa camarade à plumes (cette dernière est installée sur sa tête lors des scènes de vol), elle rencontre un petit chien orphelin, un saule inconsolable, un violoniste qui laisse jaillir des airs tristes sur son instrument, une saisissante tortue qu’elle prend d’abord pour une grosse roche et une vieille dame qui amoncelle les larmes de l’humanité.
Le parcours riche en péripéties et en réflexions se regarde et s’écoute attentivement tout au long des 55 minutes de la représentation. Déjà son titre astucieux et lyrique (l’association d’une élégante fleur ornementale colorée à des aiguilles qui piquent les doigts) laisse présager la place prépondérante aux charmes de la nature tout comme à la préservation de l’environnement. Par ailleurs, le texte s’inscrit parmi les plus brillants et les plus évocateurs écrits par Danis dans la lignée Cendres de cailloux, Terre océane et Le Chant du Dire-Dire, ceux où les mots se dépouillent des artifices du langage pour aller droit à l’essentiel. Tout en charme pour l’oreille (malgré quelques expressions trop appuyées en québécois populaire), la langue par sa qualité et sa richesse linguistique se démarque dans le répertoire consacré au théâtre jeune public (« la douceur accompagne tes pensées », « consoler avec des gestes, il faut être grande pour cela »). Une autre des grandes forces de la création constitue le traitement judicieux des références du « pays du Soleil-Levant » et de la société orientale. Jamais les concepteurs ne tombent dans le piège de l’orientalisme de pacotille ou de cartes postales qui a plombé les réalisations artistiques d’autres metteurs en scène par le passé.
L’ingéniosité de la scénographie de Christine Plouffe frappe l’imaginaire. Par exemple, des tiroirs lumineux sortent à la verticale du plancher pour récréer les différents lieux de l’action. Les longues manches d’un kimono blanc se transforment presque par enchantement en ailes de la grue amie de Rosépine. Le passage fort touchant avec le saule pleureur (l’un des plus remarquables de la représentation) surprend par la métamorphose de l’un des interprètes en arbre et de l’usage inventif des matériaux du spectacle. Presque grande comme une véritable fillette, la marionnette Rosépine nous attendrit avec ses cheveux en bataille, son visage blanc, ses grands yeux interrogateurs, sa moue déterminée, son pantalon et sa veste rouge vif, tout comme son chandail rayé. La marionnette nous donne l’impression que nous avons presque devant les yeux un individu en chair et en os. La mise en scène de Marthe Adam confère ainsi à cet univers multiple une rigueur et une humanité.
Les trois comédiens-manipulateurs Dany Lefrançois, Patrick Simard et Caroline Tremblay épaulent avec sobriété et délicatesse cette poésie simple et engagée, mais jamais avec mièvrerie. Vêtus de larges sugegasas (chapeaux coniques) sur leur tête et de kimonos bleus foncés, ils se déplacent souvent à petits pas et marquent habillement chacune des nombreuses transitions de lieux et de personnages. L’ensemble est bercé par une conception sonore évocatrice de Guillaume Thibert et parfois par une jolie voix féminine.
La compagnie Les Amis de chiffon a réussi une intemporelle et très pertinente Rosépine. Par son équilibre entre des propos écologiques, les initiatives d’une petite fille déterminée et l’inventivité de ses artisans, la production demeure certainement l’une des plus belles expériences du théâtre jeunesse à voir et à ressentir pour nous permettre de croire en un monde meilleur.
par David Lefebvre (2014)
La compagnie saguenéenne Les Amis de chiffon avait l'insigne honneur de présenter sa plus récente création, Rosépine, en clôture des Trois jours de Casteliers, et ce, au grand plaisir des nombreux festivaliers. Conte écologique s’inspirant du tsunami qui a ravagé le Japon en 2011, Rosépine est l’histoire d’une petite fille de six ans qui part à la recherche de la source des pleurs qu'elle entend sans cesse, accompagnée de son amie la Nuit, prenant la forme d'une grue blanche. Laissant son grand-père s’occuper des melons du jardin, elle s’élance donc, et dans son Japon natal défiguré par une grande vague, elle rencontre un chiot orphelin, tout comme elle, un saule pleureur qui tente de l’enraciner avec lui pour qu’elle le console toute la vie, un violoniste des marais unijambiste qui ne joue que des airs tristes et la Lacrymaire, une étrange créature qui collectionne les larmes depuis le début des temps.
Sans jamais être moralisateur ou verser dans le pathos, le texte de Daniel Danis aborde les thèmes de la préservation et de la protection de l’environnement, de la nature dans toute sa beauté et toute sa force de destruction, ainsi que ses effets sur la vie des humains. La langue qu'il utilise est empreinte d'une poésie très accessible pour les enfants, se relâchant à certains moments pour laisser la place à des mots très québécois, comme « pantoute » et « bouette ». Heureusement, ces écarts ne dérangent pas l'oreille ; bien au contraire, ils rendent le propos plus sympathique. La scénographie de Christine Plouffe est ingénieusement conçue ; la scène surélevée rappelle un tatami, et, tout autour, des tiroirs insérés à la verticale dans le plancher sont soulevés pour créer des boîtes lumineuses qui représenteront les différents lieux que notre petite héroïne visitera, en plus de receler d’une multitude d'accessoires et de marionnettes. L’ensemble de la création, des robes longues ou kimonos aux masques, dont celui du grand-père, en passant par le décor et les personnages fantastiques ou réalistes, emprunte directement à la culture traditionnelle nipponne ; il n'y a que Rosépine qui incarne, pour ainsi dire, la modernité, avec ses habits colorés et lignés. Elle est magnifique et attachante, d’ailleurs, cette petite, avec ses cheveux noir de jais et sa taille frôlant celle d'un réel enfant. Les costumes agissent même comme éléments scénographiques : la robe de la Nuit, toute blanche, devient, une fois suspendue, un écran pour des jeux d’ombres représentant Rosépine qui s'amuse dans le firmament avec la Tortue roche qui pond des œufs en pierre.
Les comédiens et manipulateurs Dany Lefrançois, Patrick Simard et Caroline Tremblay, presque anonymes avec leur chapeau de paille sur la tête, savent trouver le ton juste dans leur voix ainsi que la bonne posture pour incarner les différents personnages. Leurs déplacements se font toujours à petits pas, et les transitions, tout comme les manipulations, sont tout aussi précises qu’élégantes ; rien n’est laissé au hasard. La partition musicale de Guillaume Thibert, toute orientale, ravit l’oreille et colle parfaitement à la mise en scène soignée de Marthe Adam.
À l’instar des autres spectacles des Amis de chiffon, la trame narrative de celui-ci dépasse le simple divertissement et propose une réflexion sur l'environnement, et s'approche même d'une leçon de vie. Rosépine risque de devenir un autre classique instantané de la compagnie. Quel beau risque, tout de même.