Depuis la disparition tragique de leur fille aînée, les parents de Vipérine ont pris la voie d’évitement. Le père s’est jeté dans le travail. La mère est partie « se trouver » à l’autre bout du monde. Quant à Vipérine, elle est restée seule au milieu. Bien vivante – très vivante même! –, elle passe pourtant inaperçue; son père a même oublié son anniversaire! Exaspérée, Vipérine décide de partir en mission pour se débarrasser des cendres de sa sœur. Or, couper le lien qui unit les vivants et les morts est moins simple qu’il n’y paraît, et Vipérine va se retrouver au cœur d’une aventure rocambolesque pour libérer le fantôme de sa sœur coincé au royaume des ombres.
La traversée du deuil est l’une des expériences les plus troublantes qui soient. Pourtant, ce spectacle parvient à aborder le sujet d’une façon étonnamment lumineuse, en partie grâce à l’humour qui émane de la relation qu’entretient Vipérine avec le fantôme de sa sœur; en partie en raison d’une écriture tonique et vibrante qui met à nu les émotions; en partie grâce à la présence empathique d’un narrateur mystérieux qui s’amuse à démonter les rouages de l’histoire. Réussissant à créer des climats variés, les concepteurs de Vipérine impressionnent par leur authenticité dans leur volonté d’explorer la résilience chez l’enfant et leur habileté à illustrer les étapes qui nous permettent de franchir le deuil pour renouer avec le bonheur d’exister.
Section vidéo
Scénographie : Julie Vallée-Léger
Éclairages : David-Alexandre Chabot
Conception sonore : Michel F. Côté
Costumes : Geneviève Bouchard
Photos : Marie-Andrée Lemire
Rencontre avec les artistes : dimanche 29 mars, 15 h
Durée 50 minutes
par Olivier Dumas
Avec Vipérine présenté à la Maison Théâtre, le Projet Mû nous convie à un magnifique cérémonial autour du deuil et de la vie.
La perte d’un être cher demeure un thème fertile et porteur de sens pour le théâtre contemporain, autant dans le répertoire adulte que pour le jeune public. Avec l’apprivoisement d’une mort qui continue de hanter les vivants, un tel enjeu nous confronte et nous oblige à trouver des chemins de réconciliation avec les joies et peines de l’existence.
La vibrante production ne répond pas directement à ces questions épineuses, mais fournit en revanche des ouvertures de réflexion pour petits et grands. Elle constitue une sorte de miroir et une continuité pour ceux et celles qui ont vu au Théâtre La Chapelle en 2011 l’émouvant Beauté, chaleur et mort du tandem Pascal Brullemans (cette fois-ci à l’écriture solo) et Nini Bélanger à la mise en scène. Beauté et Vipérine trouvent un écho dans la vie réelle, car les deux trames dramatiques s’inspirent directement de la mort de leur petite fille il y a une dizaine d’années. Toutefois, Vipérine creuse encore plus profondément dans les souffrances des protagonistes avec une poésie grave et encore plus incarnée, mais jamais empreinte de lourdeur. La présence d’une narration apporte également une distanciation salutaire et ingénieuse à un propos aussi empreint de réalités dérangeantes.
La pièce raconte les états d’âme de Vipérine, une gamine de dix ans qui se sent invisible pour ses deux parents depuis la perte de sa sœur aînée, la bien-nommée Fée (également sur scène en flashback). Vêtue de rose, la dynamique héroïne part avec les cendres de sa sœur dans une urne en espérant aller la voir au royaume des ombres et conclure un marché avec elle. Pendant 50 minutes menées par un rythme soutenu, le récit alterne entre les répliques dites par les membres de la famille et celles prononcées par un narrateur qui ressemble ici à un animateur de radio d’une autre époque. Les interventions de ce dernier précisent certaines pensées ou actions des trois personnages présents sur le plateau autant que d’autres évoqués à un moment ou l’autre dans l’histoire.
Le décor simple où domine le noir frappe par sa sobriété. Séparée en deux dans le sens de la longueur, la scénographie permet de dévoiler des émotions fortes et sombres tout en accordant une place prépondérante à la puissance des morts. Un tel climat d’intimité apporte également une dimension différente à une dramaturgie jeunesse qui se distingue visuellement beaucoup par ses couleurs plus vives, éclatantes ou fantaisistes.
Les thèmes abordés dans Vipérine sont exploités à leur plein potentiel. La plus grande force de la plume de l’auteur se répercute à de nombreuses reprises durant la représentation ; alors que les situations atteignent un sommet dans la démonstration de la douleur, une phrase, un clin d’œil ou un jeu de mots entraîne un éclat de rire comme une sensation d’accalmie. Les jeunes spectatrices et spectateurs ont positivement réagi devant des situations à priori assez sérieuses etpréoccupantes de la psyché humaine. Jamais ne se permet-on ici de verser dans la démonstration larmoyante, l’exécution didactique ou la morale réductrice. Les répliques possèdent plutôt une vivacité palpable dans des actions parfois très quotidiennes et à d’autres moments une subtilité plus près d’une poésie métaphorique. Dans l’un des meilleurs passages, lorsque le père de Vipérine retrouve celle-ci à la suite d’une fugue, les enjeux de la conciliation travail-famille sont exposés avec une grande franchise. Pris entre une gamine qui réclame de la tendresse et un patron arrogant, le personnage laisse éclater toute sa rage dans un geste suscitant une immédiate adhésion.
La direction d’acteur se démarque par sa précision, ses nuances et sa rigueur. Dans le rôle-titre, Marylin Perreault s’avère formidable par sa présence lumineuse de gamine intrépide sachant explorer comme une habile funambule la gravité de la tristesse, de la colère de l’abandon. Ses partenaires de jeu se révèlent également à la hauteur de la tâche. Sébastien Rajotte traduit bien les inquiétudes et l’attachement d’un père pour ses proches. Léonie St-Onge apporte une touchante dimension à la fois tangible et mystérieuse au fantôme de la sœur disparue. Michel Mongeau rend habilement pour sa part les multiples figures évoquées dans les différentes séquences de l’intrigue comme la mère partie en voyage d’affaires, le directeur d’école ou le patron trop obtus face aux priorités personnelles de son employé.
Le Projet Mûose sortir des sentiers battus avec Vipérine. «Dieu futile, dieu des enfants qu’on dit heureux/La terre est grande» écrivait Hélène Pedneault dans Requiem pour les vivants, chanson pour Marie-Claire Séguin. Avec le même esprit de finesse dans le traitement des délicates interrogations sur la difficulté de transiger avec l’absence des gens aimés qui nous quittent, la création du duo Nini Bélanger et Pascal Brullemans nous conduit joliment sur la route de l’espoir.