Kiwi et Litchi ont enterré leur ancien nom en même temps que leur vie d’avant. Porter un nom de fruit, « ça te change pas, mais ça nettoie, on dirait ». Ensemble, ils luttent pour leur survie dans un monde où ils ne trouvent pas leur place. Ils vivent, à la dure, dans la rue. Et il fait encore moins bon y demeurer à la veille des Jeux olympiques, alors que la Cité veut « nettoyer » ses artères…
Nos deux héros, champions en résilience et en débrouillardise, nous racontent leur histoire troublante avec émotion et beaucoup d’action, sans jamais s’apitoyer sur leur sort. À l’aide de vieux objets récupérés, ils mettent en scène leur vie à la façon d’un road theatre captivant. Kiwi et Litchi ont l’un pour l’autre une tendresse infinie, qui parvient à illuminer leur existence, la transformant ainsi en une grande leçon de solidarité.
La compagnie
La Tortue Noire
Au théâtre de La Tortue Noire, c’est l’objet qui fait naître le geste, c’est l’objet qui est la portée sur laquelle s’écrit la mélodie du corps en mouvement. Préoccupés également par le travail de l’interprète, les artistes cherchent à aborder, de façon nouvelle, la manipulation et la relation acteur/manipulateur. Les spectacles réunissent le jeu d’acteur, le théâtre de marionnettes et le théâtre de formes et d’objets animés. La compagnie cumule les expériences de création, de recherche et de tournées, initiées depuis 2005. Elle compte sept créations originales qui ont été diffusées au Canada, en Italie, au Mexique, en République tchèque, en Belgique et en France.
Section vidéo
Conception sonore : Michel Côté
Adaptation des éléments scéniques : Martin Gagnon
Conception des costumes : Sara Moisan
Conception des éclairages : Isabeau Côté
Photo prise sur latortuenoire.com
Durée du spectacle : 50 minutes
Une co-production de La Tortue Noire, ManiganSes et La Luna è Azzurra
Après avoir traité de la guerre et de l’exil dans Le pont de pierre et la peau d’images, du conflit israélo-palestinien dans Sous un ciel de chamaille et de l’expulsion d’une famille de sa maison dans Bled,Daniel Danis aborde la réalité des enfants de la rue avec sa pièce Kiwi. Créé en 2007, le spectacle se présente comme un conte qui s’apparente à ceux de Perreault ou des frères Grimm, dans la mesure où l’on y retrouve dépeinte la cruauté du monde sans détour ni embellissement.
À 12 ans, Kiwi est abandonnée par sa famille et se joint à un groupe de jeunes clandestins. À la veille d’accueillir les Jeux olympiques, la police cherche à éliminer les marginaux et à camoufler tous les signes qui pourraient laisser transparaître les maux de la ville. Difficile d’ailleurs ici de ne pas penser aux Jeux de Rio qui approchent et aux mesures prises par le gouvernement brésilien pour « purifier » la capitale. Si la pièce tourne à l’international depuis près de huit ans, elle reste encore aussi perturbante par son actualité.
Pour faire partie de la « Famille Verte », la jeune Kiwi doit se soumettre à plusieurs rites de passage. Initiée par les chefs de clan Mangue et Papaye, elle doit commettre de petits vols à l’étalage, faire « la chose » avec son ami Litchi, et même se prostituer à la Maison noire. Toutes ces actions sont dictées par le projet commun d’acheter une maison de pierres à la campagne dans laquelle tous pourront se sentir en sécurité.
Dès son entrée, le public est accueilli par une grande vente de garage, lors de laquelle il peut acheter à faible coût une grande quantité d’articles apparemment sans valeur. Ce sont ces accessoires éclectiques qui formeront le décor de la pièce et qui constitueront l’ambiance chaotique de la ville dans laquelle les personnages évolueront. Au cours de la représentation, les objets se transforment pour donner vie au texte poétique de Daniel Danis. Avec une variété de bouteilles de bière et de vin surmontées de petites têtes de poupées, les personnages secondaires prennent forme, alors que de vieilles plaques d’immatriculation figurent les gratte-ciels du centre-ville. À cet effet, l’économie de moyens qui caractérise la mise en scène de Guylaine Rivard permet une créativité excessivement efficace. La Tortue Noire se démarque d’ailleurs depuis plusieurs années par l’inventivité de la pratique qu’elle fait de la technique du théâtre d’objets.
Portant les mêmes costumes que leur avatar marionnettique, Sara Moisan et Dany Lefrançois sont tous les deux très touchants dans leurs rôles de Kiwi et de Litchi. La justesse de leur jeu d’acteur et la précision de leurs manipulations permettent au public de se laisser emporter complètement dans l’histoire. La fragilité qui ressort du personnage de Kiwi est particulièrement réussie, alors qu’elle s’exprime avec la « langue bleue » simple et poétique qui habite sa tête. Kiwi et Litchi se présentent comme les narrateurs de leur propre vie, préférant souvent la raconter plutôt que l’incarner. On y retrouve l’illustration du « roman-dit » par lequel Danis qualifie ses pièces de théâtre.
À la fin heureuse proposée par Danis dans la version de son texte publiée aux éditions de l’Arche, le théâtre de La Tortue Noire a préféré une fin ouverte, laissant aux spectateurs le soin de s’imaginer le futur de Kiwi, Litchi et leurs acolytes. La richesse visuelle et poétique de Kiwi en fait un spectacle fort qu’enfants comme adultes devraient aller voir.