« Être Québécoise, c’est chialer sur l’hiver, chialer sur le reste du Canada, chialer sur le coach du Canadien… » Avec son humour vif, Talia, jeune immigrante vivant à Laval, essaie de tracer le contour de ses identités culturelles. Pas si simple de se sentir québécoise pour cette fille entière, passionnée et idéaliste, née en Égypte d’un père égyptien et d’une mère italienne, et portant un prénom grec ! Cette prolifération de cultures, savoureuse à goûter pour nous, est source d’un questionnement tenace, mais drôle, qui met Talia dans une situation pour le moins inconfortable.
Grâce à son amie Julie de Laval, Talia apprend à se familiariser avec les garçons québécois… à la douzaine. Mais côté identité, rien n’y fait. Jusqu’à ce que cette même Julie, par un retournement du destin, la guide vers de nouveaux horizons. Cette autofiction lumineuse et touchante nous invite chaleureusement à découvrir cette part de soi qui s’enrichit de l’autre.
La compagnie
Le Théâtre Fêlé
« Heureux les gens fêlés car ils laissent passer la lumière.» - Proverbe arabe
Laisser passer la lumière et valoriser nos différences, voilà ce qui anime le Théâtre Fêlé, fondé par Talia Hallmona et Gabriel De Santis- Caron. Ensemble, nous souhaitons créer du théâtre jeunesse abordant la fragilité humaine à travers des récits mettant en relief une société de plus en plus métissée. À travers des œuvres dramatiques, nous voulons offrir à nos spectateurs un espace de réflexion et de discussion.
Avec nos spectacles, nous désirons établir un dialogue entre les jeunes, les lieux culturels et les artistes autour d’une œuvre théâtrale. Avec leur ouverture sur le monde et la diversité culturelle dans laquelle ils progressent, les jeunes d’aujourd’hui composent un public qui en a beaucoup à raconter. Créer pour ce public exige une recherche rigoureuse afin qu’ils se sentent concernés par leur culture !
Section vidéo
Lumières : David-Alexandre Chabot
Composition musicale : Laurier Rajotte
Décors et costumes : Elen Ewing
Régie et assistance à la mise en scène : Mariflore Véronneau
Direction technique : Catherine Fasquelle
Durée du spectacle : 50 minutes
Dates antérieures (entre autres)
Du 28 octobre au 8 novembre 2014 - Aux Écuries
«Deviens ce que tu es», dit la vulgate nietzschéenne. Cette philosophie teinte le propos de Moi et l’autre, un petit bijou écrit par Talia Hallmona et Pascal Brullemans. À la Maison Théâtre, une équipe inspirée donne au périple souvent rigolo, et parfois doux-amer, des moments de bonheur pour les adolescents, anciens ou actuels.
Présenté en 2014 aux Écuries (voir la critique de notre collègue Geneviève Germain plus bas), le spectacle du Théâtre Fêlé s’inscrit dans une lignée d’œuvres dramatiques traitant de l’altérité, de l’immigration, ainsi que de la probable confusion entre la préservation de la culture d’origine et celle à intégrer du pays d’accueil. Par ailleurs, le texte se démarque dans ce répertoire difficile, grâce à une écriture qui occulte les traces de moralisme ou de désir de culpabilisation. Par son autodérision et sa dualité constante entre la réalité et la fiction, la pièce évoque aussi Le long voyage de Pierre-Guy B., récemment jouée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.
Pendant près d’une heure, nous suivons, attentifs, les péripéties de Talia Wagih William Wassef Hallmona, une jeune fille originaire de l’Égypte (mais de parents ayant des racines en Grèce et en Italie) qui tente de répondre à la complexe, et parfois litigieuse question : qu’est-ce qu’être Québécois? À l’âge de dix ans, elle déménage avec sa famille à Laval. Elle rencontre Julie Sirois (Marie-Ève Trudel) qui deviendra sa complice d’adolescence. Talia interrompt son histoire et demande à sa meilleure amie de «jouer son rôle». Mais les liens entre deux cultures opposées provoquent des étincelles, et parfois des flammèches. En sourdine, gronde le dilemme suivant : reconnaissons-nous l’autre pour ce qu’il nous donne, ou pour ce qu’il nous prend?
En fond de scène se trouve une mosaïque, comme une tapisserie sur un mur. À la levée et à la tombée du rideau, s’illumine parmi ces fragments une photographie de l’actrice durant son enfance. Dépouillé, le plateau comprend sur le plan visuel seulement quelques chaises, mais est habité par l’énergie des deux protagonistes. Tout au long de la représentation, les échanges prennent l’allure d’un combat de boxe, avec notamment la mention du début de chacune des scènes et le bruit récurent de la sonnette. Les deux compagnes se commettent même dans une parodie de ce sport, reconnu comme le symbole d’une certaine «virilité». Dans une autre séquence aussi distrayante, Marie-Ève Trudel se métamorphose en une animatrice assez nunuche d’un show de transformation extrême. Elle baragouine ses intonations de surprise disproportionnée en «franglais». Talia devient, quant à elle pour l’occasion, la concurrente rêvant plus que tout, au lieu d’une chirurgie faciale ou mammaire, de se changer en Julie, qui symbolise pour elle, la «véritable» fille québécoise avec ses qualités et ses défauts.
La collaboration de l’habile dramaturge Pascal Brullemans (Beauté, Chaleur et Mort, et surtout la grave et lumineuse création Vipérine, qui a profondément ému à la Maison Théâtre l’an dernier) au récit contribue beaucoup à la pertinence de ce Moi et l’autre. À ce témoignage direct et empreint de quotidienneté s’enchevêtrent des phrases plus métaphoriques et des extraits de la poésie «rapaillée»deGaston Miron. Certaines réflexions plus caustiques sur notre caractère ambivalent dans nos relations intimes pimentent du début à la fin la proposition théâtrale («Pour l’amadouer. L’homme québécois veut être libre, mais rassuré. Indépendant subordonné»). Mais le passage qui suscite les réactions les plus vives demeure celui où la narratrice se permet une déclinaison du «passe-temps préféré» des Québécois. Il s’agit du «chialage», sur tout, sur l’hiver, sur les défaites du Canadien, sur le désir de fonder un pays tout en votant non au moment opportun ; tout y passe, même la poutine, jugée, ici, «dégueulasse».
Comme la série télévisée québécoise du même nom, la complémentarité entre les deux filles, toutes deux très douées, permet d’approfondir leurs personnalités distinctes et d’alimenter leurs points de divergence face aux situations, surtout amoureuses. La pièce démontre également sa finesse à se moquer des clichés du Québec, mais aussi de certains stéréotypes perpétués par les proches de Talia. De ces images folkloriques, cette dernière souhaite s’en départir. Elle ressent ainsi un malaise à chanter du Dalida, une «super quétaine» (on entend d’ailleurs un extrait de Mourir sur scène) au mariage de sa sœur. Peu avant la fin, alors qu’elle revêt un costume brillant, la comédienne tente d’exécuter une chorégraphie sur un collage improbable où se confronte une mélodie arabisante et les intonations de Gilles Vigneault. La mise en scène de Michel-Maxime Legault s’amuse là, et partout ailleurs, à rassembler les morceaux d’une fresque toujours en mouvement. En plus de l’obligation pour Talia de concilier ses références multiples, se répercute la confrontation de sa propre identité, par rapport à ce qu’elle cherche à fuir ou à cacher, d’abord à elle-même. Pour cette raison et d’autres encore, Moi et l’autre s’avère un voyage stimulant autant pour les sens que pour l’intellect.
par Geneviève Germain, critique de 2014
C’est un tout petit bout de femme qui nous présente sa grande histoire d’immigration dans Moi et l’autre au théâtre Aux Écuries. Fondatrice de sa propre compagnie de théâtre, Fêlé, Talia Hallmona est d’origine égyptienne, mais née d’une mère gréco-italienne, et a déménagé au Québec à l’âge de douze ans. C’est à l’aide d’un récit intimiste et de son amie d’enfance Julie Sirois (Marie-Ève Trudel) qu’elle nous raconte son arrivée et ses péripéties d’intégration.
L’écriture de la protagoniste de la pièce et de son coauteur Pascal Brullemans est truffée de pointes humoristiques, portant un regard d’apparence cabotin, mais pourtant lourd de sens sur la recherche identitaire d’une jeune immigrante. Entre la description de sa dernière soirée à Alexandrie, remplie d’une grande famille et de mets mémorables, et son arrivée à Laval où les « parkings » sont « vraiment huge », on sent déjà l’énorme contraste entre les deux mondes qui habitent Talia. La timide adolescente rêve d’être comme sa grande amie Julie Sirois, celle qui est débordante d’énergie et que tout le monde écoute quand elle parle. Elle cherche sa place, jusque dans sa vie de jeune adulte.
Le décor d’Elen Ewig nous offre une scène surplombée d’un mur mosaïque, rappelant le patchwork qui habite Talia, entre ses racines égyptiennes et son nouvel ancrage québécois. Grâce à la mise en scène de Michel-Maxime Legault, laquelle exploite habilement l’espace, Talia peut assurer un contact continu avec le public qui se trouve sur trois des quatre côtés de la scène.
On prend plaisir à suivre l’histoire de Talia puisque tout est raconté sur le ton de la confidence. Des taquineries dont elle fait l’objet à l’école jusqu’à ses dix-huit amourettes avec des Québécois qui ne durent jamais, le duo d’auteurs explore différentes façons d’illustrer la réflexion qui occupe Talia, allant jusqu’à une superposition d’un rigodon et de musique arabe. Toutefois, la pièce tombe parfois dans des constats faciles, tels qu’être Québécois, c’est chialer sur tout. Dans sa quête identitaire qui se fait à coup de courtes anecdotes et de réflexions, plusieurs sujets sont soulevés sans pourtant être vraiment examinés. La pièce atteint néanmoins son but avoué, soit celui d’ouvrir le dialogue sur une réalité de plus en plus fréquente de la quête de l’identité immigrante.