Voici une expérience intime et originale, où l’on se retrouve sur scène, tout près de l’artiste qui nous raconte avec beaucoup de finesse les grands moments qui jalonnent une vie : première tendresse, premier jeu, premier pas, premier amour, premier enfant… Si le fil du récit est classique, le mode de narration nous fait agréablement sortir de nos repères théâtraux traditionnels. Cette grande histoire de la vie, sans paroles, est vécue en miniature par une marionnette (parfois deux) mi-humaine, mi-animale. Tantôt docile et tendre, tantôt rebelle et joueuse, cette petite créature de laine, portée comme un gant par sa marionnettiste, marche sur des doigts habiles et expressifs.
Nous sommes ici témoins de scènes saisissantes de vérité et d’authenticité. Et là réside toute la surprise : on voit l’émotion jaillir de la rencontre de cette marionnettiste virtuose avec ce petit être qu’elle tient tendrement dans ses mains. Un spectacle touchant, pour enfants et adultes explorateurs.
La compagnie
Théâtre à Bout Portant
Depuis sa fondation en 2008, la compagnie privilégie un théâtre de création proposant des univers plastiques ingénieux et dynamiques et mettant à profit l’approche physique et gestuelle pour interroger des comportements tant sociaux qu’individuels. Ses spectacles s’illustrent à l’étranger dans divers événements et festivals internationaux.
Section vidéo
Conseillère aux mouvements : Valérie Villeneuve
Durée du spectacle : 60 minutes
Production Théâtre à Bout portant
Dates antérieures (entre autres)
Trois Jours de Casteliers 2013 - 9 mars 2013
Créé en 2012, Strict minimum consiste en un spectacle pour enfants qui allie le théâtre gestuel et la marionnette. Conçue et interprétée par l’artiste multidisciplinaire Vicky Côté, la pièce raconte de manière métaphorique les grandes étapes de la vie en misant sur les possibilités d’évocation que permet le corps humain. Le personnage principal prend d’ailleurs la forme d’une mignonne créature à cinq pattes qui peut faire penser à une petite pieuvre, ou encore à un genre d’extraterrestre. À la fois ingénieux et ratoureux, il cherche sans cesse à jouer des tours à sa manipulatrice, au grand plaisir des enfants.
Servant de décor à l’évolution des personnages, le corps de la comédienne est entièrement mis à contribution pour créer de nouveaux espaces de jeu. La marionnette escalade sa tresse de cheveux, se faufile dans les manches de son chandail, lui enlève ses chaussettes. Grâce à une lampe suspendue et à une autre sur pied, les changements d’éclairage se font à vue et vont jusqu’à permettre aux enfants de percevoir la silhouette d’un bébé dans le ventre de sa mère grâce à des techniques de jeux d’ombres.
Le parcours de vie reconstitué dans Strict minimum, tout en conservant les étapes charnières habituelles racontées aux enfants – la naissance, les premiers pas, le premier amour –, entraîne aussi des réflexions plus sombres que l’on retrouve rarement au théâtre, comme la perte d’un enfant en bas âge. En abordant cette question avec pudeur, le Théâtre à Bout Portant confirme qu’il n’existe pas vraiment de tabous dans le théâtre jeunesse, à condition que l’on traite de ces sujets avec délicatesse.
La mise en scène minimaliste de Vicky Côté et Mélanie Charest contribue à donner au spectacle des allures expérimentales et ludiques, à la manière de jeux d’enfants qui se racontent des histoires dans l’intimité de leur chambre. L’ajout d’un faux entracte, durant lequel l’interprète en profite pour passer un appel, brise quelque peu l’atmosphère onirique si bien mise en place durant la première partie de la pièce. Le spectacle étant pratiquement sans paroles, cet intermède très bavard s’intègre mal dans l’esthétique générale de la pièce. Toutefois, l’ambiance est vite rétablie pour la suite de l’histoire, jusqu’à une image finale forte et poétique.
Strict minimum apparaît comme un spectacle intime et riche qui déborde d’imagination. Le travail de Vicky Côté est à suivre dans le paysage théâtral actuel. En témoigne le prix John-Hirsch, que le Conseil des arts du Canada lui a remis en février dernier pour la qualité et l’originalité de sa vision artistique.
Critique de 2013, lors du passage de la pièce à Casteliers
par David Lefebvre
De la magnifique région du Saguenay, terreau fertile de la marionnette, nous provient la jeune compagnie Théâtre à Bout Portant qui cumule déjà, depuis sa création en 2008, cinq spectacles qu'elle promène un peu partout sur la planète. L'un de ceux-ci, présenté lors des Trois jours de Casteliers et intitulé Strict minimum, porte bien son titre, puisque toute l'action se passe sur et autour de la manipulatrice et conceptrice Vicky Côté.
Sous un long foulard bleu que la marionnettiste déroule, se cache un petit être bien particulier. Un gant à dix doigts, cinq pattes et cinq mèches, qui apprend à marcher et qui teste son environnement. Il s'amuse avec le pied qu'il déchausse, le nombril ou le ventre qu'il trouve « rebondissant », au déplaisir de la jeune femme. Rapidement, la créature tente de prendre le dessus sur sa manipulatrice, jusqu'à une lutte acharnée. « Y'a toujours ben des limites! » lâche finalement Vicky, pour imposer un (faux) entracte et se donner un répit mérité.
Jusqu'alors, Strict minimum donne l'impression d'un véritable terrain de jeu, une opportunité d'expérimenter plusieurs techniques ; un désir assumé de revenir à l'essence même de la marionnette, soit donner vie à une partie de soi, jusqu'à ce qu'elle acquière une existence propre. Malheureusement, les expérimentations et la trame narrative brisée, non linéaire, rappellent davantage un travail académique, voire une initiation aux techniques de la marionnette - ce qui serait une excellente idée si la pièce était adaptée pour le jeune public. Pourtant, la jeune interprète propose de très bonnes idées, dont certaines qui lui demandent de la souplesse : on mélange la manipulation et la performance de très jolie façon, en transformant le corps de la marionnettiste en castelet vivant. La deuxième partie du spectacle propose une trame plus complexe, plus profonde, ayant comme thèmes l'amour, la descendance et la perte d'un enfant en bas âge, jusqu'à offrir certaines saynètes plus abstraites. D'autres moments, comme une tentative de théâtre d'ombres sur la jupe de la protagoniste, s'avèrent moins concluants dans leur exécution.
Strict minimum fait sourire à de multiples reprises, étonne parfois par son côté mignon et plus direct, et nous fait découvrir une jeune femme très talentueuse.