Bienvenue au « lotissement du bonheur », ce quartier en miniature d’où s’échappent par des toits mansardés de petits personnages remplis d’humanité. Ils s’animent sous l’oeil bienveillant, et grâce aux soins jaloux, d’un merveilleux comédien-marionnettiste. Ce manipulateur attachant nous invite en même temps que sa petite protégée, Elle, qui a le coeur gros aujourd’hui, à découvrir tous ceux qui l’entourent et qui, eux aussi, ne l’ont pas toujours facile : Ernest, qui n’a jamais su lacer ses souliers, Adèle, qui va une fois chez papa, une fois chez maman, Josette, qui oublie tout, Léon, qui roule en fauteuil, Victorio, qui rougit pour un rien…
Si tous témoignent que la vie comporte son lot de défis et de chagrins, ils nous invitent aussi, et la petite Elle le comprendra, à regarder les choses autrement, par l’autre bout de la lorgnette, à prendre plaisir à gravir des montagnes et à aimer les Ernest de ce monde.
La compagnie
Bouffou Théâtre (France)
Bouffou Théâtre est une compagnie professionnelle qui, depuis 1986, crée et présente en France et à l’étranger des spectacles de marionnettes pour enfants et adultes.
Toujours dans une recherche de proximité et de partage d’émotions avec le public, Serge Boulier, directeur artistique de la compagnie, s’attache à mettre en scène jeu d’acteurs et marionnettes au service de propos qui tentent d’ouvrir de nouvelles portes vers de « possibles ailleurs ».
Créer des spectacles dits « Jeune Public » est en effet l’occasion pour la compagnie de rassembler enfants et parents autour d’un imaginaire, pour qu’ils partagent des émotions et, pourquoi pas, profiter de cet instant pour que les adultes s’interrogent sur leurs relations avec les enfants.
Section vidéo
Assistante à la mise en scène et direction d’acteur : Séverine Coulon
Musique : Rémi Le Bian
Costumes : Jennifer Willis
Construction décors, marionnettes : Serge Boulier et Séverine Coulon
Durée 45 minutes
Une création du Bouffou Théâtre
Pour amorcer la plus prolifique saison de son histoire, la Maison Théâtre a invité la compagnie française Bouffou Théâtre qui nous offre le délicat et intimiste Toi du monde.
Lorsque les petits et les grands enfants posent directement les pieds sur une partie de la scène réaménagée pour inclure à la fois le public et l’aire de jeu, le maître d’orchestre Serge Boulier est déjà présent sur le plateau pour les accueillir dans son univers au traitement dépouillé, mais empreint de poésie. Car en plus d’avoir écrit la touchante histoire, il prend les traits du narrateur tout en maniant les personnages, autant humains (sous forme de marionnettes à fils) qu’animaux, de cette fresque à l’atmosphère réaliste.
Avec le comédien-manipulateur, nous découvrons les lieux et les citoyens d’une petite ville tranquille en apparence, mais qui est imprégnée des péripéties de ses résidents. Le titre de la pièce souligne autant le rapport de l’individu à la société qu’il évoque par son sens homophonique des nombreux toits qui seront visités tout au long du périple de 45 minutes.
Le récit s’amorce avec les états d’âme d’une petite fille à la robe rouge et à la longue chevelure noire séparée par des tresses. Ses grands yeux au regard absent et sa bouche mélancolique expriment toute la solitude et la tristesse du monde. Un ramoneur incarné par Boulier vient à sa rencontre avec une minuscule fleur dans les mains et se donne comme défi de lui redonner le sourire. Tout à coup, la cité endormie s’éveille et nous amène à la rencontre de ces hommes et de ces femmes aux destins parfois cocasses, parfois dramatiques, mais jamais banals.
La scénographie se distingue par sa simplicité qui n’esquive jamais son ingéniosité. Ces bouts de toitures grises ou vertes foncées avec ses portes, balcons et fenêtres montés sur des planches de bois blanc illustrent très bien les liens entre les individus. La présence d’échelles, ponts suspendus et cordes à linge renforce ainsi le sens de la communauté et de la collectivité. Par ailleurs, le contraste visuel de Toi du monde frappe l’imaginaire, entre l’héroïne chagrine du début, aux traits foncés, et les autres créatures. Avec leurs visages et habits blancs aux allures de pyjama, ces dernières ressemblent à des êtres endormis émergeant d’un songe. Le traitement artisanal se déploie à nouveau, par exemple, lorsque le narrateur fait apparaître comme par magie un oiseau (conçu avec une simple feuille de papier blanc et dont il fait battre avec vigueur les ailes lors de son vol) ou encore un avion qui se promène dans le ciel (construit avec le même matériau).
Les interludes sonores caressent les oreilles, avec notamment les airs instrumentaux de guitare qui rappellent la richesse mélodique de l’œuvre de Georges Brassens. Lorsque l’homme de théâtre pousse la chansonnette, c’est la bonne humeur d’Henri Dès qui nous vient en tête.
La plus grande réussite de Toi du monde demeure sans contredit le naturel et l’aisance de son principal créateur à parler directement à son auditoire. Serge Boulier jongle avec un talent prodigieux entre ses différents rôles. Avec calme et sans jamais élever la voix, il élabore un récit cohérent tout en nuances qui rejoint facilement les jeunes spectateurs et spectatrices sans recourir à aucun artifice. Et ses histoires développent des thèmes difficiles, comme l’ouverture aux autres, les relations avec autrui malgré les différences de caractère, la dyslexie, les homonymes et même la philosophie («est-ce qu’ "avoir des ailes" ça prend deux L?») et le sens de l’entraide sans le sirop moralisateur ou les élans faussement vertueux que l’on accole parfois à ce type de répertoire. Le conteur imprègne l’ensemble d’instants cocasses, entre autres, dans l'imitation parfaite d’une conversation entre deux protagonistes, alors que l’un parle avec un chevrotement prononcé dans la gorge et l’autre en zozotant.
De telles saynètes enveloppent donc ce Toi du monde dans un écrin d’une finesse attachante. Lorsqu’une brillante parole se conjugue à une démarche inventive, le théâtre crée, comme dans cette production invitée, de bien beaux moments où triomphe l’imagination.