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Du 10 au 15 janvier 2017
Guerre et paix
pour les 14 à 17 ans
Texte Louis-Dominique Lavigne, assisté du Loup bleu (d’après Tolstoï)
Mise en scène Antoine Laprise
Avec Paul-Patrick Charbonneau, Antoine Laprise, Jacques Laroche et Julie Renault

2000 PAGES EN 100 MINUTES DE PLAISIR
Cette grande fresque pour marionnettes nous plonge au cœur des événements entourant les guerres napoléoniennes en Russie au début du XIXe siècle et relate les passions et les tourments d’un peuple affecté par le conflit. Une adaptation audacieuse, ludique, délicieusement irrévérencieuse et drôlement intelligente d’un des plus grands romans de tous les temps ! Depuis sa création en 2014, Guerre et Paix est acclamé par la critique et le public partout où il passe.

LE REGARD DU LOUP BLEU
Si Tolstoï adopte dans son roman le point de vue des Russes contre Napoléon le tyran, le spectacle, lui, nous offre en bonus le regard moqueur et mordant du Loup bleu : ce narrateur marionnette et philosophe très spirituel se permet de commenter à sa guise les grands mouvements de l’Histoire et les soubresauts des passions humaines. On en redemande !

Oui, Guerre et Paix est un véritable feu d’artifice théâtral, pourtant Tolstoï soulignerait que l’art ne doit pas que divertir, mais qu’il doit aussi faire réfléchir… Dans ce sens, le spectacle offre également une mine de réflexions et de questions sur le déterminisme et le libre arbitre. L’Histoire est menée par qui ? Dieu ? Les grands hommes ? Les soldats ? Le peuple ? Belle matière à réflexion…


Assistance à la mise en scène : Diane Fortin
Décor et lumières : Christian Fontaine
Conception des marionnettes et des costumes : Stéphanie Cloutier
Accessoires et assistance au décor : Erica Schmitz
Environnement sonore : Martin Tétreault
Assistance aux accessoires et au décor : Marcel Coulombe et Valérie Gagnon Hamel
Fabrication des marionnettes : Stéphanie Cloutier, Amélie Montplaisir et Laurelou Famelar
Répétitrice et œil extérieur : Lise Gionet

Durée 90 minutes

Une création du Théâtre du Sous-Marin Jaune et Théâtre de Quartier


Maison Théâtre
245, rue Ontario Est
Billetterie : 514-288-7211

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Dates antérieures (entre autres)

Du 28 octobre au 22 novembre 2014, La Bordée
Du 3 au 25 novembre 2015, Théâtre d'Aujourd'hui

 
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Critique

Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

Ah ce Loup bleu, à l’esprit aussi fin que son museau et aussi brillant que les boutons noirs qui lui servent d’yeux : il nous épatera toujours. Après s’être attaqué à Voltaire, à Descartes, à Montaigne et à Dieu (rien de moins), l’irrésistible canidé se consacre cette fois, avec l’aide de l’auteur Louis-Dominique Lavigne, à un monument de la littérature russe, Guerre et paix. Car Loup bleu n’est pas un loup ordinaire, lui qui transcende sa condition de simple marionnette pour nous instruire de manière éclatante, et toujours un brin spectaculaire, sur les grands esprits du monde et leurs œuvres.

La coproduction du Théâtre du sous-marin jaune et du Théâtre de Quartier commence d’ailleurs sur les chapeaux de roue avec un résumé décoiffant des 2000 pages de Guerre et paix en deux minutes top chrono. Une exécution impressionnante à l’image du spectacle, qui balade son public de Moscou aux champs de bataille et à la campagne russe, et à travers plusieurs années. En cours de voyage, Loup bleu, vêtu pour l’occasion d’un t-shirt des Pussy Riot, présente évidemment les figures importantes de l’histoire et les personnages principaux du roman-fleuve parmi lesquels ceux dont l’histoire ne se souvient jamais, paysans et chevaux enrôlés de force et premières victimes des guerres. Avec qui d’autre que Loup bleu, d’ailleurs, écouterait-on avec autant de sérieux un cheval discuter d’amour et de guerre?

Fidèle à son style, Antoine Laprise nous propose avec Guerre et paix, créé l’an dernier à La Bordée (lire la critique de mon collègue David Lefebvre un peu plus bas), une mise en scène ludique et inventive, toujours au service du propos. Sur scène se côtoient la haute société russe — ducs, dames et princes réunis dans des salons où chacun cherche sa place dans la danse —, et les petits soldats des champs de bataille, vulgaire chair à canon des chefs qui jouent à la guerre. De boîtes surgissent des armées, bataillons de fantassins, canons et cavaliers ; un matelas se transforme en paysage enneigé, en lit de mort ou en champ de bataille ; les soldats de mousse eux-mêmes perdent littéralement la tête.

Dans Guerre et paix, Tolstoï se faisait fataliste, traçant avec précision la limite entre libre-arbitre et une certaine marche prédéterminée de l’histoire. L’auteur Louis-Dominique Lavigne a de toute évidence bien étudié son sujet. Parfaite introduction à l’œuvre de Tolstoï (bien que Loup bleu conclut en disant que le spectacle nous aura donné soit envie de la relire soit de ne jamais la lire), la production est remplie de clins d’œil à la pensée très critique et résolument moderne de cet homme de lettres. Lavigne y aborde, notamment par le personnage de Pierre Bézoukhov, des sujets chers à Tolstoï, tant l’abolition du servage que la lutte des classes, la vie et la mort et le pacifisme. Toujours clair, précis et servi par une belle galerie de personnages et une distribution sans failles (dont Julie Renault en papillonnante Natacha), le texte de Lavigne joue admirablement de l’humour et de la réflexion philosophique.

Les décors aux couleurs vives signées Christian Fontaine offrent un beau terrain de jeux aux acteurs et à leurs marionnettes, elles aussi surprenantes et colorées. Les marionnettes de bois figurant Bonaparte et le général russe Koutouzov font bien de l’effet! Celles-ci donnent à la recréation de la bataille de Borodino des allures de jeux d’enfants, mais terriblement sanglants. Moscou elle-même rappelle la maison de poupée. Des références assumées alors que le plus récent numéro de la revue du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui propose aux grands enfants de mener eux-mêmes leur campagne de 1812 à découper. C’est la grande liberté de création et d’interprétation qu’offrent les marionnettes.

Spectacle épique, Guerre et paix nous fait tout à la fois découvrir sous un nouveau jour ce pilier de la littérature mondial et tomber encore plus sous le charme de Loup bleu et de son équipe, qui nous démontrent avec brio que parfois les gagnants perdent et les perdants gagnent.

07-11-2015


par David Lefebvre (2014)

Guerre
Crédit photo : Nicola Frank Vachon

Rien ne résiste au Loup bleu, le plus célèbre mammifère carnivore de notre théâtre québécois : ni la Bible, ni Montaigne, encore moins Léon Tolstoï et sûrement pas son public, toujours aussi conquis par son humour sarcastique et ses réflexions sociopsychologiques sur le monde de ses « frères humains ». En compagnie de Louis-Dominique Lavigne (au texte) et de son acolyte de toujours, Antoine Laprise (à la mise en scène), Loup bleu nous plonge au cœur de la plus grande fresque littéraire militaire russe jamais rédigée, Guerre et paix.

Ce bouquin de plus de 2000 pages, publié d’abord en feuilleton entre 1865 et 1869, brise, à l’époque, plusieurs codes du roman. Par son réalisme inéluctable et ses descriptions psychologiques, Tolstoï jette un regard fataliste sur l’histoire de la Russie à l’ère napoléonienne : quelle importance a le libre arbitre dans l’histoire du monde, alors que les événements sont sous le joug d’un déterminisme historique imparable? Est-ce que la destinée existe? Avons-nous réellement le contrôle sur le cours des choses? En homme très moderne – il sera adepte de l’abolition du servage, de la non-violence, d’un christianisme rationnel et de végétarisme, quelques traits de caractère qui seront disséminés subtilement (ou non) dans le récit – Tolstoï conteste, par l'entremise de ce roman, l’histoire de la campagne de Russie et les théories historiques et militaires de son pays.

Le Théâtre du Sous-marin jaune, en coproduction avec le Théâtre de Quartier, propose une adaptation absolument splendide et ludique à souhait de Guerre et paix, dans la veine du Discours de la méthode créé il y a quelques années. Monté sur un cheval de bois parlant, Loup bleu s’adresse d’abord au public en résumant la brique de papier, et ce, en deux minutes top chrono. La table est mise : si la création aborde les questions de l’inégalité sociale, de la liberté et de la nécessité, elle « n’y répondra pas », en clamant que « l’art doit faire réfléchir ». Et puis, c’est beaucoup plus drôle, non?


Crédit photo : Nicola Frank Vachon

Les marionnettes utilisées, qu’elles soient en chiffon à gueule ou à deux dimensions, peintes et découpées sur des panneaux de bois, donnent vie avec couleur à plusieurs personnages-clés du roman. Il faut avouer qu’avec sa centaine de personnages, Guerre et paix était tout sauf aisé à adapter : pour se faire, l’équipe de création a extirpé des pages du roman les principales trames humaines et romantiques de Pierre Bézoukhov, d’André Bolkonsky, du Comte Rostov et de sa fille Natacha, d’Anatole Kouragine, de Platon Karataïev, du Général Koutouzov, de Napoléon et… d’un ours. Ces choix narratifs s’avèrent judicieux, et la représentation des personnages l’est tout autant ; il est facile, en un coup d’œil, d’identifier rapidement les Pierre et les Koutouzov de l’histoire, sans s’y perdre – mentionnons le travail toujours impeccable de la fidèle conceptrice de marionnettes, Stéphanie Cloutier, et de ses collègues Amélie Montplaisir et Laurelou Famelart.

Si l’amour occupe une place importante dans le récit, la guerre a tout de même son mot à dire. La bataille de Borodino (à 125 km de Moscou), une réelle boucherie qui verra 70 000 hommes perdre la vie, sera mise en scène de manière tout aussi humoristique que percutante, avec des marionnettes tronçonnées aux fils sanguinolents.

Fidèle à son univers, le Théâtre du Sous-marin jaune (TSMJ) demeure dans le « low-fi », avec ses éléments de décor confectionnés à partir de carton et de bois (Christian Fontaine, Erica Schmitz, Marcel Coulombe et Valérie Gagnon-Hamel). Tous les accessoires seront utilisés de diverses manières, de façon fort créative, dont ce lit, qui occupe le milieu de la scène et qui deviendra champ de bataille ou scène d’évasion de Natacha et d’Anatole – un drap blanc secoué deviendra plaine enneigée ; une scène qui fera applaudir d’émerveillement les spectateurs lors de la première. Certaines pièces rappellent d’ailleurs quelques jouets anciens, spécialement les soldats français et russes avec leurs canons. Les éclairages de Christian Fontaine viennent ici atteindre un sommet inégalé dans les créations du Loup bleu ; l'arrière-scène colorée bleu, rouge ou orange donne le ton aux scènes, alors que les zones illuminées et d’ombre appuient superbement la trame de l’histoire. Martin Tétreault, à la conception sonore, déterre quelques mélodies cinématographiques épiques, tout en donnant un air vieillot à la création grâce à des crépitements typiques d’aiguille sur un disque vinyle.


Crédit photo : Nicola Frank Vachon

Toujours à son habitude, le jeu de la troupe du TSMJ n’est jamais uniquement concentré que sur les marionnettes : alors qu’Antoine Laprise s’occupe généralement (et avec brio) de son Loup bleu et d'Anatole, les trois autres comédiens manipulent et interprètent les autres personnages. Jacques Laroche, toujours aussi fabuleux que sympathique, joue en grande partie ce maladroit Pierre, ainsi qu’un cheval parlant. Paul Patrick Carbonneau se glisse sous les habits de plusieurs personnages avec force et conviction. Finalement, il est absolument impossible de ne pas tomber sous le charme de la nouvelle recrue, Julie Renault, fraîchement diplômée du Cégep Lionel-Groulx (cohorte 2012), sous les traits de la naïve et juvénile Natacha, poupée en main. Son jeu, irréprochable, est d’autant plus remarquable en sachant qu’elle s’attaque au monde de la marionnette pour la toute première fois.

Affublé d’un t-shirt de Pussy Riot – un clin d’œil, fort à propos, au côté anarchiste de Tolstoï et seul anachronisme du spectacle avec la comète qui viendra inspirer Pierre lors d’un moment charnière dans sa vie, représenté par le satellite Spoutnik (qu’il aurait été jouissif de voir davantage de ces ajouts dans la pièce!) – Loup bleu remporte le pari très risqué d’adapter à la scène ce gigantesque récit qu’est Guerre et paix, tout en le rendant hilarant et immensément accessible. Selon la neurologie moderne, comme le Loup le mentionne en conclusion, il existerait un délai entre la prise de décision et la conscience de cette décision, mettant le libre arbitre au banc des chimères. Cela dit, vous n’avez d’autres choix que de voir ce spectacle, puisque le rater de façon délibérée serait une aberration. Tout le monde à La Bordée!

30-10-2014