Du haut de ses dix ans (et demi !), Xavier essaie de faire réagir sa maman qui vit dans sa chambre comme un poisson rouge dans un bocal. À la suite d’une de ces peines qui vous submergent comme une vague, elle ne parle plus, n’entend plus rien. Avec la complicité de ses amis Imma et Mika, Xavier passe à l’action pour ramener à la surface cette maman-poisson-rouge qui oublie l’anniversaire de son fils et n’a même plus l’air de se rappeler la recette du méga-supra-délicieux-gâteau-au-chocolat !
On éprouve du bonheur à voir cet attachant trio d’amis utiliser, avec beaucoup de créativité, tous les moyens du bord pour nous faire revivre, de façon drôle, inventive et souvent folle, l’histoire familiale dramatique de Xavier. En résulte un spectacle lumineux, où ce qui aurait pu résonner gravement se dessine tout en finesse, à travers le jeu.
La mise en scène du spectacle s’appuie sur des objets qui sont familiers aux enfants : dessins sur des boîtes de carton, silhouettes découpées, tissus, lampes de poche… Ces outils simples permettent au personnage de Xavier de s’approprier son histoire, d’en adoucir les contours. Cette façon de faire suggère en filigrane que chaque enfant a à portée de main les moyens de raconter sa propre histoire, de se délester de ses petites et grandes peines ou de partager ses moments de bonheur.
Scénographie et accessoires : Anne-Marie Bérubé
Musique : Olivier Monette-Milmore
Illustrations : Catherine Côté
Éclairages : Jeanne Fortin-L.
Régie (lumière, son et vidéo) : Maude Serrurier
Durée 55 minutes
Une création du Théâtre de l’Avant-Pays
Dates antérieures (entre autres)
Plusieurs dates depuis la création sur le circuit des Maisons de la culture
Avec son titre qui pique la curiosité, Ma mère est un poisson rouge laisse présager une œuvre fantaisiste ou aux accents absurdes. Or, la production du Théâtre de l’Avant-Pays réussit à bien intégrer des propos plus graves et des enjeux existentiels, ces jours-ci à la Maison Théâtre.
Créée le 31 octobre 2013 à la Maison des arts de Laval, la pièce est écrite et dirigée par Marie-Christine Lê-Huu. L’auteure, également comédienne, avait signé pour la compagnie, dont elle assure présentement la direction artistique, Le Voyage et Une forêt dans le jardin. Par ailleurs, certains spectateurs ont eu la chance de voir, le printemps dernier, le plus récent spectacle du Théâtre de l’Avant-Pays, Mémoire de Lou, de Julie-Anne Ranger-Beauregard, lors du Festival Petits Bonheurs.
Pendant près d’une heure, Ma mère est un poisson rouge raconte les péripéties et les états d’âme d’un attachant garçon de dix ans et demi, Xavier, qui vit avec une mère aux prises avec un chagrin aussi immense que la mer. Celle-ci ne sort plus de sa chambre et ne parle plus à son fils. Sa vie ressemble à celle d’un poisson rouge dans un bocal. Mais le protagoniste saura utiliser la ruse afin de ramener la joie dans son cœur. Deux amis dévoués l’aideront dans sa quête, Imma et Mika.
Lauréat d’un prix de la bourse RIDEAU en 2014, la production se démarque par le mariage d’une variété de tons qui oscille entre la comédie et le drame, par ses différentes technologies et par sa trame sonore éclectique. Celle-ci navigue entre de très agréables solos de contrebasse, quelques touches d’accordéon (porté en bandoulière par Imma) et de courts extraits plutôt rock. Durant les premières minutes, le trio d’interprètes a recours à des illustrations pour dévoiler les fils d’un récit parfois échevelé, mais souvent insolite. Plus tard, une caméra vidéo filme en gros plan du sucre répandu sur une table lors de la préparation d’un gâteau de fête, du sucre qui devient quelques instants plus tard le sable chaud d’une plage. Le décor constitué de boîtes de carton (qui sont déplacés par les artistes du début à la fin) situe les lieux de l’action, comme la salle de classe, la maison de Xavier et même une croisière sur un bateau dans les îles Fidji. Une telle ingéniosité dans l’exécution des péripéties constitue l’une des forces de la production, dont un passage très réussi se déroulant dans la quasi-obscurité, avec seulement des lampes de poche comme éclairage.
Le moment le plus comique de la représentation surgit un peu avant la fin, alors que Babouchka, la surprenante grand-mère de Mika (qui apparaît successivement sous les traits d’une radio d’une autre époque et, par la suite, comme une figurine miniature) se perd dans la ville. Les trois comparses tentent de la retrouver. En pleine heure de pointe, la vieille dame frôle les pare-chocs. Pour recréer une atmosphère aussi frénétique, les acteurs manipulent, entre autres, une auto miniature et une simple planche en bois placée en position verticale. Cette course contre la montre (et même contre la mort) fonctionne à merveille et suscite des échos enthousiastes auprès du public.
Les interprètes s’avèrent toujours crédibles et parfois franchement drôles, surtout Sasha Samar, en Mika, avec son humour prodigieux et sa notable habileté physique. Jean-François Pronovost et Isabelle Lamontagne démontrent également une vive sensibilité, par exemple lorsque celui-ci lance des répliques empreintes de poésie du quotidien («j’ai un peu oublié les choses de l’école et c’est pour ça que… les notes se rapprochaient du point de congélation» ou encore «mon cœur battait tellement fort que j’avais l’impression que le voleur pouvait l’entendre, dehors»). Ici et à d’autres occasions, l’écriture de Lê-Huu sait attendrir, cajoler ou provoquer les rires sans lourdeur.
La seule réserve concerne le témoignage laconique de Xavier sur la tragédie de sa famille. Les événements du deuil sont à peine effleurés vers la fin du périple, alors que les deux complices tentent quelques blagues qui tombent à plat. Heureusement, la conclusion est imprégnée d’une belle tendresse. Comme pour Mémoire de Lou, Ma mère est un poisson rouge conjugue finement une langue imaginative à des questionnements perspicaces sur les joies et les peines de l’enfance.