Alice, la cadette d’une famille de trois enfants, n’ira pas à l’école le jour de la rentrée, elle qui en rêvait depuis que l’aînée avait eu son premier sac d’école. À l’annonce d’une nouvelle inattendue, ses parents et ses deux sœurs l’entoureront de tout leur amour pour l’aider à traverser les différentes épreuves de la maladie. Deux ans après le diagnostic, Alice s’éteindra paisiblement et la dynamique familiale sera à réinventer. Elle ne sera jamais oubliée, elle restera toujours vivante dans le cœur de cette famille unie.
LES MOTS POUR LE DIRE
Reconnue internationalement comme l’un des chefs de file de la dramaturgie pour jeunes publics, Suzanne Lebeau nous offre ici un texte poignant, qui aborde une vérité troublante, mais toujours avec une sérénité tendre, redonnant espoir en la vie qui continue. Les groupes d’enfants avec qui l’auteure a partagé son travail ont été sensibles au fait que cette histoire leur parlait surtout de la vie et d’une famille dans laquelle ils pouvaient se reconnaître.
Tout comme les parents d’Alice, les adultes peuvent avoir envie de protéger les enfants des émotions difficiles. Il est possible que cette histoire vous fasse passer par différentes émotions et il en sera de même pour les jeunes que vous accompagnez. Le spectacle est conçu pour eux, il leur donne quelques réponses et il sème de l’espoir. Cette œuvre forte propose une grande leçon de lucidité et d’humanité.
Section vidéo
Assistance à la mise en scène : Marie-Eve Huot
Costumes : Sarah Lachance
Scénographie : Stéphane Longpré
Environnement sonore : Diane Labrosse
Éclairages : Dominique Gagnon
Maquillage et coiffure : Pierre Lafontaine
Durée 50 minutes
Une création de Le Carrousel
Par son titre intriguant, la pièce Trois petites sœurs évoque un autre trio sororal, celui de l’œuvre tchékhovienne en quête d’un Moscou fantasmé. Ici aussi, le thème de la perte domine dans cette nouvelle création du Théâtre Le Carrousel, présentée en première mondiale. À la Maison Théâtre, c’est un hymne à la vie autant dans ses aspects les plus graves que dans ses éclats lumineux qui happe en plein cœur les spectatrices et spectateurs, toutes générations confondues.
Conçue initialement pour les huit à douze ans, la nouvelle réalisation du tandem constitué de Suzanne Lebeau à l’écriture et de Gervais Gaudeault à la mise en scène s’inscrit d’emblée parmi leurs précédentes collaborations. Certaines de celles-ci ont marqué d’une pierre blanche le répertoire québécois, avec L’Ogrelet, Petit Pierre et surtout Contes d’enfants réels, dontla reprise l’an dernier en a démontré encore toute la pertinence. Des similitudes entre elles et ces Trois petites sœurs sont perceptibles autant dans la finesse du traitement de ses thèmes parfois douloureux que par son exécution scénique.
Pendant près d’une heure, nous suivons les péripéties d’une famille constituée d’un papa sensible, d’une mère dévouée et de trois gamines qui aiment jouer à la corde à danser en chantant «crème glacée, limonade sucrée, dites-moi le nom de ton cavalier». La cadette s’appelle Alice, et «ça ne s’invente pas», comme le confie avec douceur son père en amorce de l’histoire. Pourtant, la petite fille ne se rendra pas au pays des merveilles. Le jour de la rentrée scolaire, elle ne peut rejoindre ses copines. Un diagnostic de cancer chambarde son existence et, par conséquent, celle de ses proches qui l’entourent d’affection durant les étapes de ses traitements, avec l’espoir d’une rémission possible. Deux ans après les premiers symptômes de la maladie, la gentille Alice s’éteint en toute quiétude. Ses parents et ses deux sœurs doivent réinventer une dynamique différente, mais sans jamais oublier la défunte qui continuera d’exister dans leurs âmes.
Le travail de Gervais Gaudreault se démarque par sa sobriété et son économie de moyens. En effet, du début à la fin de la représentation, chacun des mouvements, des gestes ou des paroles, ressemble à un petit caillou jeté dans l’eau. Alors qu’une œuvre comme Gretel et Hansel (signée également par Gervais Gaudreault) prenait plaisir à explorer des zones plus obscures et énigmatiques, l’élaboration des Trois petites sœurs privilégie une clarté et une simplicité toujours au service du texte. Sur un plateau quasiment dépouillé, trône au centre une longue surface qui ressemble à une feuille de papier. Seuls quelques accessoires intègrent le récit, dont une corde rouge qui sert à la fois pour les jeux d’enfants du début et dans l’une des scènes les plus poignantes. Dans cette dernière, Alice se retrouve au centre du groupe et reproduit avec les membres de sa famille une séance de tir à la corde, symbolisant parfaitement les dilemmes déchirants subis au quotidien. Des magnifiques éclairages de Dominique Gagnon, dans la lignée de ceux tout aussi mémorables des Contes d’enfants réels, imprègnent à de nombreuses reprises l’action d’un sentiment de beauté et de grandeur.
Tous les concepteurs se portent à l’attention des mots de Suzanne Lebeau. Car ce sont eux qui rendent aussi émouvante toute cette aventure exigeante. Souvent abordées dans diverses formes artistiques, les questions de la maladie et du deuil à vivre après la perte d’un être cher demeurent toujours des réalités difficiles à transposer sans effets grandiloquents ou pathos excessifs. L’écriture des Trois petites sœurs rejoint, entres autres, le long-métrage La chambre du fils du réalisateur italien Nanni Moretti (sur le décès par accident d’un adolescent) par leur sobriété et leur approche épurée à dire tout bas les grondements, la détresse et le désespoir qu’entraîne la disparition d’un membre de la famille. Une telle maîtrise du sujet tout en nuance, sans jamais forcer la note, mérite le respect.
Les membres de la distribution insufflent une grande justesse dans leurs rôles respectifs. Émilie Lévesque est saisissante dans la peau d’une Alice qui ne tombe pas dans l’apitoiement. Ses deux frangines (la grande et la petite), campées par Émilie Dionne et Catherine Leblond, offrent également de jolies nuances à leur prestation. Simon Rousseau compose une figure paternelle loin des stéréotypes virils, toute comme Agathe Lanctôt qui rend cette mère courageuse sans mièvrerie.
Lors de la tombée du rideau, des bruits de sanglots se faisaient entendre. Une production comme Trois petites sœurs touche à l’essentiel avec une ferveur frémissante pour le théâtre et les humains.