Dans un quartier de Belgrade, trois enfants jouent à la famille : Milena (la mère), Vojin (le père) et Andria (le fils). Les relations qu’ils recréent sont rigides et violentes, et le père est le maître suprême. Bientôt, ils découvrent Nadejda, une enfant cachée derrière une benne à ordures. D’abord effrayés par cette fillette au visage et au corps déformés par des tics incontrôlables, les trois enfants concluent enfin qu’elle n’est pas dangereuse. Du coup, elle est adoptée et devient le membre manquant de cette famille dysfonctionnelle : le chien. Avec humour et cruauté, Milena, Vojin, Andria et Nadejda se lancent alors dans leur interprétation d’une société aliénée par la guerre et par un système moribond. Jusqu’au jour où la réalité rattrape leur fiction… « Dans cette pièce, ce sont des adultes qui jouent aux enfants qui, à leur tour, jouent aux adultes. Cela n’a rien d’étonnant. Il y aura suffisamment de raisons de s’étonner. »

Présentée pour la première fois au Québec, Histoires de famille a suscité un intérêt passionné lors de ses nombreuses créations autour du globe, de par sa nature dramatique et spectaculaire totalement inédite, qui propose un dévoilement du mécanisme de création de la violence dans les jeux d’enfants. Traduite en 20 langues, cette pièce a fait de son auteure Biljana Srbljanovic, jeune dramaturge serbe ayant vécu les conflits de l’ex-Yougoslavie, une voix essentielle de l’Europe théâtrale contemporaine. Pour son entrée montréalaise, le metteur en scène d’origine roumaine Theodor Cristian Popescu nous convie à faire l’expérience du baril de poudre balkanique, un microclimat
contagieux : « La violence ludique et l'humour méchant et politiquement très incorrect qui constituent mon héritage vous arrivent avec ce spectacle à la fois innocent et coupable, comme nous tous. »

Théâtre Prospero (Salle intime), 1371, rue Ontario Est
Représentations du mardi au samedi à 20 h 15
Billets : 23 $ // Étudiants et aînés 17 $
Groupe 15 $ // Étudiants théâtre 12 $

de Biljana Sbrljanovic

Mise en scène Theodor Cristian Popescu

Avec David Buyle, Vitali Makarov, Maria Monakhova et Cristina Toma

Du 5 au 23 octobre 2004

par Julie Lacasse

Des histoires de familles.

La salle intime du Prospéro présente ces jours-ci, en première québécoise, la pièce « Histoires de famille » de Biljana Srbljanovic, une jeune dramaturge montante originaire de Belgrade.

Cette pièce présente 3 enfants (interprétés par 3 adultes) qui jouent à la famille, dans une société délabrée par les années de guerre qu’elle a connue. Une société post-communiste où le retour à l’abondance semble être une utopie. Ils interprètent le père, la mère et l’enfant dans une sorte de rituel entendu, comme s’ils jouaient à ce jeu très souvent. On assiste donc à une série de scènes voguant entre le grotesque et la violence, une évidence du désarroi qui habite maintenant la cellule familiale, qui gruge les rapports entre les générations. Car les parents ont connu l’avant-guerre tandis que les enfants y sont nés, nourris de son paysage dévasté.

Chaque bribe d’histoire dévoile un type de violence. Il y a la violence physique, l’enfant et la femme qu’on bat ou celle insidieuse qui doute des siens, qui dénonce et enferme. Et à chaque fois, dans un trouble absurde, l’enfant tue ses parents, presque nonchalamment et sans remords. Combustion, étranglement, couteau à la gorge. L’enfant accompli sa libération.

Le texte est très intéressant, nous laisse perplexes face à l’espoir du retour de la prospérité. Les parents vivent dans la peur, dans la domination du père, dans l’économie et la privation. Les enfants, en jouant ces rôles, disent tout haut le vide d’amour et de liberté, le vide de gestes gratuits, hormis le meurtre et l’humiliation qui prévaut dans leur quotidien. Vaudrait-il mieux fuir ce pays dévasté? On pose la question.

La mise en scène est l’œuvre de Theodor Cristian Popescu, originaire de Roumanie et maintenant installé à Montréal. « Histoires de famille » est sa première création en sol québécois.

Ce qui frappe d’abord c’est l’éclairage cru sous lequel on regarde le jeu. La toute petite salle intime baigne dans une lumière d’ampoule, dans une lumière de quotidien. Cela nous transporte donc immédiatement dans le même lieu que les enfants, il n’y pas de distance entre les spectateurs et les comédiens.

Le décor, quant à lui, est très simple. Un vieux tapis déroulé sur le béton, des bidons d’essence, des papiers qui traînent et des graffitis. Nous sommes sans équivoque dans un bâtiment en ruines. Un lieu parfait pour les jeux secrets des enfants qui se servent de ce qui traîne pour créer (parfois de façon très originale) des accessoires : assiettes, ustensiles, télévision, dactylo, armes.

Tous les comédiens, à l’exception de David Buyle (le père) qui est diplômé du Québec, sont originaires d’Europe de l’Est. Ainsi, on entend les accents, ce qui est plutôt savoureux. À noter l’excellente performance de Vitali Makarov (l’enfant) et de Maria Monakhova (la mère). Ils réussissent à nous faire oublier qu’ils sont des adultes par des décrochages propres aux enfants qui jouent et qui, d’un coup, éclatent de rire ou se mettent en colère.

L’entrée d’un quatrième personnage au milieu du jeu intègre une autre dimension à la pièce. Les enfants découvre un autre enfant, caché et apeuré et décident d’en faire un élément de leur jeu en l’attachant à un poteau. C’est le chien de la famille. Cette situation nous laisse voir les enfants hors du jeu, face à l’étranger. Il est saisissant de constater la violence insidieuse de leur comportement et on se demande jusqu’où ils iront, eux pour qui la normalité ressemble à des attaques imprévisibles et à des édifices démolis.

C’est une pièce qui porte à la réflexion car la guerre, nous ne la connaissons pas ici. Mais cette réalité se laisse comprendre justement parce que l’enfance et le jeu sont des données universelles qui nous interpellent tous. Guerre ou pas, les enfants sont parfois cruels.