Du 4 au 15 décembre 2007 (salle intime)
Les émigrés
Texte : Slawomir Mrozek
Conception et mise en scène : Alexandre Marine
Avec Peter Batakliev et
Vitali Makarov
Son : Dmitri Marine
Au coeur de la pièce se trouvent deux émigrés : AA, un réfugié politique intellectuel (interprété par Vitali Makarov) et XX, un « manuel » possédé par l'idée de gagner de l'argent pour sa famille (interprété par Peter Batakliev). Les deux personnages, issus d'une même culture, mais diamétralement opposés, passent le réveillon de Noël, en se chicanant, enfermés dans un sous-sol. Cette confrontation laisse paraître le mal de vivre des exilés, conjugué à la dissemblance sociale des protagonistes. La confrontation atteint son apogée quand « le manuel » détruit l'argent si difficilement gagné et tente le suicide, pour déboucher sur une réconciliation difficile.
L'oeuvre de Mrozek n'a pas perdu son acuité avec le temps. L'humanité qui existe et règne dans la pièce est aussi présente aujourd'hui qu'en 1974, quand Mrozek l'a écrite, et qu'en 1995, quand le Théâtre Deuxième Réalité l'a présentée pour le public montréalais. Le génie de Slawomir Mrozek, lui-même émigré plusieurs fois, consiste dans la capacité de dépeindre les sentiments universels des exilés: la solitude, la perception de la différence, la distance sociale, la proximité forcée par la communauté de la langue, l'isolement, le sentiment d'être étranger, la déchirure entre deux mondes. Bien sûr, la guerre froide, la raison tacite de l'émigration des personnages de Mrozek, n'est plus. Par contre, dans notre monde politiquement instable et économiquement déséquilibré, la réalité des réfugiés de guerre, des réfugiés politiques, et des travailleurs semi-légaux qui s'exilent durant des mois pour souvenir aux besoins de leurs familles demeure toujours. Depuis des années, le Québec est une destination de choix pour les héros de Slawomir Mrozek. N'oublions pas les débats autour des accommodements raisonnables, qui se déroulent présentement.
Une production Théâtre 2R
Théâtre Prospero
1371, rue Ontario Est
Billetterie : 514-526-6582
par Aurélie Olivier
Une chambre dans un sous-sol, sans fenêtre, avec pour tout mobilier deux lits en fer, une table et deux chaises. Tel est le lieu où vivent AA et XX. Pas de commode, pas d’armoire, c’est dans leur valise que ces deux exilés rangent leurs rares effets personnels. AA (Vitali Makarov) est un réfugié politique, un intellectuel, bien décidé à écrire une thèse sur l’esclavage. Quant à XX (Peter Batakliev), c’est pour gagner de quoi faire vivre sa famille qu’il a quitté son pays. Bien qu’ils soient issus d’une même culture, tout oppose ces deux hommes. « Nous on se comprend », dit XX. Ironie... Enfermés dans leur sous-sol, des bribes de musique parvenant jusqu’à eux, ils fêtent le nouvel an, se remémorant leur pays, révélant leurs rêves, se dévoilant et finissant par se déchirer. Non, ils ne se comprennent pas. Mais même s’ils sont imprégnés d’un mépris réciproque (l’intellectuel méprise l’ouvrier près de ses sous qui travaille comme une bête de somme; l’ouvrier méprise l’intellectuel qui vit du bien-être social au lieu de travailler) ils ont, d’une certaine façon, appris à s’aimer.
Bien que souffrant de quelques longueurs et assez inégale dans l’ensemble, la pièce de Slawomir Mrozek dépeint avec force les sentiments que ressentent probablement tous les émigrés du monde : la solitude, l’isolement, le déracinement, le déchirement entre sa terre d’origine et sa terre d’accueil… Mais, au-delà, c’est bien sur la condition humaine que l’auteur polonais nous amène à réfléchir. Émigré ou non, qui ne s’est jamais interrogé sur le sens du mot « liberté »…?
Les Émigrés ont d’abord été joués en anglais, puis en russe, la langue maternelle de tous les membres du Théâtre Deuxième Réalité, avant d’être repris en français. Mêlant la réalité à la fiction, la musicalité de l’accent des comédiens nous rappelle constamment qu’eux-mêmes sont des exilés, ce qui ajoute à l’émotion ressentie. Malheureusement, on sent parfois que la langue handicape Vitali Makarov, qu’il lui faut un temps pour nous transmettre les mots en français, ce qui alourdit quelque peu le rythme du spectacle, surtout au début. Ses mimiques constantes pourront aussi agacer un peu. Peter Batakliev est beaucoup plus à l’aise. Du début à la fin, il transmet les nuances de son personnage avec énormément de justesse, tour à tour parasite attachant et homme blessé au plus profond de son être.
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Alexandre Marine, dont la mise en scène de Marie Stuart a connu un franc succès au Rideau Vert au début de l’automne, a parfaitement exploité le petit espace de la salle intime du Prospero. Bizarrement, elle semblait plus grande que d’habitude. Peut-être grâce à cet écran incliné coupant un angle, tantôt bleu, tantôt rouge, le plus souvent couleur métal. On aurait d’ailleurs aimé qu’il soit plus exploité. La scénographie et les accessoires – une pile de livres, quelques photos sur le mur, une valise sous le lit, une bouilloire dans un coin –, minutieusement pensés, donnent un caractère très réaliste à l’habitat de fortune représenté. De même pour ce qui est de la bande sonore, faite de bruitages plus que de musique. D’une manière générale, la mise en scène est extrêmement précise : les gestes des comédiens, leurs déplacements sont savamment orchestrés, et les rapports de pouvoir qui existent entre eux transparaissent subtilement.
Malgré ses imperfections, le spectacle procure quelques moments d’une émotion si intense, si déchirante, qu’ils justifient à eux seuls le déplacement. On voudrait les prendre dans nos bras ces émigrés-là, les inviter à notre table, porter un peu de leur fardeau, et, au final, les remercier de nous avoir aidés à renouer avec notre humanité.
07-12-2007