Texte de Amélie Nothomb
Mise en scène d'André-Marie Coudou
Avec Bernard Carez, Philippe Cyr et Stéphanie Cardi
« Brûler ces bouquins que j’ai décortiqués pendant dix ans, puis encensés pendant vingt ans, ça me fait rigoler! »
Que vaut un livre en comparaison d’une vie humaine? Pèse-t-il plus ou moins qu’elle ? Vaut-il
mieux brûler de belles phrases pour se réchauffer ou mourir de froid ? Qu’est-on prêt à sacrifier
si notre vie est menacée ? Et si une vie humaine vaut davantage qu’un livre ; que vaudra
l’humanité si tous les livres disparaissent ? Sera-t-elle en mesure de garder un visage un tant
soit peu humain ?
Le metteur en scène André-Marie Coudou – mentionnons qu’il est, tout comme l’auteure, d’origine belge et établi à Montréal depuis quelques années –, revisite ce texte fameux d’Amélie Nothomb, en se demandant si les véritables combustibles, ce ne sont pas, au fond, les trois personnages qui brûlent puis se consument au fur et à mesure de l’avancée de l’action.
C’est la guerre, c’est l’hiver, il fait froid, dehors les barbares saccagent… Dans un appartement dominé par une bibliothèque, un professeur d’université a recueilli son assistant, Daniel, et l’amante de ce dernier, Marina, une jeune étudiante. Ils crèvent de froid et pour se chauffer, il ne reste plus que les livres à brûler. Le professeur s’accroche à un roman sentimental. Daniel, idéaliste, s’accroche aux idées que le professeur lui a inculquées sur la littérature, mais celles-ci ne lui permettent plus de comprendre le chaos qu’est devenu la vie. Et pour Marina, qui ne veut pas mourir, tout est bon à brûler, même une bibliothèque. Humour, ironie et désespoir sont au rendez-vous de cette unique pièce d’Amélie Nothomb.
Concepteurs Yves René Morin, Alexandre Tougas, Thibault Larquey, Noémie Avidar
Une production du Théâtre l’Instant
Prospero
1371, rue Ontario est
Billetterie : (514) 526-6582
par Daphné Bathalon
À la naissance du brasier
Grésillements radiophoniques, voix de reporter, annonce officielle : la Flandre déclare unilatéralement son indépendance.
Pour son adaptation du roman les Combustibles d’Amélie Nothomb, le metteur en scène belge André-Marie Coudou a décidé de faire un clin d’œil à la situation politique de son pays d’origine. Le Prospero et le Théâtre l’Instant proposent jusqu’au 4 octobre ce huis clos de l’enfant chéri de la littérature francophone.
Au cœur d’une ville bombardée, située quelque part en Belgique (en vérité, ce pourrait bien être n’importe où), dans un appartement glacial, deux hommes et une femme combattent jour après jour afin de garder leur humanité. Mais ils ont froid, c’est la guerre et parce que c’est la guerre, ils acceptent de brûler les livres qui leur sont si chers. Chaque livre ainsi sacrifié au nom de la survie les pousse un peu plus vers l’animalité. Tant dans les mots que dans les gestes, les limites de l’acceptable s’évanouissent. Puis les anciennes relations, celle de maître à élève ou celle entre amoureux, disparaissent et des nouvelles s’imposent, plus primaires. Dès lors, les échanges verbaux ne sont plus de simples joutes oratoires, ils déterminent la part d’humanité qui reste en chacun des survivants.
Considérée par plusieurs comme la plus théâtrale de toutes les œuvres de Nothomb, les Combustibles reposent sur des dialogues forts entre trois personnages au caractère trempé. Bernard Carez incarne avec justesse un professeur passant de la parfaite maîtrise de lui-même à un être qui se raccroche comme il peut à sa dernière parcelle d’humanité : un roman niais qu’il a démoli devant ses étudiants pendant des années. Au fil de la représentation, le respect qu’inspire d’abord le professeur se mue en répulsion envers celui qui se dépouille peu à peu de toute compassion humaine. Face à lui, Marina (Stéphanie Cardi) paraît plus hystérique que frigorifiée et Daniel (Philippe Cyr), l’élève, paraît plutôt pâlot. Ils ont pourtant en bouche des répliques implacables, des vérités crues sur la nature humaine. Malheureusement, le spectateur n’a pas le temps de les saisir au vol, car le tourbillon des paroles est trop précipité dans la bouche des comédiens. Les livres brûlent, la guerre fait rage, mais le brasier refuse de prendre : le texte est puissant et les interprètes pas assez intenses pour cette flambée littéraire.
Élément intéressant de la mise en scène : l’absence de murs renforce l’impression de confinement, les personnages étant restreints aux quelques planches inclinées vers le public. La trame sonore éclectique (création originale de Karl Turpin) construit également l’espace. Entre deux bombardements, elle fait entendre une version complètement parasitée de la célèbre Marieke de Brel. L’espace résonne de grésillements et de sifflements, c’est la guerre. Toutefois, l’ambiance angoissante créée par cette trame sonore ne suffit pas à faire ressentir l’état de siège dans lequel vivent les personnages, chaque fois qu’ils sortent leurs masques à gaz, le geste paraît absurde.
« Si la guerre a pu vous apprendre que nous étions des animaux, c’est déjà bien » déclare le professeur à son élève. Quant à nous, l’autodafé nous laisse trop souvent froids, hors du débat. La production du Théâtre l’Instant ne nous plonge pas suffisamment dans l’histoire. On ne se sent pas concernés par la guerre que se livrent les personnages pour déterminer quels livres méritent de devenir des combustibles.