One-man-show de et avec Martin Boileau
Gustave K est le prototype de l’homme ordinaire croisé au coin d’une rue, dans l’ascenseur d’une tour à bureaux, dans le rayon d’un supermarché ou dans le transport en commun. Ce petit homme gris sans histoire, en apparence neutre et banal, nous ouvre un monde inaccessible dans les détours de sa conscience et de son inconscient. Il est habité par de multiples obsessions qui l’amènent à interroger sa vie. Entre détresse, perdition et hyper conscience, le personnage est prisonnier de hantises diverses :
la beauté, l’argent, le jeu, la vitesse… Ses obsessions sont un peu les nôtres.
Tout à fait obsessionnel est le premier spectacle d’une série mettant en scène le même personnage, Gustave K. Cette production fut Récipiendaire de 3 Coups de pouce au festival Vue sur la relève, édition 2006.
Conseiller à la mise en scène et à l’interprétation Sébastien Guindon
Concepteurs Patrice Massicotte et Martine Richard
Date Premières : du 3 au 106 février 2010
Régulier 21$
Carte premières : 10,50$
Les productions Diablo Corps
Prospero - salle intime
1371, rue Ontario est
Billetterie : (514) 526-6582
par Mélanie Viau
L’homme moderne, ou l’homme de masse, est devenu, par concept populaire, le nom donné à la maladie mentale de la société urbanisée, électronisée, hyper informée et totalement épuisante sur le plan psychique et physique. Une société « schizoïde », formée d’individus individualisés, apeurés, peu socialisés, qui s’autocomplaisent dans leur propre déchéance. Un portrait pas très rigolo de notre condition actuelle, mais sans doute devons-nous nous demander pourquoi il est si difficile de parler à autrui, de sortir de notre coquille, de notre solitude, de nos ridicules obsessions.
Tout à fait obsessionnel n’a pas la prétention d’exposer une solution à ce malaise. Sous la forme ô combien pertinente du one man show, il l’évoque, lui donne chair et, par le pur phénomène de distanciation, agit comme une gifle au visage d’un public qui se retrouve face à son propre clown.
Dans une écriture aussi lucide que ludique, Martin Boileau nous présente, avec un humour incisif, Gustave K, prototype de l’homme moderne, petit fonctionnaire ordinaire passant ses journées à dialoguer avec les «autrui» de son for intérieur. N’arrivant plus à vivre avec lui-même, celui-ci se dédouble, se dépersonnalise au point de devenir l’objet de ses propres cogitations. Sa langue se construit en représentations inconscientes, en images tordues, en calembours, en mot-valise, et tout en rimes il fait part au public de ses phobies, ses envies et ses réflexions comparatives entre l’humain et le bain, le pain, le chien. Maladivement seul, il a pour maîtresse une machine à sous qu’il active avec la même rapidité que le débit de ses paroles et ses pulsations cardiaques. Étourdi, le spectateur cherche à s’accrocher aux mots, mais rien n’est fixe dans l’esprit du monomaniaque et les risques de décrochage sont nombreux. Demeurer attentif à un monologue aussi fuyant demande un réel effort, et en constatant la parfaite maîtrise vocale qu’en a son auteur, on a vite envie de crier au virtuose.
Et puisque le corps parle lui-même des états inconscients, Martin Boileau, qui a d’ailleurs été formé à l’école Jacques Lecoq et au Laboratoire d’études du mouvement à Paris, offre une véritable performance gestuelle où la pantomime, les tics et animosités de tous genres viennent ajouter des couches de sens supplémentaires au propos. Avec une immense générosité, il dore son personnage d’une expressivité si intense qu’on pourrait la nommer à certains endroits d’exorcisme. Grimaces, torsions, rires hystériques et danses endiablées viennent animer le quotidien intérieur de Gustave K dans ses allers et venues entre des lieux qu’il n’arrive pas à habiter.
La mise en scène (codirigée par Sébastien Guindon) s’opère dans un mouvement constant, figurant le trajet routinier du personnage dans une vitesse aussi réaliste qu’effrayante. La scène nue, meublée uniquement de quatre chaises inconfortables, change de visage au gré des éclairages suggestifs de Martine Richard et se dote d’une puissante charge émotive grâce aux airs de guitare et piano de Patrice Massicotte.
D’une profonde intelligence créative, Tout à fait obsessionnel nous prouve une fois de plus le sens sacré du théâtre qui a le pouvoir de célébrer, de réfléchir et de partager, collectivement, l’humain dans toute sa complexité. Du coup, il nous offre un espace de réunion, à l’abri de la solitude et des tempêtes intérieures.