Texte de Eugène Ionesco
Mise en scène Francis Cantin
Avec Louis-Philippe Labrèche, Kena Molina, Frédéric Sasseville Painchaud, André Perron, Chantal Therrien
Jeune et fleurissant hier, le royaume du roi Bérenger 1er n’est plus ce qu’il était. La terre se fissure, la population vieillit prématurément et l’ensemble du territoire risque de tomber dans un trou qui s’agrandit de jour en jour. La raison de ce trouble ? Le Roi se meurt ! Refusant d’abdiquer, Bérenger se verra guider sur la voie du détachement par Marguerite, sa première épouse. Retenu par son narcissisme et ses fidèles, il arrivera, non sans peine, au dépouillement.
La cérémonie préparée pour la mort du roi évoque des formes orientales. Dans son texte, Ionesco cache le souvenir de la culture millénaire du Tibet, avec ses rites et son livre des morts. Les Productions Empremier veulent explorer cette association à une culture lointaine dans leur production d’une pièce
dite “classique” de la dramaturgie française.
Avec Le Roi se meurt, Les Productions Empremier plongent dans l’univers intime de Ionesco et dans les angoisses de l’auteur face à la mort, bien présentes dans le personnage du roi. Ce dernier, égoïstement, refuse que le monde lui survive. Seule la sagesse de Marguerite lui permettra de se rallier au grand tout universel d’où nous provenons tous et où nous retournons.
Concepteurs Gabrielle Dumont Dufresne, Sabrina Paquette-Godin, Camille Picher, Christine Plouffe
Crédit photo : Olivier Rioux.
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Les Productions Empremier
Prospero
1371, rue Ontario est
Billetterie : (514) 526-6582
par Olivier Dumas
Le roi est mort, vive le roi! Théâtre de l’absurde, l’œuvre d’Eugène Ionesco se moque allègrement de l’existence humaine. Comme première expérience professionnelle, Les Productions Empremier s’attaque à sa tragi-comédie Le roi se meurt que plusieurs considèrent comme son chef-d'œuvre artistique. Bien que la mise en scène de Francis Cantin rende ce texte dense crédible, certains choix esthétiques trahissent quelques maladresses.
Écrite en 1962 en un mois alors qu’Ionesco était gravement malade, la pièce Le roi se meurt raconte le tortueux parcours du roi Bérenger qui apprend qu’il mourra «à la fin du spectacle». Son royaume se fissure, la population vieillit prématurément et le territoire risque de tomber dans un trou qui s’agrandit de jour en jour. Refusant d’abdiquer, Bérenger se verra accompagner vers la mort par Marguerite, sa première épouse, une femme froide et autoritaire. Retenu par son égotisme et sa deuxième épouse Marie, il arrivera, non sans heurt, à accepter l’issue fatale.
Le spectacle profite de la participation de comédiens qui savent déjà rendre une partition exigeante. Le roi incarné par André Perron se révèle tour à tour vindicatif, naïf, despotique et attachant. Avec son allure de moine bouddhiste et sa voix mélancolique, il offre une solide composition dans ce rôle casse-cou. Il a toutefois légèrement manqué de conviction au lever de rideau. Dame de pique, la reine Marguerite constitue l’autre archétype fort de la distribution. Par son assurance à la fois forte et tranquille, Kena Molina se révèle d’une justesse impeccable. Dame de cœur, Stéphanie Daviau est parfaite en reine Marie. Par contre, les personnages secondaires auraient pu révéler davantage leur potentiel comique. Les répliques tordantes du médecin sont quelques fois prononcées avec trop de gravité, alors que ses réparties contiennent plusieurs petits bijoux d’humour. Touchante, Juliette la domestique aurait pu être encore plus amusante. Pour ce qui est du garde, certaines de ses phrases tombent quelques fois à plat. Fait à noter, il est difficile de comprendre pourquoi la mise en scène lui donne le rôle de régisseur, puis de soldat dévoué. Son rôle d’homme militaire était assurément suffisant.
Certains choix de mise en scène demeurent incongrus. Les références à la culture tibétaine peuvent avoir une certaine pertinence, mais elles auraient mérité un meilleur développement. Les chorégraphies de danse orientale, notamment une sorte de danse du ventre de la reine Marie, n’apportent rien de significatif. Vers la fin du spectacle, le garde livre un touchant témoignage sur les exploits et les grandes réalisations de Sa Majesté qui a, entres autres, écrit l’Odyssée et l’Iliade, en plus d’inventer l’ampoule électrique et la poudre à canon. Au même moment, on entend une musique grandiloquente qui enterre malheureusement la voix du comédien, plutôt que d’appuyer le monologue de son dévoyé et fidèle sujet.
Le moment le plus surréaliste de la soirée est survenu lorsque le roi lui-même retombe en enfance et se remémore un récit entourant son petit chat aussi roux que juif. En principe, le monologue représente l’apothéose de fragilité, de vulnérabilité et d’humanisme du protagoniste, là où les larmes devraient couler même chez les spectateurs les plus insensibles. Ici sans raison apparente, le garde apporte un micro au roi pour qu’il livre son témoignage. À ce moment, une portion importante du public a pouffé de rire sans raison véritable, gâchant le plaisir d’entendre la parole tragique d’Ionesco. L’accessoire a torpillé l’intériorité.
En somme, une première production inégale qui nous permet tout de même de découvrir ou redécouvrir l’un des joyaux de la dramaturgie mondiale.