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Du 24 avril au 19 mai 2012, 20h, mercredi à 19 h
L'Éclipse
Texte de Joyce Carol Oates
Traduction Maryse Warda
Mise en scène Carmen Jolin
Avec Andrée Lachapelle, Ansie St-Martin, Debbie Lynch-White et la participation spéciale de Jacques Baril

Mère et fille. Deux femmes, deux Amériques, deux générations. Et Joyce Carol Oates, l’auteure – La grande dame de la littérature des États-Unis. Plusieurs fois candidate au Prix Nobel, mais toujours pas nobélisée : des dizaines de romans, des centaines de nouvelles, des pièces, des essais – le tout émergeant d’une Amérique vivante et sombre, très sombre parfois. Les romans (The Falls, 2005, prix Fémina : Blond, 2000, inspiré de la vie de Marilyn Monroe ; The Tattooed Girl, 2006). L’Amérique même bouillonne dans la tête de Joyce Carol Oates.
 
Ici, deux femmes du nom de Washburn : Muriel, la mère, âgée, enseignante retraitée, femme brillante, flamboyante et irrépressible; puis Stéphanie, sa fille, sage, raisonnable et naturellement, comme il se doit à la fin du XXe siècle, féministe. Trente ans les séparent - c’est tout un abîme, un précipice.
 
Après un traumatisme survenu à Muriel, sa fille Stéphanie assiste à la transformation perturbée de sa mère. Elle voit sa lucidité se muer en conscience lunaire, en un état fantasque qui, outre ses folies agaçantes dans la vie quotidienne, révèle des secrets et des désirs jusque-là bien enfouis. Les deux femmes se révoltent, mais ce sont des révoltes distinctes, de générations différentes : l’une se révolte contre l’enfer de sa vie passée, et l’autre, contre cet ‘american dream’ qu’on veut lui imposer, mais aussi – et en même temps, paradoxalement –  contre la révolte de sa propre mère.
 
Confrontation entre deux âges et deux époques. Mais, et surtout, un regard sensible et pénétrant – parfois amusé – sur la transformation inévitable de la vie dont nous sommes tous, tôt ou tard, les sujets. Un portrait de la femme américaine – mais pas uniquement – en mutation et en évolution existentielle. Et des questions : « D’où venons-nous, qui sommes-nous et où allons nous ? » - les mères et les filles de ce siècle.


Scénographie Loïc Lacroix-Hoy
Éclairages Stéphane Ménigot
Costumes Marie-Noëlle Klis
Bande sonore Nikita U
Assistance à la mise en scène Marie-Pierre Poirier

Une production La Veillée


Prospero
1371, rue Ontario est
Billetterie : (514) 526-6582

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 Critique
Critique

par Daphné Bathalon


Crédit photo : Guy Borremans

L’éclipse, tirée du recueil de deux pièces In Darkest America de l’auteure étatsunienne Joyce Carol Oates, traduite par Maryse Warda, nous parle d’une Amérique contemporaine dans laquelle deux générations de féministes peinent à communiquer. Muriel refuse de se faire appeler « maman » et d’être réduite, par ce nom, au rôle qu’elle occupe en tant que femme dans la société. Elle est Muriel avant d’être la mère de Stéphanie. Stéphanie, elle, rêve de devenir une voix importante pour le peuple américain grâce au groupe politique féministe auquel elle appartient. Toutes les deux cohabitent dans le même appartement, non sans heurts.

Le grand talent d’Andrée Lachapelle brille particulièrement dans cette nouvelle production de La Veillée. La comédienne d’expérience prête ses traits à une mère excentrique, terriblement intelligente, mais à l’esprit troublé par le passé. Sa carriériste de fille est jouée par Ansie St-Martin, que l’on a principalement vue sur les scènes de Québec. C’est un plaisir de la voir jouer à Montréal ces jours-ci. Elle incarne dans L’éclipse une autre femme forte, un nouveau féminisme, plus tourné vers la performance. Ambitieuse, mais également raisonnable, la jeune femme est déchirée entre son aspiration à un plus grand avenir et ses responsabilités envers une mère vieillissante, entre l’ambition politique qui lui permettrait de changer son monde et le devoir familial. Lorsque le devoir l’emporte sur ses aspirations personnelles, c’est l’effondrement. Une confrontation finale parfaitement maîtrisée par les deux comédiennes.

Le décor paraît quant à lui bien terne. Représentant l’intérieur d’un appartement modeste et falot, il découpe l’espace en trois zones de jeu distinctes : les chambres de la mère et de la fille, et l’espace commun, à la fois salon, cuisine et vestibule. Des espaces relativement bien occupés par les comédiennes ; les personnages s’isolent à l’occasion dans leur chambre respective, permettant d’assister à quelques trop rares moments plus intimes.


Crédit photo : Guy Borremans

Si les échanges relevés entre les deux femmes piquent notre intérêt, le drame humain qui se joue sous nos yeux, celui de cette difficile relation mère-fille,  ne remue guère d’émotions. En première partie, les répliques demeurent plus superficielles : on s’attarde beaucoup aux obsessions de la mère (elle craint d’être constamment surveillée) et de la fille (qui craint le jugement des autres). La relation est lente à s’établir et à dévoiler les tensions sous-jacentes. Le texte donne l’impression d’effleurer le drame sans jamais s’y attarder vraiment. En deuxième partie, les entrelacs de la relation se dévoilent un peu plus, rendant l’affrontement plus percutant. Le jeu des comédiennes gagne alors en force. Néanmoins, la pièce s’arrête brusquement en laissant en suspens de nombreuses questions. Il s’éparpille entre plusieurs thématiques, celle de l’évolution du féminisme, celle de la relation filiale, celle de la personne âgée en perte d’autonomie, celle de l’absence du père… Si bien que la pièce n’en approfondit aucune.

Tandis qu’à Ottawa, on s’apprête à voter sur une motion qui pourrait ouvrir une brèche dans le droit à l’avortement, il est plus que jamais d’actualité de ramener le combat féministe sur la scène théâtrale. On se désole donc que L’éclipse ne se révèle pas à la hauteur de la rencontre entre deux actrices de talent.

28-04-2012