Une chambre d’hôpital, deux frères. L’un est prisonnier d’une maladie incurable, terrifiante, qui ne sera jamais nommée tant la douleur que son nom évoque est grande. L’autre s’occupe de lui religieusement jour après jour, en feignant de se rendre à la messe, car dehors on a peur et on interdit à ce frère simple d’esprit de faire ce que son coeur lui dit : prendre soin de celui qu’il aime. Le temps d’une messe, il le nourrit, le lave, l’amuse et lui raconte des fables étranges. Il accomplit son propre rite.
Aujourd’hui est un grand jour : Gildo apporte à son frère le remède à sa maladie.
Né à Naples en 1958, Francesco SILVESTRI est auteur, acteur et metteur en scène. En 1982, il fonde sa compagnie de théâtre et fait ses débuts comme dramaturge. Il recevra de nombreux prix, notamment celui du meilleur auteur Under 35 et le prix IDI. C’est en 1996 qu’il écrit Fratellini qu’il a joué pendant plus de quatre ans. Même s’il touche des sujets sensibles, SILVESTRI porte un regard ludique sur le monde.Section vidéo
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Assistance à la mise en scène Claire L’Heureux
Scénographie Olivier Landreville
Costumes Julie Breton
Musique Catherine Gadouas
Lumières Jocelyn Proulx
Crédit photo Marie-Claude Hamel
Une production du Théâtre de l’Opsis
par Olivier Dumas
Après une production moins fructueuse l’automne dernier (Les enfants de la pleine lune), Luce Pelletier retrouve l’état de grâce avec le simple, mais désarmant Frères de l’auteur contemporain Francesco Silvestri.
La metteure en scène poursuit la veine dramatique du cycle italien du Théâtre de l’Opsis avec une autre trouvaille d’une plume méconnue de ce côté-ci de l’Atlantique. Créée en 1996, la pièce intimiste aborde avec pudeur, respect et justesse la relation fraternelle entre deux jeunes hommes. Dans une chambre d’hôpital, une maladie incurable jamais explicitement nommée (mais que l’on croit rapidement être le SIDA) cloue l’un des deux au lit. Abandonné autant par le personnel de l’établissement que par les proches, il ne peut compter que sur son grand frère, un simple d’esprit, pour lui apporter présence, soutien et réconfort. Ce dernier doit prétexter se rendre à une messe, car on lui a interdit de s’occuper de son frère. La rencontre entre les deux protagonistes s’amorce et se clôt au son des cloches d’une église. D’une durée d’une heure cinq, elle se synchronise à la célébration religieuse à proximité qui fait sentir continuellement sa présence grâce à des extraits musicaux joués à l’orgue.
Plutôt que de reprendre une traduction française déjà existante, Luce Pelletier a privilégié retravailler le texte dans une langue française internationale au lieu d’en faire une adaptation plus québécoise. Sa proposition confère au texte une dimension poétique où la gravité des situations ne tombe jamais dans le mélodrame larmoyant. L’équilibre entre les passages plus légers et les instants plus tragiques est ainsi préservé dans sa transposition scénique, entre autres par la présence d’un joli cerf-volant. Par ses multiples couleurs vives et son étendue dans le décor, le mobile conçu avec soin par le scénographe Olivier Landreville expose parfaitement ce mélange dans les genres théâtraux. Il dévoile autant une métaphore de l’enfance encore au stade de l’émerveillement que la prison d’un condamné à une mort imminente.
Si les thèmes des liens affectifs et de la « maladie d’amour » rappellent à la mémoire d’autres œuvres artistiques, dont le film Son frère de Patrice Chéreau sur quelques notes plus pessimistes, le ton de l’ensemble peut nous faire également songer au classique italien La vita è bella de Roberto Benigni apparu sur les écrans à la même période que la création de Frères.
La complicité entre les deux acteurs demeure toujours palpable et sentie. Émile Proulx-Cloutier incarne le grand frère simple d’esprit sans jamais forcer la note, mais avec dynamisme, candeur enfantine et beaucoup de tendresse pour son prochain. Bien que son partenaire Benoit Rioux ne prononce aucune parole pendant toute la durée de la représentation, son visage, son rire et son corps parviennent à faire ressentir toute la douleur vécue de l’intérieur. Sa joie libératrice lors de la tombée de rideau n’en devient que plus touchante.
Cette poésie pudique bénéficie grandement d’une mise en scène frôlant la perfection. Luce Pelletier parvient à meubler l’espace restreint d’une chambre d’hôpital autant avec économie qu’avec des déplacements en parfaite symbiose avec l’action. Une scène en particulier dévoile toute sa sensibilité à rendre la profondeur altruiste du sujet. Le personnage d’Émile Proulx-Cloutier doit changer la couche de son frère. Par la manière délicate d’accomplir cette action jugée humiliante par certains en exécutant une série de mouvements avec la pudeur nécessaire et sans trace de sensationnalisme, elle sait atteindre l’émotion vibrante et poignante. Si le SIDA n’est jamais mentionné tout au long du récit, les marques rouges sur le dos du malade suffisent à exprimer toutes les peurs inavouées, surtout au début de l’épidémie, et de l’ostracisme dont ont souffert les victimes marginalisées par leur milieu.
Comme dans le comique Bar, également présenté sur la scène principale du théâtre Prospero à l’hiver 2011, Luce Pelletier confirme son intelligence dans le travail d’acteurs. En choisissant parfaitement ses interprètes pour porter une parole aussi évocatrice que celle de Frères, le Théâtre de l’Opsis démontre toute sa pertinence à explorer des voix dramaturgiques étrangères, mais qui trouve un écho réceptif au paysage québécois. Comme quoi le véritable humanisme transcende les frontières.