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Du 24 janvier au 11 février 2012, 20h, mercredi à 19 h
La Noce
Texte de Bertold Brecht
Traduction de Magali Rigaill
Mise en scène Gregory Hlady
Avec Paul Ahmarani, Alex Bisping, Enrica Boucher, Stéphanie Cardi, Denis Gravereaux, Frédéric Lavallée, Isabelle Leclerc et Diane Ouimet

Un repas de noce. Huit membres d’une famille sont réunis autour d’une table. On rit, on chante, on boit et on fête dans une puissante démesure. Puis les faux-semblants éclatent, les masques tombent. Tout se décompose en une éblouissante, furieuse et rocambolesque catastrophe.

Une pièce de jeunesse de Brecht que le metteur en scène Gregory Hlady s’approprie entièrement pour en faire un morceau d’anarchie kafkaïenne.

Écrite en 1919 par un jeune Bertolt Brecht à l’esprit provocateur, La noce annonce au point de vue stylistique plusieurs des caractéristiques sur lesquelles reposera son œuvre. On y sent aussi en filigrane le remous social et la sensation de danger qui agitent l’Allemagne au sortir de la Première Guerre mondiale. On y découvre un côté méconnu de Brecht, plus anarchiste que socialiste, plus critique que didactique.


Scénographie, lumières et costumes Vladimir Kovalchuk
Bande sonore Dmitri Marine
Assistance à la mise en scène Annie-Claude Beaudry
Assistance aux costumes Marie-Pierre Poirier

Une production du Groupe de la veillée


Prospero
1371, rue Ontario est
Billetterie : (514) 526-6582

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Dates antérieures

Du 22 février au 19 mars 2011, Prospero

 
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 Critique
Critique

par Gabrielle Brassard


Crédit photo : Dominique Lafond

Présenté en reprise jusqu’au 11 février au théâtre Prospero, La noce, du très engagé Bertolt Brecht, propose, dans une mise en scène complètement délurée, axée sur le rapport des corps et des objets plus que sur le texte, un moment de théâtre absurde, critique, chaotique.

Bertholt Brecht, auteur, dramaturge et théoricien de théâtre allemand, est connu pour ses idées de gauche pendant la deuxième guerre mondiale et ses opinions politiques tranchées, qui transparaissent au travers de la plupart de ses pièces. La noce, aussi appelée parfois La noce chez les petits bourgeois, est l’une des premières pièces du jeune auteur, qui l’écrivit à l’âge de 21 ans, en 1919. Révolté et anarchiste, on comprend rapidement que Brecht, avec ce texte, fait une critique ironique et démesurée de la bourgeoisie, dont il est lui-même issu. La trame de fond : un mariage. Le couple qui vient de s’unir (Stéphanie Cardi et Frédéric Lavallée) convie famille et amis à célébrer l’heureux événement dans son nouveau logis, autour d’un faste repas. S’en suivra un mélange de fête, de beuverie et d’orgie.

Le propos est à la fois dissous et exacerbé par la mise en scène de Gregory Hlady, qui repose sur un jeu extrêmement physique des acteurs. Entre eux, ce n’est que sexe, danses lascives et saoulerie, qui expriment désirs refoulés, inhibitions et excès en tout genre. Hlady a aussi choisi de faire jouer ses acteurs avec l’espace, à l’image de Brecht, qui a élaboré, tout au long de son œuvre théâtrale, l’idée de la distanciation. Ce principe théâtral, élaboré par le dramaturge allemand, vise à distancer l’identification du comédien à son personnage par différents procédés, comme l’adresse au spectateur (Ahmarani), le jeu des comédiens depuis le public (Diane Ouimet) ou la référence directe à un problème social (le père).

À travers la métaphore des meubles qui se décomposent tout au long de la pièce, la critique sociale est sentie, bien que peu évoquée, sinon à travers le chaos dans lequel se plongent de plus en plus les personnages. Une bourgeoisie qui s’effondre, qui se contient et se conforme aux normes sociales, qui est hypocrite ; Brecht n’est pas tendre envers son milieu. Sur fond d’ironie et de débauche, les personnages mis en scène par Hlady se déchirent, s’aiment, se détruisent à mesure que le vin coule et que tout s’effondre.

Alex Bisping interprète un homme rangé, gêné, qui succombera finalement lui aussi à l’ambiance destructrice de la soirée. Le père, joué par Denis Gravereaux, est plutôt effacé, ponctuant l’action par des réflexions sociales ou des anecdotes historiques. Le marié (Frédéric Lavallée) semble perdu au milieu de la déchéance qui trône chez lui, parmi ses convives et à travers ses meubles, qu’il a construit lui-même, et qui se brisent les uns après les autres. C’est «l’ami» Paul Ahmarani qui crève la scène ; à l’origine de tous les vices, le plus déluré, celui qui s’adresse à nous, qui fait toujours monter d’un cran la débauche, il se démarque du lot de ses collègues, par son interprétation intense et naturelle, et par la nature de son personnage, le plus dépravé de tous.

Les femmes, quant à elles, semblent plus enclines à la dépravation ; la mariée courtise «l’ami», la sœur (Isabelle Leclerc) s’en approche encore plus. La femme (Enrica Bouchée), finalement, attise les passions en dénonçant les travers de tous.

La noce est une vertigineuse descente aux passions inassouvies, aux défauts d’une classe sociale sur le déclin et aux critiques acerbes de ce qu’elle représente : l’opulence, le malaise, le faux.

Pour le néophyte de Brecht, La noce, montée par Hlady, peut sembler difficile à saisir au premier abord. Tellement de niveaux de jeu et de propos s’entremêlent que l’on peut s’y perdre. Il faut du recul et une certaine compréhension de l’œuvre brechtienne pour apprécier cette œuvre débutante du grand auteur de théâtre.

29-01-2012

 

par Daphné Bathalon


Crédit photo : Dominique Lafond

La noce, présentée au Théâtre Prospero jusqu’au 19 mars, aurait pu s’appeler Le festin, car c’est autour de celui-ci, bien plus que de la noce elle-même, que tourne toute la proposition de Gregory Hlady. On est invité à un festin décadent et excessif au cours duquel les personnages, tout autant que les meubles, se fracassent ou tombent en morceaux.

Dans une maison bourgeoise, famille et amis célèbrent les jeunes mariés. Le patriarche préside au repas, racontant des anecdotes pour le moins dérangeantes, les blagues fusent, on chante, on danse, c’est la fête. Mais l’ambiance se gâte subtilement, une tension dans l’air, et tous s’entredéchirent.

Lors de cette noce, tout se consomme à l’excès : la nourriture (les personnages se transforment en bêtes voraces), la boisson, le sexe, la méchanceté. Et tout est également source de danger : depuis les chaises sur lesquelles on se fait des échardes, ou qui s’écroulent tout bonnement sous soi, jusqu’au poisson dont les arêtes sont potentiellement mortelles. Alors que l’un des noceurs s’étouffe, on continue à faire bombance, on se moque même, avec cruauté. Une tension, soulignée par le son des cloches ou le croassement d’une corneille, interrompt la fête, tous se figent, les éclats de rire tombent. Il y a quelque chose de menaçant, quelque chose qui se prépare et qui guette le bon moment pour surgir.


Crédit photo : Dominique Lafond

Le metteur en scène ne cache pas avoir largement étoffé la pièce en explorant le sous-texte de cette œuvre de jeunesse écrite par Bertolt Brecht en 1919. Encore loin de ses pièces politisées comme La bonne âme de Se-Tchouan ou La résistible ascension d’Arturo Ui, La noce est surtout une critique brute et sans nuance de la société bourgeoise allemande de l’après-Première Guerre. Gregory Hlady a choisi une approche plus onirique. Il fait sien ce texte de Brecht, se l’approprie, transformant la comédie légère en une production remplie de symboles que notre esprit, une fois le spectacle terminé, s’empresse à vouloir analyser. Hélas, tout ne trouve pas un sens même après réflexion et ce foisonnement de symboles trouble la perception que certains ont du spectacle. De fait, quelques spectateurs se plaignaient à la sortie de la salle de n’avoir rien compris et d’avoir décroché après quelques minutes.

Cette noce ressemble en fait à un rêve ou un cauchemar duquel on n’a pas le contrôle, et la clef qui nous permettrait de tout comprendre nous échappe. Pour peu que l’on accepte ce désordre, le spectacle devient pourtant un tableau fascinant dont on voudrait retenir le moindre détail. L’introduction en allemand puis la cacophonie créée par les invités qui parlent tous en même temps nous invitent d’ailleurs à laisser notre esprit rationnel au placard. Nous déboulons dans un subconscient éclaté et excentrique, un cabaret décadent où tout est permis : jouer du pied sous la table, manger de la crème avec ses mains…


Crédit photo : Dominique Lafond

Grâce à une mécanique bien huilée, les relations troubles entre les personnages se construisent et déconstruisent tout au long du spectacle. Comme dans une danse pervertie, ils s’échangent les partenaires selon leur désir du moment. La famille elle-même est complètement dysfonctionnelle : un fils à qui l’on offre la tétée, un père plongé dans son passé, un couple d’amis qui démontre animosité et non amour... Lorsque les meubles se brisent les uns après les autres, il y a déjà un moment que les failles relationnelles nous sont apparues. La destruction du mobilier ne fait que les mettre encore davantage en lumière.

La distribution joue avec une énergie partagée et dans un bel ensemble. Les répliques fusent et s’entremêlent avec précision tandis que les malaises sont palpables. Paul Ahmarani brille particulièrement en ami du marié, qui trône à la table. Son personnage tendancieux, parfois vulgaire et tentateur, parfois lyrique et philosophe, trouble le repas autant que les invités autour de la table. Son verbe éclatant et sa verve pétaradante attirent tous les regards et les convoitises. On sent Ahmarani tout à fait à l’aise et en pleine maîtrise.

La frénésie qui habite les personnages, leurs pulsions et leurs répulsions font de La noce une fête profondément décalée où l’humanité et l’animalité se rejoignent. À cette noce trouble, il faut se laisser aller, être un rêveur spectateur qui absorbe l’étrangeté de la situation et la folie ambiante. L’invitation est lancée!

24-02-2011