Une famille de beaux tout-croches est bouleversée par l’arrivée du Câlineur de la fonction publique. Il débarque avec un projet gouvernemental de câlins visant à réconcilier citoyens et marginaux. Comment réapprendre à toucher et à être touché?
Cour à Scrap. Portrait de ces personnalités écorchées vives, sans compromis et mal outillées qui rôdent dehors, dans les grandes villes surtout, et ailleurs ; sorte de Cour des Miracles où squattent les choses et les êtres, le passé et ses cicatrices, la poésie et la crasse.
« Welcome bienvenue.»
Le Théâtre de l’Affamée présente sa seconde création dans la salle intime après Walk-in ou Se marcher dedans en 2009, création qui avait remporté le prix du meilleur texte francophone du Festival Fringe 2007.
Scénographie et accessoires Marie-Pier Fortier
Costumes Dominic Thibault
Son Alexi Rioux
Lumières Anne-Marie Rodrigue Lecours
Cartes Prem1ères
Date Premières : 20 au 24 mars 2012
Régulier : 23$
Carte premières : 11,50$
Une production Théâtre de l'Affamée
par Olivier Dumas
Dans une saison théâtrale, certaines productions se révèlent être d’agréables surprises, de petits bijoux d’étonnement. Avec une prémisse qui ne présageait pourtant rien de très original, Cour à scrap (portait d’une famille reconstituée) du Théâtre de l’Affamée frappe l’imaginaire par sa force inattendue et sa poésie remplie de tendresse sous son armure rugueuse.
Il s’agit d’une deuxième création pour la jeune compagnie dont la démarche se veut une incursion des enjeux contemporains reliés à la féminitude et aux personnages féminins complexes. La pièce poursuit cette démarche entamée par Walk-in ou se marcher dedans, récipiendaire du prix du meilleur texte francophone du Festival Fringe en 2007, repris en 2009 à la salle intime du Prospero. Cour à scrap (portait d’une famille reconstituée) s’inspire d’expériences professionnelles vécues par les deux auteures Marie-Claude St-Laurent et Marie-Ève Milot. Également interprètes des deux protagonistes principales de la pièce, elles avaient donné des ateliers dans des centres d’hébergement pour femmes en difficulté. Sans verser dans le commentaire éditorial, le discours didactique ou l’approche dite documentaire, ce portrait d’une famille de «poqués» surprend par son réalisme cru, son ancrage dans la pauvreté intellectuelle et matérielle. Par contre, il évite habilement les eaux tentatrices du misérabilisme ou du mélo.
Pendant près de deux heures, l’histoire s’articule autour d’une famille de quatre individus, qualifiés de beaux tout-croches dans le programme, qui peinent à verbaliser leur souffrance, leur état dépressif, leur intolérable solitude. Elle se déroule dans un appartement miteux, avec une abondance d’accessoires, où ces habitants vivent en vase clos, en débranchement avec le monde extérieur. Un jour, un « câlineur » de la fonction publique se présente à leur domicile.
Par ses thèmes abordés et ses personnages aux contours noirs, l’atmosphère de la production rappelle une certaine dramaturgie européenne (Howie le Rookie, Tête première) très prisée par le public québécois. L’écriture composée principalement de monologues entrecoupés de dialogue ressemble à certains égards à celle de Michel Tremblay ou Serge Boucher. Par contre, elle s’en distingue par une langue plus dure, plus directe et moins métaphorique, qui frappe comme un coup de poing en pleine gueule. Parfois, se dégage même une impression d’hyperréalisme comme si les répliques n’étaient pas écrites, mais lancées comme de spontanés cris du cœur. Autre caractéristique distincte de cette Cour à scrap, les extraits musicaux viennent presque tous du heavy metal, (principalement les références à l’albumemblématique Reign in Blood du groupe trash metal Slayer), un style moins abordé sur les scènes de théâtre. De sa jolie voix, Frédérique Bédard murmure également un court extrait de Cette voix que j’ai, un classique québécois judicieusement choisi ici que le poète Gilbert Langevin avait écrit pour le regretté Gerry Boulet.
Pour mettre en scène cet univers sordide des bas-fonds de la souffrance humaine, les deux instigatrices du projet ont bénéficié de la patte heureuse de Stéphan Allard. Ce dernier réussit à rendre ardent et vibrant cette famille aux liens démantibulés avec presque autant de bonheur que dans Mon corps deviendra froid d’Anne-Marie Olivier, production qu’il avait précédemment orchestrée. Sa sensibilité à rendre l’univers de ces écorchés se traduit entre autres par une gestuelle extrêmement précise et étudiée dans les gestes quotidiens. Dans cette partition généreuse, les cinq comédiens livrent des prestations justes, étonnantes et parfois très poignantes. Par la composition de son personnage de fonctionnaire bien intentionné, mais dépourvu par l’ampleur de sa mission, Nico Gagnon fait penser, entre autres, par le timbre de sa voix, à un Marc Béland plus jeune. Frédérique Bédard est superbe et bouleversante en mère calcinée par les tragédies d’un monde cruel.
Par contre, la dernière demi-heure s’étire un peu avant la saisissante tombée du rideau. Certaines petites coupures permettraient d’éviter longueurs et redondances. Malgré tout, Cour à scrap (portait d’une famille reconstituée) du Théâtre de l’Affamée demeure un laboratoire sensible, une architecture perspicace des petites vies, petites misères.