Et c’est ainsi qu’Allah est grand! Fantaisie drôlatique sur des textes d’Alexandre Vialatte.
« Quand je vais mal, vraiment très mal, il n’est qu’un seul écrivain qui puisse quelque chose pour moi: c’est Vialatte. J’ouvre n’importe quel volume de ses chroniques et la vie cesse d’être un problème. » Amélie Nothomb
Premier traducteur et introducteur de Kafka en France, romancier trop méconnu, Vialatte inspire de toute sa verve truculente et musicale ce spectacle composé en forme de théâtre-chronique à partir de quelques-unes de ses Chroniques de la montagne qu’il concluait souvent par un pied de nez humoristique à l’esprit de sérieux: « Et c’est ainsi qu’Allah est grand! »
Car cet homme de gai savoir, politiquement fort incorrect, reste, aujourd’hui encore, un observateur lucide et inquiet des métamorphoses du siècle. À la fois un authentique poète au regard fraternel sur l’homme et un grand éveilleur.
Scénographie, costumes et accessoires : Romain Fabre
Lumières : Martin Sirois
Bande-son : Louis Sédillot
Illustrations : Pierre-Yves Cezard
Collaboration spéciale : Dominique Quesnel
Une production du Théâtre de Fortune
par Isabelle Girouard
Fondé en 2000 par Jean-Marie Papapietro, le Théâtre de Fortune se caractérise par sa volonté de rendre vivant des textes qui, au départ, n’étaient pas conçus pour la scène. Jusqu’à ce jour, la compagnie a réalisé 14 créations issues d’oeuvres de la littérature universelle, dont celles de Kafka, Beckett et Marguerite Duras. Cette fois-ci, c’est la parole d’Alexandre Vialatte qui est adaptée pour le théâtre. Cet écrivain, à qui l’on doit les premières traductions de Kafka en France, est né au tout début du 20e siècle dans la région de l’Auvergne. Il aura toutefois remporté plus de succès après sa mort. La pièce Et c’est ainsi qu’Allah est grand!, dont le texte est construitprincipalement autour de chroniques hebdomadaires publiées dans le journal La Montagne entre 1951 et 1971, est présentée dans l’intimité de la petite salle du Théâtre Prospero.
La représentation s’ouvre sur un moment esthétique très réussi, soit des projections fort rigolotes (des illustrations de Pierre-Yves Cezard) accompagnées d’extraits musicaux du Catalogue des Oiseaux d’Olivier Messian. Déjà, les premiers éclats de rire fuseront du public. Ces illustrations, d’ailleurs, annoncent les sujets à venir et surprendront agréablement le spectateur. Tout le reste est d’une simplicité déconcertante : assis à son pupitre, entre une pile de livres et une bouilloire, le personnage de Viallatte écrit, réfléchit à haute voix et boit du thé. Il paraît ainsi très confortable dans cet univers solitaire que l’on imagine bien être celui d’un homme de lettres. À défaut d’avoir un interlocuteur, c’est à nous finalement qu’il s’adresse. La langue est belle, le ton est léger et humoristique. Vialatte nous parle de tout et de rien, mais avec génie ; il s’indigne des abus aux règles de grammaire ou s’étonne des moeurs de certains animaux. S’il s’interrompt parfois dans ses élucubrations pour mettre en marche un vieux poste de radio, ce n’est que pour repartir de plus belle.
Tous ces mots de l’esprit sont portés sur scène avec désinvolture par le comédien Gaétan Nadeau, qui en est à sa deuxième collaboration avec le Théâtre de Fortune. Son jeu a tout juste ce qu’il faut de nuance pour relever l’intelligence et l’humour des Chroniques. Tant et si bien que l’on se demande si c’est le personnage de Vialatte qui lui sied à merveille, ou si c’est lui-même qui l’incarne avec tant d’aisance. La mise en scène, signée Papapietro, est plutôt minimaliste : il n’y a à peu près pas de mouvement, si ce n’est que celui du personnage qui se déplace avec son pupitre sur roue (quelle bonne idée!) au gré des historiettes. Toutefois, Et c’est ainsi qu’Allah est grand! offre peu de matière pour les sens, mais beaucoup pour l’intellect. Autrement dit, on s’adresse presque uniquement, et avec ferveur, à l’hémisphère gauche du cerveau. Cela entraîne malheureusement quelques longueurs qui risquent fort bien de causer à certains spectateurs des pertes d’attention, voire même un sentiment de lassitude.
Et c’est ainsi qu’Allah est grand! est un spectacle plein d’esprit, permettant de se familiariser avec un écrivain peu connu du grand public.