C’est à un repas thaï-chinois-vietnamien que vous convient les cinq hôtes de cette soirée. Au menu : mets asiatiques, contes et personnages prenant vie autour des tables d’un restaurant… entre nouilles ramen, pad thai et cris. Cris ? À la cuisine, un jeune Chinois souffre atrocement d’une dent cariée. Sans papier, sans argent, impossible de l’emmener chez un dentiste ; il faudra opérer à froid. Mais la dent vole et retombe… dans la soupe numéro 6 ! À qui va-t-on la servir ? Est-elle déjà en route vers la salle ?
Le Théâtre Décalage et les Productions Quitte ou Double joignent leurs forces pour offrir une expérience théâtrale unique. Leur intérêt commun pour la dramaturgie contemporaine les a menés vers l’un des auteurs les plus prolifiques de sa génération, l’Allemand Roland Schimmelpfennig, qui signe un texte caustique où les codes habituels du théâtre sont bousculés. Engagé, vif, déroutant, Le Dragon d’Or est une fresque qui s’élève contre l’injustice criante et la place accordée aux immigrants.
Conseillers artistiques: Peter Batakliev et Nico Lagarde
Dramaturgie: Sophie Devirieux
Scénographie: Julie-Ange Breton
Conception sonore: Marie Rondot
Éclairages: Renaud Pettigrew
Costumes: Mathieu Prud’homme
Communications: David Blais
Rencontre avec les artistes le mercredi 16 avril, après la représentation
Une production de Théâtre Décalage et Productions Quitte ou double
par Pascale St-Onge
Roland Schimmelpfennig est certainement l’un des auteurs les plus prolifiques en ce moment en Europe. Son œuvre a un peu de mal à traverser l’océan et parvenir jusqu’à nous, mais de plus en plus de metteurs en scène commencent à s’y intéresser. Son écriture, dont spécifiquement celle de la pièce Le Dragon d’or, qui joue présentement au Prospero, rappelle les écritures cinématographiques de films, tels Babel ou Crash, par ses multiples personnages et récit parallèles qui s’entrecoupent finalement lors d’un même événement, souvent d’abord anodin.
La fable principale tourne autour de ce restaurant asiatique, le Dragon d’Or, où travaillent plusieurs personnes dans une minuscule cuisine. L’un des employés, sans-papiers, souffre d’un horrible mal de dents. À l’étage du restaurant, des logements, où l’histoire des résidents nous est présentée. La réalité de chacun semble suivre un chemin bien à part, mais avec une écriture du maître, tous ont une incidence sur les autres, tel l’impact de l’individualité sur la communauté ; un effet collatéral qu’on aimerait souvent ignorer.
C’est à la bonne franquette, sans artifice spectaculaire et en toute simplicité que l’équipe du spectacle, dirigée par Mireille Camier, vous convie à une représentation, avec, en prime, un réel repas « thaï-chinois-vietnamien ». Cinq comédiens pour jouer l’ensemble des personnages, excellents dans l’ensemble, dont cinq Asiatiques aux origines floues. On n’hésite aucunement à jouer sur le genre ou sur l’âge, inversant les stéréotypes et créant une distance entre le comédien et le personnage joué. Par exemple, le comédien François-Olivier Aubut, qui joue la jeune Asiatique qu’on abuse, vient, par son corps de comédien masculin, complètement changer l’image et le message qu’envoie le personnage et sa place dans l’histoire.
Le texte est une réelle mine d’or pour une équipe, et, dans ce cas-ci, la production semble avoir cherché à utiliser le maximum d’éléments qu’offrait la pièce. Et c’est totalement réussi. Si d’abord tout semble confus et difficile à comprendre, peu à peu, les morceaux du casse-tête prennent leur place et les thèmes surgissent. La relation entre les axes Nord/Sud ou Occident/Orient ; l’abus des immigrants, clandestins ou non ; la représentation que nous avons de l’exotisme et des étrangers et la dure réalité immigrante, notamment face au milieu du travail n’en sont que quelques exemples.
Dans un monde où les frontières s’ouvrent de plus en plus, mais dans lequel nous avons du mal à bien accueillir l’autre, quel avenir se dessine-t-il ?
Le Dragon d’or conclut la saison dans la grande salle du Prospero. La saison 2013-2014 de ce théâtre fut presque sans faute, un équilibre entre des valeurs sûres et des productions créées par de jeunes compagnies. Le théâtre a pris une grande part de risque, mais tout à fait profitable. Des spectacles explorant des écritures contemporaines d’ici et d’ailleurs, des pratiques multidisciplinaires ou des thèmes vacillants entre l’intime et la communauté : le Prospero signe ici sa meilleure saison depuis quelques années, en ayant proposé quelques-uns des très bons moments de théâtre de Montréal, bien que souvent sous-estimés par le public.