Cette pièce intimiste s’ouvre sur la vie d’Alain, un homme, fin trentaine, habitant d’un petit village. Au beau milieu de la nuit, il cogne à la porte de son chum Marco ; il vient pour se cacher. Le corps taché de sang, Alain raconte le début de sa soirée au bar, à spéculer avec Boilard sur le gagnant du concours de panache.
Bien sûr il est question de chasse, de boucherie, des pick-up, de l’automne et ses champs gris, du froid. Toutefois, dans ce milieu rural, l’important c’est le quotidien. Cette autre culture porte son lot de subtilités et de silences. Ce ne sont pas la chasse, le sang, ou les coups de feu qui sont fondamentalement violents, mais plutôt les amitiés perdues, la trahison et le temps qui n’en finit plus de finir entre les murs blancs d’un centre correctionnel et deux « presque » frères qui tentent de se rejoindre.
Section vidéo
Scénographie et costumes Silène Beauregard
Adaptation des éclairages, arrangements sonore, régie : Maude St-Pierre
Conception des éclairages : Émilie Gendron
Conception sonore: Sylvain Lafontaine
Cartes Prem1ères
Date Premières : du 12 au 16 novembre
Régulier : 25$
Carte premières : 12,50$
Une production du Noble Théâtre des trous de siffleux
par David Lefebvre
Le Noble Théâtre des trous de siffleux est plutôt méconnu au cœur de la métropole. C’est que la compagnie, qui célèbre pourtant sa douzième année et autant de créations, sévit plus au nord, dans la belle région des Laurentides, terre natale de ses fondateurs Benoît Desjardins et Silène Beauregard, tous deux diplômés de l’École nationale de théâtre. La compagnie est en quelque sorte leur terrain de jeu, à l’intérieur duquel ils expérimentent, recherchent, s’amusent, dans un cadre plus forestier et agricole qu’urbain ou même banlieusard.
Sa plus récente création ne fait pas exception à la règle. Le chant de meu parle d’un homme, Alain, de son buck qu’il a manqué, de panaches qu’on compare, d’une nuit terrible de poudre et de bières, de pick-up, de carabine, de vieille vache dans un champ qui devient une cible de pratique et de son propriétaire qui arrive sur le fait. Elle parle d’une vie qui part à bout portant, d’une fuite ensanglantée, d’un arrêt chez le meilleur chum, Marco. Elle parle du pire qui est pire encore que ce qu’on peut imaginer ; celui de la macabre scène, certes, que Marco ne peut s’empêcher d’aller visiter, mais surtout de la trahison, de la dénonciation aux autorités et de la perte d’une amitié presque fraternelle.
Avec Le chant de meu, Robin Aubert signe un tout premier texte pour la scène, celle-là pourtant qui l’a fait connaître à un certain public dans les années 90, bien avant La course destination monde et ses courts et longs métrages. On reconnaît aisément sa plume, sa prose violente, rude, presque crade, mais aussi nostalgique, bourrée de références culturelles et d’innombrables images, comme s’il voulait peindre mille tableaux à chaque phrase prononcée. Il explore encore une fois la masculinité dans toute sa rusticité, celle chez qui les malaises et les silences remplacent bien des phrases, celle chez qui l’émotion sincère se terre trop profondément sous les stupidités et les clichés pour connaître le soleil d’automne.
La pièce est constituée de quelques longs monologues, souvent sous le ton de la confidence, rappelant vaguement la dramaturgie irlandaise, comme celle de Mark O’Rowe, et de rares scènes en duo. Si la mise en scène de Benoit Desjardins laisse totalement la place aux mots d’Aubert, elle manque parfois d’impact, surtout dans la direction d’acteur, même si certains moments solos proposent quelques instants tout aussi tragiques qu’inspirés. Martin Dubreuil, qui apparait pour la première fois sur les planches en vingt ans, ayant surtout fait carrière au petit et grand écran, en impose pourtant dans la peau d’Alain, d’abord torturé, saoul d’alcool et d’adrénaline, puis rêveur, dans sa cellule, à imaginer candidement une meilleure vie s’il avait pu abattre ce fameux chevreuil, un échec de gars de campagne qui a mené à cette soirée au bar et à ce drame « accidentel ». Hubert Proulx, lors de la première, a semblé plus nerveux que son comparse, manquant d’aplomb à quelques reprises. Sa présence sur scène, surtout lors du premier monologue, est mal dirigée, le laissant en plan à côté de son ami, ouvrant bouteille et cannette, sans questionner, sans argumenter. Par contre, on le sent déjà plus solide alors qu'il narre sa visite des lieux du crime, ainsi que celle de la prison où son ami d’enfance est incarcéré. Les rares dialogues entre les deux hommes manquent encore quelque peu de finition, surtout lors des moments de silence et de malaise, pour réellement sentir tout le gouffre qui se cache derrière les futilités, les souvenirs et les banales histoires que les deux hommes s’échangent, sans pour autant être dénué d'intérêt et même d'humour. Des détails qui sauront se régler sans l'ombre d'un doute après quelques représentations.
À la scénographie et aux éclairages, Silène Beauregard et Émilie Gendron créent un univers intimiste et sombre qui rejoint à merveille celui de Robin Aubert. Une chaise, un mini frigo, des vêtements éparpillés, une rangée de maïs séché délimitant l’espace de jeu ainsi que les couleurs blanc et rouge des projecteurs suffisent aux comédiens pour évoquer l’appartement, le champ, la taule, et tout ce qui a pu s’y passer. L’utilisation de la lumière du petit réfrigérateur pour imiter les phares d’une voiture qui s'amène s’avère plutôt bien trouvée ; l’un des seuls moments plus fantaisistes de la soirée.
Le chant de meu est une pièce imparfaite, certes, mais propose une écriture brute, rurale, ainsi qu’une rencontre singulière avec deux hommes sans fard et sans raffinement mondain. On y explore la nostalgie d’une jeunesse sans inquiétude, de la perte d’innocence et de l’amitié masculine qui se brise et échoue, mais en restant, malheureusement, toujours à la surface des choses.