Personne ne sait pourquoi Feuerbach, comédien d’âge mûr, n’est pas monté sur scène depuis plus de sept ans. Mais aujourd’hui, il est entendu en audition. Il est prêt. Et il prouvera qu’il sait camper n’importe quel personnage en virtuose. Cette audition s’avèrera la plus longue de sa carrière et derrière l’armure pathétique de son orgueil, on découvrira la fragilité d’un être que le métier d’acteur a dépouillé de son identité. Feuerbach : homme sans emploi, trop vieux ou passé de mode, trop fragile pour être un battant, trop orgueilleux pour s’avouer vaincu.
Cette recréation de Moi, Feuerbach, 18 ans après sa première présentation,réunit à nouveau un duo d’artistes majeurs : Téo Spychalski, metteur en scène, et Gabriel Arcand dans le rôle titre. Ces derniers nous ont offert des moments de théâtre mémorables dans L’idiot ou Les démons (Dostoïevski), Till l’Espiègle, Le journal de Nijinski et plus récemment dans Blackbird (Harrower).
Éclairages Mathieu Marcil
Illustration Corinne Bève
Photo Josée Boulais
Rencontre avec les artistes le mercredi 29 janvier, après la représentation
Une production La Veillée
par Pascale St-Onge
Il est rare de voir Gabriel Arcand au théâtre ; il avoue lui-même difficilement accepter de se faire diriger par n’importe qui. L’un des fondateurs du Groupe de la Veillée nous fait un précieux cadeau en faisant revivre l’un des personnages qu’il a joué pendant plus de 100 représentations il y a bientôt vingt ans, sous la direction de son ami Téo Spychalski : Feuerbach, ce comédien d’âge mûr que Tankred Dorst, important dramaturge allemand, nous présente dans la pièce Moi, Feuerbach.
Feuerbach est invité à une audition. Sans emploi de nature artistique depuis des années sans que l’on sache pourquoi, le comédien semble prêt à tout pour décrocher ce rôle, peu importe de quel rôle il s’agit. Mais voilà que le metteur en scène se fait attendre… Une attente aux allures beckettiennes grâce à laquelle nous est révélée toute la fragilité du personnage, mais aussi une réalité à laquelle font face les comédiens. Invité entre deux répétitions, au beau milieu d’un décor en construction sur scène, le comédien se défait peu à peu et l’audition s’avère finalement pitoyable et pathétique.
Certains s’en seraient doutés, Gabriel Arcand est grandiose dans la peau de ce personnage, mais il est à noter qu’il dépasse toutes les attentes tant son interprétation est précise et nuancée. Le personnage, d’abord vantard et insupportable, change de stratégie sans arrêt afin de convaincre l’assistant du metteur en scène qu’il est celui qu'il leur faut pour ce rôle dont il ne sait rien, mais il dévoile peu à peu ses faiblesses, accepte de délaisser ce en quoi il croit au cœur de son art pour un peu de boulot. Ce jeu est habilement maîtrisé par Arcand. Rarement à Montréal avons-nous la chance de voir de si grandes performances.
Tous les autres éléments du spectacle semblent avoir été pensés et mis en place dans l’unique but de faire briller la performance de Gabriel Arcand. Les deux autres comédiens se noient un peu dans l’ensemble et arrivent bien peu à faire leur place aux côtés de leur partenaire de jeu. La mise en scène, le décor de ce vieux théâtre et les éclairages sont sobres, ici aussi utilisés aux seules fins d’attirer le regard sur Feuerbach et le texte magnifique de Tankred Dorst, transparent et lucide, sur la réalité du monde des comédiens. Et c’est mission accomplie. Un grand spectacle qui revit, presque 20 ans plus tard, pour notre plus grand bonheur.