Avec Oxygène, le dramaturge russe Ivan Viripaev perce, en un flux de mots, un XXIe siècle asphyxié. Cette vertigineuse partition musicale, prend la forme de dix tableaux, dix thèmes bibliques. Dix compositions, tels dix contre-commandements vindicatifs et drôles.
Un garçon et une fille s’engagent dans une joute verbale, un débit de paroles lâchées à tous les rythmes. Dix thèmes bibliques. Dix compositions, tels dix contre-commandements vindicatifs et drôles, scandés par deux comédiens sur fond de musique techno qui pulvérisent et mettent en pièces d’inconciliables différences : passé contre avenir, terrorisme contre globalisme.
Auteur, comédien, réalisateur, scénariste, Ivan Viripaev est né en 1974 en Russie. Dramaturge de la nouvelle scène russe parmi les plus provocateurs de sa génération, il signe ici une critique sociale chantée et engagée.
Pour présenter cette œuvre hors normes, La Veillée a invité Christian Lapointe, metteur en scène novateur et artiste multidisciplinaire. Oxygène présente une matière dramaturgique d’exception avec la structure inhabituelle de son puissant texte aux accents revendicatifs, la mise en scène et le jeu qui tendent vers la performance, la parole artistique viscérale ; tout pour court-circuiter les rapports théâtraux conventionnels.
Section vidéo
Éclairages Martin Sirois
Scénographie et costumes Geneviève Lizotte
Assistance à la mise en scène Alexandra Sutto
Illustration Corinne Bève
Musique Christian Lapointe
Photo Josée Boulais
Rencontre avec les artistes le mercredi 27 novembre, après la représentation
Production La Veillée
par Sara Fauteux
Crée par son auteur il y a dix ans en Sibérie, Oxygène a été présenté une première fois à Montréal en 2008 dans le cadre du Festival TransAmériques, dans une mise en scène du Bulgare Galin Stoev. Cet automne, c’est au metteur en scène Christian Lapointe que le groupe La Veillée a confié ce texte phare de la dramaturgie contemporaine. Un choix judicieux.
Qu’ont en commun Stoev, Viripaev et Lapointe, si ce n’est la recherche d’un nouveau langage scénique ? Depuis plus d’une décennie, Christian Lapointe s’acharne en effet à développer un nouveau mode de représentation, à écrire une dramaturgie résolument contemporaine et à explorer le jeu de l’acteur, dont il travaille le corps et l’énonciation de manière tout à fait singulière. La rencontre du riche univers dramaturgique d’Ivan Viripaev avec les obsessions formelles de Lapointe s’avère hautement pertinente. Oxygène est en effet une production d’une rare cohérence où chaque élément sert intelligemment la proposition.
Le spectacle se déroule sous une grande tente événementielle, où résonne la musique de boite de nuit de Christian Lapointe et dont la toile blanche est éclaboussée par les éclairages tout aussi dance de Martin Sirois. Assis autour de tables, comme le feraient les invités d’une fête, les spectateurs captifs se sentent rapidement impliqués dans cette installation et, grâce à la brillante scénographie de Genevière Lizotte (et au bar!), s’installe tout naturellement sous la tente une atmosphère particulière, mélange de rave, de fête foraine, de combat de boxe et de mariage… C’est d’ailleurs en robe blanche et en costume noir que se présenteront les comédiens Ève Pressault et Éric Robidoux qui prendront place derrière des micros sur une petite scène érigée à l’avant.
Les interprètes de Lapointe excellent tous deux à l’exercice de jeu atypique que propose Oxygène. C’est en se concentrant sur le récit et son rythme qu’ils installent peu à peu un jeu performatif qui s’éloigne de la fiction. Les allusions au présent de la représentation sont aussi fines dans le texte que dans la mise et scène et on constate qu’il y a d’autres moyens qu’une paire de jeans pour échapper au personnage de fiction. Le duo navigue avec une grande aisance dans cet univers, maitrisant à fond l’énonciation particulière et la distanciation nécessaire, faisant ainsi apparaître clairement la pertinence de la recherche du metteur en scène sur le jeu de l’acteur.
Le texte d’Ivan Viripaev est à l’image du monde dans lequel nous vivons : pluriel, insaisissable, abondant… En reprenant les dix commandements, le dramaturge russe revoit les thèmes bibliques à travers le monde moderne. Il aborde ainsi une myriade de thèmes dans un déferlement de mots, une partition polysémique désespérante et ludique. Le sexe, la démocratie, la guerre, la création, la religion, rien n’est fixe, rien n’est certain, tout se présente ici sous un mode binaire où l’on aborde les oppositions, les culs de sacs et les questions.
Devant la complexité et la saturation, du texte ou de l’existence, il semble encore une fois impossible pour l’individu contemporain de trouver un sens. La mise en scène de Lapointe tente de multiplier les pistes de lecture pour le spectateur avec, entre autres, un système de signes assez complexes, un paralangage des mains pour les interprètes. Si ces codes fournissent aux spectateurs quelques repères supplémentaires pour éclairer le texte, ils le confondent également en ajoutant une autre couche de sens à déchiffrer. Au final, ces signes ont surtout comme fonction d’annuler toute lecture réaliste en créant une distance additionnelle dans le jeu des comédiens.
De toute façon, on le devine rapidement, il ne s’agit pas de tout comprendre. Comme dans la vie, il n’est pas question ici d’appréhender l’ensemble du système afin d’y évoluer, mais plutôt de s’abandonner à l’expérience, de s’abreuver à l’oxygène qui se dégage de ce chaos existentiel.