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Du 25 février au 15 mars 2014, mardi au samedi à 20h15, mercredi 19h15, samedi 16h15
PandaL'histoire des ours pandas
LISEZ L'ENTREVUE ACCORDÉE PAR L'ÉQUIPE DE LA PIÈCE
Texte de Matéi Visniec
Mise en scène de Édith Côté-Demers
Avec Sonia Cordeau et Charles-Alexandre Dubé - et la participation de Mikhaïl Ahooja, Philippe Audrey, Hugo B. Lefort, Alexandra Cyr et Michèle Dorion

… RACONTÉE PAR UN SAXOPHONISTE QUI A UNE PETITE AMIE À FRANCFORT

Une histoire… étrange et poétique. Peut-être une histoire d’amour. LUI, musicien solitaire, se réveille un matin auprès d’ELLE, dans son lit. Il ne se souvient de rien, hormis le goût du vin qu’il a bu la veille. Il ne sait pas qui elle est, mais il veut la connaître.

ELLE, une belle femme mystérieuse, dont on sait peu de choses, sinon qu’elle peut ouvrir toutes les portes. Ensemble, ils concluent le pacte de se revoir neuf nuits : « Ça peut être neuf fois une vie ». Un temps pour s’apprivoiser, se raconter et peut-être finalement comprendre l’essentiel d’une vie.


Section vidéo


Assistance à la mise en scène Alexandra Cyr
Scénographie et costumes Sylvain Genois
Conception sonore Arnaud Allary
Éclairages et régie Geneviève Perreault
Photo Hugo B. Lefort

Une production du Théâtre du Chantier


Salle intime du Prospero
1371, rue Ontario est
Billetterie : (514) 526-6582

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 Critique
Critique

par David Lefebvre


Crédit photo : Hugo B. Dufort

Tout d’abord, il y a ce titre, intrigant, accrocheur : L’histoire des ours pandas racontée par un saxophoniste qui a une petite amie à Francfort. Puis, il y a cette histoire, terriblement séduisante et invitante : un homme se réveille avec, auprès de lui, une jolie jeune femme nue. Il a beau retourner dans sa tête les événements de la veille, il ne se rappelle pas où il a pu la rencontrer. Mystifié par Elle, comme si elle était sortie tout droit d'une poème des Fleurs du mal de Baudelaire, Il lui demande de rester, ce qu’elle refuse, prétextant être en retard. Il veut la connaître, traitant sa fuite d’injuste. Il lui demandera alors neuf nuits pour faire sa connaissance. Charmée par l’homme et son jeu de saxophone, elle accepte le marché, mais pas une de plus. Un amour naît, dans ce milieu clos qu’est la chambre à coucher, un amour de tous les (im)possibles, neuf fois plutôt qu’une, neuf fois une vie.

Matéi Visniec est de ces auteurs qui ont bouleversé leur pays par leurs écrits et leurs actes ; très actif dans les années 80 dans sa Roumanie natale, sous le règne de Ceausescu, il croit que le théâtre, la poésie et la littérature peuvent défaire le totalitarisme. En 1987, il s’exile, demandant à la France l’asile politique. La première pièce qui le fera connaître au monde, montée en 1991 à Lyon, s’intitule Les chevaux à la fenêtre ; elle lui permettra d’être joué et lu dans une trentaine de pays, dont au Canada, plus exactement par le Groupe de La Veillée au Prospero, qui fera entendre les mots de Théâtre décomposé ou l'homme poubelle, puis de La femme comme champ de bataille, en 1998. En ce mois plutôt glacial de 2014, Visniec revient au théâtre de la rue Ontario grâce au Théâtre du Chantier, ou plus précisément à un saisissant coup de foudre qu’a ressenti la jeune comédienne et metteure en scène Édith Côté-Demers pour cette histoire tout aussi romantique, fantastique qu’absurde de pandas et de petite amie de Francfort. Un conte empreint d’onirisme, plongeant dans  l’intime tout comme dans l’universalité des rapports hommes-femmes, avec une grande tendresse et beaucoup de folie.

En 2005, Pascal Contamine proposait une vision personnelle et plutôt réussie de L’histoire des ours pandas…, au L Corridor, sur le boulevard Saint-Laurent, avec Stéphane Franche et Isabelle Lamontagne. Cette fois-ci, Elle et Lui sont défendus par Sonia Cordeau (Projet Bocal) et Charles-Alexandre Dubé (Théâtre tout court, Les Zurbains et plusieurs séries télé), et ce, avec une fougue et une douce folie contagieuse. L’univers de la pièce colle parfaitement aux deux complices, qui insufflent à leur personnage une étincelle de vie toute jouvencelle et une chimie sensuelle qui ravit le cœur. La mise en scène de Côté-Demers se veut, du moins à première vue, plus naturelle et réaliste que poétique. Elle préconise davantage le côté « possible » du récit, en mettant de l’avant la lumière et l’amour qui unissent de façon tout aussi mystérieuse qu’improbable ce duo spontané, plutôt que d’explorer les métaphores que le récit sous-tend.


Crédit photo : Hugo B. Dufort

Chaque nuit est un tableau, au rythme et à la structure distincts. La temporalité s’effrite au cours de la pièce, devenant floue, inutile. Des messages laissés sur le répondeur sont les seuls liens vers l’extérieur, que Lui refuse catégoriquement de prendre, attendant Elle toute la journée. Les visites d’Elle deviennent une petite fête, une nouvelle expérience, des moments absurdes de cadeaux d’oiseaux invisibles et de cachettes sous les draps. Des souvenirs affluent chez Lui, qui le font cheminer, ou lui permettent de faire la paix avec le passé. L’une des scènes les plus marquantes est sans aucun doute celle où Elle lui demande de dire le son « a » sous diverses intonations et significations : il dit « a » comme s’il lui disait « je t’aime », comme s’il lui disait qu’il la désire ou qu’il ne veut plus la voir. Une réflexion poétique tout aussi forte que belle sur la décomposition du langage et sur la compréhension au-delà des mots dans la relation symbiotique des amoureux. La pièce se veut un hymne à la vie, certes, mais aussi à l’abandon. L’homme s’enferme, rêve, se laisse glisser vers une fin inéluctable, conduit par une femme réelle ou non, jusqu’à la séparation totale entre son corps et son esprit vers l’infini de l’oubli. Qui est donc cette femme? Une rencontre du hasard dans un bar la veille, ou la mort, laissant un sursis à un homme dont elle est tombée amoureuse?

La conception sonore d’Arnaud Allary baigne la pièce dans une atmosphère planante et légèrement jazzy, entre l’aérien et le polar. L’environnement ambiophonique, lors d’une scène où Lui disparaît, dévoré par ses oiseaux invisibles qui se multiplient sans cesse, s’avère adéquatement utilisé. Geneviève Perreault signe un éclairage intimiste, isolant parfois l’homme dans ses réflexions dans un clair-obscur tout à fait approprié.

« Je n’écris pas pour déprimer les gens, mais pour les faire penser » a dit Visniec. Lors de la toute dernière scène du spectacle, on se met à réfléchir rapidement aux indices laissés par les deux personnages qui pourraient éclairer le surprenant dénouement ; dénouement qui, grâce à la superbe plume de l’auteur et à la direction de la mise en scène, s’avère ici beaucoup plus lumineux que tragique.

26-02-2014