Mon(Theatre).qc.ca, votre site de théâtre
Du 29 avril au 16 mai 2015, 20h15, mercredi à 19h15, samedi 16h15
Le désir de GobiBéa
Texte de Mick Gordon
Traduction de Yannick Chapdelaine
Mise en scène Olivia Palacci
Avec Alexandra Cyr, Suzanne Lantagne, Yannick Chapdelaine

Béatrice est une jeune adulte qui souffre d’une maladie dégénérative. Ray passe une entrevue pour devenir son aide-soignant. La mère de la jeune fille, Catherine James, une avocate rigide et austère, trouve le jeune homme trop bavard et définitivement inexpérimenté. Il sera tout de même engagé, mais sous probation. Dès lors, il sera témoin de la plus sincère volonté de Béatrice : celle de mourir, dignement. Ray est inévitablement plongé en plein coeur du dialogue fondamental qu’auront la mère et sa fille, et il devient vite l’intermédiaire indispensable dont ont besoin les deux femmes pour apprendre à communiquer sur une question aussi sensible.
De façon extrêmement humaine, et avec une grande touche d’humour indissociable à la pièce, l’auteur nous parle d’empathie, d’amour et d’espoir. Car pour emprunter les mots de Béa: « Il y a des choses pires que la mort, Mom. On le sait toutes les deux ça. »

L’auteur Mick Gordon signe ici un texte étonnant autour d’un sujet brûlant d’actualité : le suicide assisté. Avec cette pièce pétillante, empreinte de beauté, l’auteur britannique a trouvé une façon délicate et originale de parler de la mort. Pour sa toute première production, le Théâtre de la Bête Humaine s’est immergé avec bonheur dans cette histoire ludique et poétique, racontée avec un humour irrésistible et beaucoup d’humanité.


Scénographie Julie-Ange Breton et Mathieu Prud'homme
Éclairages et assistanat Julie Tessier
Costumes Cynthia St-Gelais
Conseillers artistiques Reynald Robinson et Robin-Joël Cook
Visuel : Hugo B. Lefort

Tarifs
Au guichet : régulier 25 $, aîné 21,50 $, 30 ans et - et membres 20 $, groupes (15 personnes +) 17 $, étudiant en théâtre 15 $
Par téléphone et en ligne : régulier 27,50 $, aîné 24 $, 30 ans et - et membres 22,50 $, groupes (15 personnes +) 17 $, étudiant en théâtre 17,50 $

Production Théâtre de la Bête Humaine


Salle intime du Théâtre Prospero
1371, rue Ontario est
Billetterie : (514) 526-6582

Youtube Facebook Twitter
 
______________________________________
 Critique
Critique

par Olivier Dumas


Crédit photo : Laurence Dauphinais

Le Théâtre de la Bête humaine réussit en grande partie son baptême artistique avec une Béa relativement concluante dans la salle intime du Théâtre Prospero.

Le Québec et l’Irlande vivent une véritable histoire d’amour par les liens intrinsèques développés grâce aux similitudes entre leurs deux dramaturgies. La pièce de Mick Gordon s’inscrit dans cette mouvance par la mise à nu émotionnelle de ses personnages. Par contre, elle s’en distingue par son union pas toujours harmonieuse entre l’humour et le drame.

Traduite en français par Yannick Chapdelaine, l’un des comédiens de la production, Béa aborde un thème épineux, soit la mort assistée. Très actuel, le sujet fait régulièrement la manchette, entre autres au Québec, avec la Loi concernant les soins de fin de vie.

Durant deux heures sans entracte, nous entrons dans la chambre douillette d’une jeune fille clouée au lit, soit la Béa du titre. Paraplégique, elle ne peut que bouger ses lèvres pour exprimer ses besoins. Le récit ne mentionne jamais la cause des origines de son état. Ce parti-pris littéraire éloigne certaines lourdeurs ou effets mélodramatiques si tentants dans ce genre d’entreprise sauf pour les quelques scènes nostalgiques sur l’écran du téléviseur. Nous y observons Béa, alors une gamine en santé, cueillir des pommes avec son père, un être depuis disparu de sa vie. Sa mère avocate veut dénicher la perle rare pour prendre soin de son enfant. Elle tombe sur un curieux phénomène, Raymond, surnommé Ray, qui, sous des airs de grand dadais, permet à l’héroïne de se libérer de ses nombreux blocages psychiques.

La direction d’acteurs d’Olivia Palacci confère à ce drame une intimité palpable jamais hermétique qui rejoint rapidement et fréquemment le public tout au long de la représentation. Les rires fusent à de nombreuses reprises plus souvent que les sanglots refoulés. Ray et la mère se déplacent toujours d’un bout à l’autre de la chambre, donnant à l’ensemble un dynamisme perceptible sans une impression d’essoufflement. Certains passages deviennent presque des ballets chorégraphiques, entre autres lorsque la mère surprend son «employé» dans des situations pour le moins compromettantes. Par exemple, lorsque Ray revêt une robe aguichante et des talons hauts de Béa pour divertir cette dernière, Yannick Chapdelaine se révèle franchement hilarant.

Par contre, la mise en scène aurait pu faire confiance davantage à la force des dialogues. Trop souvent, les échanges se retrouvent noyés dans des chansons anglaises anecdotiques et peu inspirantes. Ils ralentissent l’accentuation de la charge émotive. Lorsque Béa et Ray se retrouvent en tête à tête pour des confidences sur un ton plus doux et des révélations de secrets longtemps enfouis dans leur psyché, la musique pop détonne par rapport à un propos qui exige encore un plus grand dépouillement. Pour le dénouement prévisible, mais amené avec beaucoup de délicatesse et de retenue, le silence qui émane entre les répliques des deux femmes donne l’opportunité aux actrices de creuser dans les abîmes du deuil, de la perte et du renoncement. Si la répétition du passage de l’enfance dans le pommier tend vers la complaisance, l’insertion d’un extrait d’une entrevue avec le philosophe français Frédéric Lenoir à l’émission Tout le monde en parle constitue un choix artistique d’une grande pertinence.

L’un des grands mérites du texte de Gordon demeure la faible présence de pathos ou d’emphase dans son traitement du suicide assisté. Mais l’équilibre entre la tragédie humaine et les innombrables séquences comiques (qui tombent parfois dans le burlesque) manque à l’occasion de nuance ou de dosage. À entendre les réactions de l’auditoire, on aurait pu se croire, par moment, dans une pièce de variété. Paradoxalement, la dédramatisation de la maladie rend la progression narrative plus ardue. C’est seulement durant les dernières minutes que le dilemme du destin de Béa surgit concrètement, à savoir la poursuite ou l’interruption de la souffrance. Par ailleurs, une version raccourcie, en raison des longueurs, ajouterait une tension supplémentaire.    

Le trio d’interprètes s’acquitte sans anicroche de leurs partitions respectives. Dans le rôle-titre, Alexandra Cyr démontre l’abandon nécessaire à cette jeune fille prisonnière de son destin, bien que sa souffrance aurait dû être perceptible plus rapidement par petites touches avant la finale. Yannick Chapdelaine est fabuleux en aide-soignant verbomoteur à l’identité sexuelle ambiguë qui laisse peu à peu dévoiler les blessures de son passé. Suzanne Lantagne apporte très bien les dimensions antagoniques de cette mère d’abord hautaine, mais profondément forte et bouleversée alors que défilent les événements.

«On ne peut pas être défectueux toute une vie», entendons-nous dans la pièce Béa. Malgré les bémols, l’implication des artistes témoigne d’une ferveur ressentie face à une réalité aussi troublante que frontale.

05-05-2015