Nine, une fillette abandonnée par sa mère, est enfermée
par son père pendant une année entière dans la pièce secrète.
Un lieu sans lumière avec, comme seule ouverture sur le monde,
la trappe à travers laquelle la main de son père lui glisse quotidiennement
un plateau de nourriture. C’est l’unique contact
auquel elle a droit...
Plus tard, Nine est libérée. Elle grandit, accompagnée au fil des ans par une succession de thérapeutes qu’elle nomme les Morlocks, à l’instar de ces êtres du monde souterrain de H.G. Wells qui se nourrissent de chair humaine. C’est dans le bureau du Morlock no 1, celui qui a pris la fillette dans ses bras le jour de sa libération, qu’elle replonge, au fil des séances, dans ses souvenirs.
Conception Anne-Frédérique Préaux,
Cédric Delorme-Bouchard,
Amélie Jodoin,
Kristelle Delorme
Visuel : Emanuel Robichaud
Date Premières : 17 au 21 février 2015
Au guichet : régulier 25 $, aîné 21,50 $, 30 ans et - et membres 20 $, groupes (15 personnes +) 17 $, étudiant en théâtre 15 $
Par téléphone et en ligne : régulier 27,50 $, aîné 24 $, 30 ans et - et membres 22,50 $, groupes (15 personnes +) 17 $, étudiant en théâtre 17,50 $
Carte premières : 12,50$
Production Théâtre de l'ombre rouge
par Daphné Bathalon
Nine est à l’orée de l’adolescence quand sa mère, la Déserteuse, l’abandonne seule avec son père, qui l’enferme alors dans une pièce « secrète » sans fenêtre et barricadée, où elle passera un an avec pour tout contact humain les mains de son père passant un plateau de nourriture par une petite trappe. Deux ans après sa libération, Nine étouffe toujours sous le poids des mots qui ne veulent pas sortir. C’est lors de rencontres avec un thérapeute, le Morlock n°1, qu’elle finit par s’ouvrir.
Le désir de Gobi, une pièce déprimante? Étonnamment, pas du tout! Si la douleur est toujours vive dans la tête et le cœur de la jeune Nine et son histoire vraiment effroyable, le texte de Suzie Bastien et la proposition qu’en fait le Théâtre de l’Ombre rouge sont avant tout remplis d’espoir et de lumière. Le monde imaginaire de Nine, bien que parfois effrayant, est riche de rêves. C’est par les mots que la fillette trouvera une échappatoire.
Quinze ans après sa création au Quat’sous, la pièce se révèle, hélas, toujours pertinente. Elle est même plus que jamais d’actualité, parce que les histoires d’enfances brisées et les histoires d’horreur continuent de se vivre jour après jour. Lumineuse et sensible, la mise en scène d’Emanuel Robichaud en fait un spectacle vibrant et profondément humain. C’est une véritable incursion dans le monde imaginaire de Nine qu’on nous propose grâce à une belle scénographie et surtout à une magnifique distribution.
En Nine, Gabrielle Lessard est absolument parfaite. Sa voix particulière, son physique frêle, sa manière d’arpenter la scène ou de se cacher dans son pull rouge la rendent éminemment touchante. Elle incarne toute la spontanéité et la fragilité, mais aussi la violence de Nine. La comédienne alterne avec aisance entre la fillette qui refuse de grandir et la jeune fille qui voudrait guérir. À ses côtés, Jonathan Hardy, dans le rôle du mystérieux ami imaginaire Colas, se fait joueur, poète, extraterrestre… Tous deux forment un duo d’êtres exaltés qui font palpiter la tête et le cœur du public.
Colas et Nine sont deux papillons aux ailes brûlées qui rêvent au désert, là où on entend le mieux les cris. Attachants, vifs, expressifs, ces médaillés d’or des Olympiques de la détresse ne sont d’ailleurs pas sans rappeler les grands enfants que sont les Inès Pérée et Inat Tendu de Réjean Ducharme. Alors que les cicatrices de Colas, brûlé vif par sa mère, sont bien visibles, celles de Nine se cachent sous sa peau et tout au fond de ce lit en fer, dans l’enfer personnel qui a été le sien pendant un an. Drôle de choix cependant que de rendre visibles les deux autres personnages peuplant l’imaginaire de Nine, les sombres Scarlett et Noman… Les voir incarnés sur scène apporte bien peu à la proposition en plus de distraire inutilement des tourments intérieurs vécus par Nine. En thérapeute, Vincent Magnat se fait le miroir des spectateurs attentifs.
Malgré la dureté du sujet, les adolescents de 12 ans et plus pourraient certainement apprécier l’histoire de Nine et la fine prose de l’auteure. Tant les choix de mise en scène que les choix d’interprétation pointent en effet vers un théâtre jeune public. La scénographie se joue elle-même des codes de l’enfance : les murs barbouillés de craie, une tour de jouets, le tapis comme un carré de désert surplombé de deux soleils dorés, et la lumière, qui se fait tantôt vive, tantôt faisceau de lampe de poche… La boîte qu’est la salle intime du Prospero se prête bien à cette immersion dans l’univers de Nine.
Avec Le désir de Gobi, le Théâtre de l’Ombre rouge offre une nouvelle visibilité au très beau texte de Suzie Bastien, et une production théâtrale de grande qualité.