A se sent traquée. Elle éprouve une répulsion physique envers les gros, se sent épiée par son employeur, trahie par ses collègues et incomprise de son mari. En outre, anxieuse à l’idée de perdre le contrôle de son corps, elle refuse de croire à l’existence d’une énigmatique instance de contrôle qui répondrait aux directives d’une tout aussi énigmatique institution régissant l’inconscient des citoyens. A confie son angoisse à B et à C. Ils tentent de la rassurer, mais l’histoire qu’ils cherchent à lui raconter revient sans cesse à son point de départ. Peu à peu, A, B et C élaborent, dans des saynètes mises bout à bout, un voyage dans les tréfonds de l’inconscient collectif sur fond de satire socio-culturelle.
Une comédie grinçante et cruellement efficace de Christian Lollike, un des auteurs les plus en vue de la nouvelle dramaturgie danoise.
Conception Loïc Lacroix-Hoy, Alexis, Aubin-Marchand, Francis Hamel
Assistance à la mise en scène Émilie Gauvin
Visuel : Laurence Dauphinais
Date Premières : 20 au 24 janvier 2015
Au guichet : régulier 25 $, aîné 21,50 $, 30 ans et - et membres 20 $, groupes (15 personnes +) 17 $, étudiant en théâtre 15 $
Par téléphone et en ligne : régulier 27,50 $, aîné 24 $, 30 ans et - et membres 22,50 $, groupes (15 personnes +) 17 $, étudiant en théâtre 17,50 $
Carte premières : 12,50$
Production Collectif Le Stasi
par Marie-Luce Gervais
La vie normale, de l’auteur danois Christian Lollike,est une pièce où les comédiens tentent de raconter une histoire qualifiée de « normale », sans jamais y parvenir. Mais qu’est-ce que la normalité à une ère où médias et réseaux sociaux permettent la projection d’une vie qui n’a rien à voir avec la réalité ? Cette réalité artificielle axée sur l’image, ainsi que l’angoisse qui vient avec, devient-elle, alors, dite « normale » ?
Dans un décor contrefait, composé de faux gazon, d’éclairage au néon et où trône un cadre avec une photo parfaite de modèles parfaits qui représentent une famille parfaite, une femme, de rose bonbon et de turquoise vêtue, « surveille par la fenêtre de la cuisine son bébé qui dort dans une poussette ». C’est le point de départ de cette fameuse histoire que tentent désespérément de nous raconter les trois acteurs de la pièce. Mais, chaque fois, cela échoue ; quelque chose dérape et tout est à recommencer. Les comédiens décrochent de leurs personnages, submergés par leurs angoisses personnelles ; angoisse de se sentir traqués, de perdre le contrôle sur leur corps et leur vie, angoisse de ne pas plaire au patron, au mari, aux collègues ou aux enfants. L’angoisse grandissante, les comédiens glissent alors tranquillement dans une théâtralité délirante. Lorsque cela atteint son paroxysme, les acteurs, dans un élan de lucidité, décrochent à nouveau, se rappellent, entre eux, leur objectif de raconter une histoire « normale », s’excusent auprès des spectateurs et recommencent encore et toujours la scène de la dame qui surveille son enfant, scène qui, finalement, ne connaîtra jamais de dénouement. Il en résulte donc une succession de scènes éclatées plutôt qu’une histoire classique linéaire.
La mise en scène de Charles Dauphinais est originale ; il joue avec la distanciation et les contrastes entre les divers niveaux de jeu et de réalité. Ainsi, les dispositifs scéniques sont exposés : les éclairages alternent entre néons et projecteurs, certaines répliques sont adressées directement au public et les acteurs jouent parfois leurs propres rôles, parfois des personnages. Cela a pour effet de dynamiser l’écoute et de capter l’attention. Le texte de Lollike, somme toute assez cinglant, est habilement construit sous une forme satirique ; le rire, provoqué par cette succession de scènes tantôt absurdes, tantôt grotesques, cache ainsi une réflexion profonde et parfois amère sur la perte des valeurs dans la société occidentale. Les acteurs, Yannick Chapdelaine, Philippe Robert et Véronic Rodrigue, passent de la réalité scénique à la réalité de la salle, et d’un jeu réaliste à un jeu caricatural avec une impressionnante agilité.
La pièce pose un regard critique sur notre société à travers l’échec des personnages à nous raconter une histoire dite « normale » ; mais qu’est-ce que « la vie normale » ? Avoir sa petite routine métro, boulot, dodo ? Avoir la maison, la famille, le chien et projeter une image harmonieuse ? La normalité la plus généralisée de notre époque ne serait-elle pas plutôt celle de s’angoisser avec sa performance au travail, avec celle de la recherche du corps parfait, celle d’une intimité biaisée par le dévoilement public de nos faits et pensées sur les réseaux sociaux ainsi qu’une image artificielle d’un bonheur incroyablement vide ? Si c’est le cas, les trois protagonistes de La vie normale semblent s’éloigner continuellement de leur quête de nous raconter leur histoire « normale », et peut-être, au fond, s’en rapprocher dangereusement.