De la tombée de la nuit au lever du jour, ils sont ici quatorze enivrés à chercher au fond de leur soûlerie les vérités les plus fondamentales sur l’existence, l’amour et le rapport aux autres. Sous l’effet de l’alcool, les corps s’effondrent dans la boue, les esprits s’allument dans une soirée entre amis, les langues se délient dans un enterrement de vie de garçon qui dérape.
Inoculée par une langue mêlant révélations tonitruantes, images surréalistes et professions de foi illuminées, l’ivresse dansante des Enivrés invente un langage inédit pour nous relier à la grande énigme du monde. Dans Oxygène et Illusions, deux pièces présentées antérieurement par La Veillée, Ivan Viripaev convoquait une poignée d’interprètes. Cette fois le dramaturge risque une forme plus ample au souffle épique. Avec une dizaine d’acteurs et d’actrices, Florent Siaud dont on connaît désormais les talents de précision, de clarté, fait le pari d’une direction rageuse et libre.
Texte Ivan Viripaev
Traduction Tania Moguilevskaia et Gilles Morel
Mise en scène Florent Siaud
Avec Paul Ahmarani,
David Boutin,
Maxime Denommée,
Benoit Drouin-Germain,
Maxim Gaudette,
Marie-Pier Labrecque,
Marie-France Lambert,
Marie-Eve Pelletier,
Dominique Quesnel,
Évelyne Rompré
Crédits supplémentaires et autres informations
Assistance à la mise en scène Valery Drapeau
Scénographie et costumes Romain Fabre
Conception sonore Julien Éclancher
Lumière Nicolas Descôteaux
Vidéo David Ricard
Mardi 20h, mercredi 19h, jeudi-vendredi 20h, samedi 16h
Rencontre avec le public : 29 novembre
TARIFS
Scène principale - régulier 35$, sénior 65 ans et + 28$, 30 ans et - / membres 26$
Scène intime - régulier 28$, sénior 65 ans et + 25$, 30 ans et - / membres 23$
Les prix incluent les taxes, commande en ligne ou par téléphone : frais de service de 3$ par billet
Une production du Groupe La Veillée
Entrevue
Par Olivier Dumas
Au café du Théâtre Prospero, Évelyne Rompré et Marie-Ève Pelletier décortiquent l’ivresse et la quête de sens qui imbibent Les Enivrés d’Ivan Viripaev.
Né en 1974 à Irkoutsk en Sibérie, Ivan Viripaev a connu un passé rude entre alcoolisme, vols à mains armées et séjour en prison. Le théâtre a orienté sa vie, autrement, même si à ses yeux le banditisme et le théâtre auraient en commun «le romantisme et l’escroquerie». De son répertoire, deux productions antérieures ont été présentées au Prospero : Oxygène, dirigée par Christian Lapointe, et Illusions, déjà sous la gouverne de Florent Siaud et avec Marie-Ève Pelletier parmi les interprètes.
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Pour la troisième fois depuis 2013, une pièce d’Ivan Viripaev brille sur la scène du Prospero. Après avoir mis en scène Illusions, le metteur en scène Florent Siaud s’attaque cette fois aux Enivrés, créé à Moscou en 2014. La présence accrue de ce dramaturge russe à Montréal témoigne de l’« obsession » de la directrice artistique Carmen Jolin pour l’écriture de Viripaev, mais aussi de son importance dans le paysage théâtral contemporain.
Pour Les enivrés, Florent Siaud a recours à dix acteurs chevronnés particulièrement complices, qui feignent l’enivrement avec beaucoup de justesse. Mentionnons que trois d’entre eux – Marie-Ève Pelletier, Paul Ahmarani et David Boutin – étaient d’ailleurs de la distribution d’Illusions en 2015. Le temps d’une nuit, les spectateurs sont plongés avec les personnages dans un état oscillant entre le rêve et l’éveil. Parmi eux, Benoit Drouin-Germain se démarque comme célébrant d’un mariage improvisé, et dont la légitimité lui vient de son frère prêtre catholique (frère dont l’existence est constamment remise en question), tout comme Paul Ahmarani, qui cherche à convaincre son ami que sa mère est morte assassinée par son chat et qui invite son entourage à porter attention au « chuchotement du Seigneur ». Il est également agréable de découvrir certains acteurs sous un jour nouveau, comme Maxime Dénommée, déguisé en lapin rose, qui subit les humiliations de son enterrement de vie de garçon, ou encore Dominique Quesnel dans le rôle d’un homme grossier et vulgaire.
La scénographie dépouillée de Romain Fabre consiste en un rideau de tulle découpé en bandelettes, facilitant les entrées et sorties des acteurs et les changements de décor. Les accessoires, le mobilier et les (nombreux) ballons blancs qui composent la scénographie semblent contrôler leurs allées et venues de manière autonome entre le devant et l’arrière du rideau. Le dispositif sert également de surface de projection, notamment durant la scène finale où la silhouette des interprètes, absents de la scène, se laisse deviner en transparence derrière le rideau. À cet effet, les éclairages de Nicolas Descôteaux contribuent à créer l’atmosphère étrangement glauque dans laquelle les personnages ont leurs illuminations. La sobriété de la mise en scène permet surtout de mettre en valeur le texte, qui se caractérise notamment par d’innombrables jeux de répétitions et de ressassement, ainsi que par des questionnements philosophiques et métaphysiques. Derrière le burlesque de certaines scènes se cache le grand mal de vivre des personnages que l’alcool permet simplement de mettre en lumière.
L’ambiance des Enivrés a quelque chose à voir avec l’absurdité ultralucide d’un Ionesco ou d’un Beckett ou encore avec certaines œuvres de Dostoïevski dans lesquelles le tragique et le comique cohabitent. C’est une véritable chance que l’on puisse découvrir de mieux en mieux l’intelligence d’une dramaturgie comme celle de Viripaev.