Trois jeunes suédois fêtent la fin de l’année scolaire. Ils se chamaillent, boivent des bières, parlent de foot. Aussi, ils parlent de la pureté de la Suède et de la suprématie de la race blanche. Puis, arrive Karl, un jeune du même âge, mais de race asiatique. Né en Corée, Karl a été adopté par un couple suédois aisé. Il passait par là. On l’incite à rester et lui, qui croit en la vertu du dialogue, y restera.
« Tu peux dire ce qui te dérange dans un peuple homogène ? […] Si les gens préfèrent vivre avec les leurs et vivre dans le pays que leurs ancêtres ont fondé et qu’ils veulent pas se mêler à d’autres races… je dis pas qu’elles valent moins ou qu’elles ont pas le droit, mais ces gens-là doivent pas venir et s’imposer […]» Extrait de Froid.
Texte Lars Norén
Traduction et adaptation
Katrine Ahlgren en collaboration avec Amélie Wendling
Mise en scène Olivier Lépine
Avec Ariane Bellavance-Fafard, Dayne Simard, David Bouchard et Olivier Arteau-Gauthier
Crédits supplémentaires et autres informations
Décor, costumes et accessoires Claudelle Houde-Labrecque
Éclairages Olivier Lépine et Laurence Croteau-Langevin
Assistance à la mise en scène Gabrielle Ferron
Rapprochements du texte au vernaculaire québécois par la Brute qui pleure
Mardi 20h15, mercredi 19h15, jeudi-vendredi 20h15, samedi 16h15
TARIFS
Scène principale - régulier 35$, sénior 65 ans et + 28$, 30 ans et - / membres 26$
Scène intime - régulier 28$, sénior 65 ans et + 25$, 30 ans et - / membres 23$
Les prix incluent les taxes, commande en ligne ou par téléphone : frais de service de 3$ par billet
Production La brute qui pleure
critique publiée en février 2017
L’auteur suédois Lars Norén n’en est pas à sa première pièce coup-de-poing. Rappelons simplement la pièce 20 novembre, mise en scène par Brigitte Haentjens et jouée par Christian Lapointe en mars 2013 au Complexe Méduse, qui avait, c’est le cas de le dire, médusé l’auditoire. L’homme de théâtre scandinave est reconnu, du moins depuis le début des années 2000, pour ses textes qui creusent les angoisses existentielles et familiales, tout en explorant le monde des plus démunis, des plus faibles, des jeunes ; un univers fissuré, morcelé, toujours en recherche de repères.
Froid, inspiré d’un événement réel, est l’histoire de trois voyous, Keith, Ismael et Anders, qui défendent les idées de nationalistes et de groupes d’extrême droite. Ils crient « White Power », « Confiance, espoir, combat » ; ils sont au bord d’une guerre identitaire suédoise qu’ils désirent ardemment. Il n'y aura pas d'avenir sans purification. Alors qu’ils tuent le temps, après la fin des cours pour l’été, en buvant bière sur bière, arrive Karl, collègue de classe sud-coréen adopté par une famille bien nantie. Karl, pris en grippe, passe de victime à ami, subissant coups, discours haineux, gestes humiliants, vol de son cellulaire puis pardon, avant que tout recommence. Un cercle vicieux qui mènera le trio vers une finalité sans équivoque, d’une violence inouïe.
Crise des migrants ; élection de Donald Trump ; mur à la frontière du Mexique ; faits alternatifs et manifestations ; fragilité du pouvoir d’Angela Merkel après la décision d’accueillir des Syriens en terre allemande ; montée de la droite dans plusieurs pays européens ; explosion des discours haineux sur les réseaux sociaux ; attaque meurtrière à la Grande Mosquée de Québec : le monde est en crise, et le texte de Norén n’en est que plus criant d’actualité. De manière naturaliste, voire réaliste, avec tout ce que ça comporte, l’auteur explore la crise identitaire, individuelle et collective, de jeunes adultes. Une jeunesse qui, par ennui ou n’ayant aucun autre moyen d’agir, a recours à la violence pour se faire entendre, pour protester, pour exister. Entre l’évocation de la splendeur de la nature suédoise, de la race et des matchs de football, ils abordent l’idée de la mort-sacrifice et du meurtre comme acte grandiose. Si Karl croit aux vertus du dialogue, croyant qu’il pourra s’en sortir en tentant de raisonner avec eux, il se brisera le nez (et d’autres os du corps au passage) sur les idéologies extrémistes que prônent Keith et, par défaut, ses deux acolytes.
Alors que la pièce aurait dû secouer, déranger, saisir son auditoire – et probablement qu’elle le fait pour une partie de celui-ci –, elle laisse pourtant un goût amer d’indifférence. À qui ou à quoi la faute ? La mise en scène d’Olivier Lépine est somme toute efficace, malgré quelques problèmes en rapport à l’espace : par exemple, le trio ne barre pas toujours la route à Karl, qui pourrait en profiter pour s’échapper. Du coup, cela donne l’impression que Karl est une victime consentante, restant sur place. Le choix d’octroyer le rôle de Anders à une femme (Ariane Bellavance-Fafard) est tout aussi brillant que risqué. Anders est un véritable psychopathe (que la comédienne rend, d’ailleurs, d’une manière souvent exceptionnelle), mais le sexe du personnage change alors complètement la dynamique du trio. Si, dans le texte original, le boys band, qui pourrait répondre aux normes des skinheads, est soudé par la présence d’un leader charismatique et de deux soldats-jouets, on sent ici un désir chez la jeune femme de plaire au chef et un besoin d’assouvir ses bas instincts, bien avant d’adhérer aux idéologies d’extrême droite véhiculées par Keith. Par contre, sa présence au sein du groupe crée un parallèle beaucoup plus équivoque avec les gangs que l’on pourrait croiser dans nos villes et villages québécois.
Le décor de Claudelle Houde-Labrecque, un mur translucide monté à l’oblique, crée un effet de fausse fuite. Le reste de la scène est exigu, pressant le public et les comédiens dans un espace restreint. Sans couleur, sans nuance – sauf pour quelques effets de lumière –, c’est la désolation. Alexander Peganov, aux chorégraphies de combat, rend la violence sur scène crédible, voire percutante, et ce, entre tous les personnages qui se chamaillent, se bousculent, se tapent dessus.
David Bouchard incarne Keith avec aplomb, sans tomber dans la caricature. Il arrive à défendre les valeurs nationalistes de son personnage avec une certaine ferveur et une honnêteté terriblement naturelle. Le jeune Ismael de Dayne Simard, qui ne pense qu’à la bouffe, voit sa naïveté le perdre dans un néant de violence qu’il ne comprend pas totalement. Ariane Bellavance-Fafard prouve, par son jeu arrogant, que la violence et la terreur n’ont plus de sexe ; Olivier Arteau donne un visage occidental à son personnage sud-coréen, créant du coup un sentiment de récognition ou d’identification chez le spectateur. Malgré quelques surprenantes phrases (après avoir été tabassé, il suggère quand même de les revoir au cours de l’été), son Karl s’avère tout de même une victime plausible.
Peut-être le problème réside-t-il au creux de la traduction de Katrin Ahlgren et d’Amélie Wendling? Si elle peut parfois être d’une banalité sans borne, collant parfaitement au quotidien de jeunes qui perdent leur temps, elle se veut aussi à quelques reprises faussement poétiques, artificielles, cherchant quelque effet de beauté qui ne fonctionne pas. De plus, l’utilisation abusive de jurons, surtout pour le personnage d’Anders, finit par miner le personnage.
Si, chez certains spectateurs, cette première production de La Brute qui pleure résonnera fortement, comme un froid humide et mordant, qui passe au travers des os, chez d’autres, ce sera un Froid sec, qui n'arrive pas à créer l’impact attendu. Et c’est alors qu’on se pose certaines questions cruciales : est-ce la pièce qui ne réussit pas à frapper de plein fouet notre imaginaire et notre cœur, ou est-ce l’actualité mondiale qui a banalisé ce type d’événement, jusqu’à ne plus pouvoir vivre intensément cette catharsis maudite des personnages qui vont jusqu’au bout de leur immonde désir de sang? Pour l’amateur de théâtre, la pièce pourrait être une déception, mais pour l’humain, elle pourrait s’avérer être le déclencheur d’une terrible prise de conscience. Et simplement pour cela, la pièce se doit d’être vue et jouée. Que l'injustifiable, l'inadmissible et l'intolérable ne deviennent jamais acceptable, banal, oubliable.
Dates antérieures (entre autres)
Du 14 février au 4 mars 2017 - Premier Acte