Ce grand classique de Tchekhov est sa toute première pièce ; elle surgit, sans titre, des années après la mort de l’auteur sous une forme inachevée. Et pourtant, elle contient TOUT Tchekhov : l’observation minutieuse d’une société en déliquescence, suspendue entre stagnation, ennui et devenir incertain dans laquelle les individus se heurtent les uns contre les autres en éprouvant le vide qui les habite. Les relations familiales, le couple, l’économie amoureuse et sexuelle, l’émancipation féminine, le nihilisme constituent les thèmes majeurs de cette dramaturgie débordante. C’est pourquoi elle demeure d’une si grande actualité et qu’elle continue de fasciner. L’œuvre sera réinterprétée et défendue sous un angle nouveau par une équipe de comédiens et comédiennes qui s’y jetteront à corps perdus.
L’adaptation de l’audacieuse metteuse en scène Angela Konrad interrogera l’expérience amoureuse dans la modernité sous forme d’une reconstitution d’un meurtre passionnel. Platonov, amour, haine et angles morts nous mène tout droit dans l’intimité des relations humaines pour en montrer la part obscure. Elle tente d’éclairer l’individu contemporain et son rapport à l’amour et ses pathologies. En arrière-plan transparaissent les références romanesques de l’auteur : Sacher Masoch, Nietzsche, le révolutionnaire Bakounine, Tourgueniev. Une pièce qui émerge de la littérature et des considérations philosophiques et politiques de son temps dans une mise en scène qui bouscule aussi les codes de la représentation théâtrale.
Texte Anton Tchekhov
Traduction
André Markovicz, Françoise Morvan
Mise en scène Angela Konrad
Conception et scénographie Angela Konrad
Avec Violette Chauveau, Samuël Côté, Pascale Drevillon, Renaud Lacelle-Bourdon, Debbie Lynch-White, Marie-Laurence Moreau, Diane Ouimet, Olivier Turcotte
Crédits supplémentaires et autres informations
Assistance à la mise en scène William Durbau
Lumières Cédric Delorme-Bouchard
Conception sonore Simon Gauthier
Conception vidéo Julien Blais
Assistance à la scénographie Wanderson Damaceno
Assistance aux costumes Fruzsina Lanyi
Recherche dramaturgique François Genest
Second assistant Hubert Rivest
TARIFS
Scène principale - régulier 37$, 65 ans et + 31$, 30 ans et - / professionnels 29$*, Carte Prospero 28$**
Scène intime - régulier 30$, 65 ans et + 28$, 30 ans et - / professionnels 26$*, Carte Prospero 26$**
Les prix incluent les taxes, commande en ligne ou par téléphone : frais de service de 3$ par billet
* (UDA, UNEQ, CEAD, SACM, SCAM, AQAD, AQM, ATEQ)
** limite de 2 billets par spectacle, par carte Prospero
Coproduction Le Groupe de la Veillée et La Fabrik
Collaboration entre le groupe de La Veillée et la Fabrik, le nouveau spectacle d’Angela Konrad semble, une fois plus, réussir à en dire beaucoup avec peu. Relecture moderne du Platonov d'Anton Tchekhov, d’après une traduction de Françoise Morvan et André Markowicz, la pièce Platonov, amour, haine et angles morts sera présentée jusqu’au 15 décembre 2018 dans la salle principale du Prospero.
Cette comédie tragique met à l'avant-scène la complexité des rapports intimes qui unissent les personnages du premier texte tchékhovien. Chez la veuve du général Voïnitsev (Violette Chauveau), lors d’une soirée festive, amours malsaines et haine se côtoient sous le regard de tous. À travers des paroles banales, les sous-entendus se multiplient jusqu'à laisser planer une profonde incertitude. Pendant deux heures, le public assiste à des élans passionnels de bourgeois tourmentés interprétés par des comédiens chevronnés.
De toute évidence, c’est un travail de recherches faramineux qu’Angela Konrad a réussi à transposer sur scène.
Alors que la scène est complètement vide, les personnages se présentent un à un avec une mine de marbre, mais dont la fragilité est palpable. Les pas de chacun résonnent en écho sur plancher de bois usé par le temps, prêt à craquer à tout moment. Se laissant désirer, Platonov (un Renaud Lacelle-Bourdon offrant un jeu tout en nuances) arrive le dernier, caché derrière sa femme (une Debbie Lynch-White d’une touchante incrédulité). Son apparition est le coup d’envoi d’un vaudeville sans farces. Si un rire discret se fait parfois entendre dans l'auditoire, les personnages, eux, naviguent entre une détresse intérieure puissante et une folie lourde de sens. À ce propos, Pascale Drevillon excelle avec une Grekova qui donne froid dans le dos. De son côté, Olivier Turcotte se plaît à jouer un mari cocu très caricaturé, mais qui, à lui seul, réussit à représenter ce besoin vital d'être aimé. L’élégance de Marie-Laurence Moreau agencé avec la sensibilité accrue du personnage de Sofia semble illustrer fort bien la fragilité de l'humain face à l’amour caché derrière la volonté de ne pas paraître vulnérable. Quant à Samuël Côté, il donne à voir, par le biais de son Trileski immature, cette peur de prendre parti au profit d’une liberté d’action. Même si Diane Ouimet s'avère plus discrète, son interprétation d’une version féminine du personnage de Glagolaïev témoigne, sans pudeur, de l’âge où la richesse séduit bien plus que la beauté. De toute évidence, c’est un travail de recherches faramineux qu’Angela Konrad a réussi à transposer sur scène.
Tout en permettant la projection de photo montrant souvent le regard des interprètes en plan rapproché, le mur de fond d’un blanc immaculé offre un bel effet de contraste avec la teinte plus foncée des costumes mondains de style plus moderne, relativement sobres. Ce choix semble accentuer l’idée d’un enterrement à venir. Grâce au travail de Julien Blais, concepteur vidéo, les images projetées paraissent insister sur l’importance du regard de l’autre dans un échange. Sans jamais cesser d’aborder un regard poignant, chaque comédien éprouve un malin plaisir à soutenir le regard des spectateurs en première rangée. Si la tension dramatique peut devenir lourde à porter au bout d’un certain temps, l’éclairage dynamique conçu par Cédric Delorme-Bouchard suffit à ramener l’ambiance de fête pour quelques pas de danse. Malgré la vision très pessimiste de l’amour que ce spectacle met en lumière, la troupe unit leur voix pour une adorable finale sur la chanson Ordinary Day de Peter Blake renvoyant le public chez lui, la conscience plus légère.
Mis en scène dans le plus grand des respects de la dramaturgie tchékhovienne, ce spectacle ne manquera pas de surprendre par sa simplicité. Haute en intensité, la pièce Platonov, amour, haine et angles morts donne à voir un jeu d’une brillante authenticité. Si la noirceur triomphe durant une bonne partie de la soirée, c’est dans le bonheur que tous sont invités à quitter les lieux.