Une cabine d’ascenseur, coincée entre deux étages d’un grand hôtel, aux petites heures de la nuit. S’y retrouvent prisonniers deux voyageurs qui ne se connaissent pas : un joggeur insomniaque et une mystérieuse jeune femme à la voix rauque. Dans ce huis clos aux allures de thriller érotique, les identités se brouillent et une enquête prend forme. Qui est donc cette inconnue qui semble contrôler la mécanique de l’ascenseur ? Et que contient cette clef USB qu’elle laisse tomber, comme par mégarde, en glissant sa main dans le short du joggeur ?
Inspirée de la figure ultra médiatisée de l’activiste américaine trans Chelsea Manning, née Bradley Edward Manning, et de la retentissante fuite de données vers Wikileaks qui a mené à son emprisonnement, Becoming Chelsea explore la question de la protection des données tant personnelles que militaires, de même que celle des contre-pouvoirs à l’œuvre dans nos sociétés. Le spectacle marque la première collaboration du nouveau tandem de direction de la compagnie de théâtre Les 2 Mondes : Sébastien Harrisson, auteur d’un théâtre poétique, traduit en plusieurs langues et régulièrement joué au pays comme à l’étranger, Eric Jean metteur en scène d’images puissantes et oniriques, qui a signé jusqu’à présent une quarantaine de spectacles. Un duo impeccable pour un fascinant jeu de miroirs.
Texte Sébastien Harrisson
Mise en scène Éric Jean
Avec Mustapha Aramis, Stéphane Brulotte, Marie-Pier Labrecque, Sébastien René
Crédits supplémentaires et autres informations
Assistance à la mise en scène et dramaturgie Josianne Dulong-Savignac
Décor Pierre-Étienne Locas
Musique et environnement sonore Laurier Rajotte
Lumières Cédric Delorme-Bouchard, assistance conception des lumières Claire Seyller
Vidéo Julien Blais
Costumes Marie-Audrey Jacques
Maquillage et coiffure Angelo Barsetti
Photo Angelo Barsetti
Durée -
Discussion après la représentation du 4 mars
TARIFS
Scène principale - régulier 37$, 65 ans et + 31$, 30 ans et - / professionnels 29$*, Carte Prospero 28$**
Scène intime - régulier 30$, 65 ans et + 28$, 30 ans et - / professionnels 26$*, Carte Prospero 26$**
Les prix incluent les taxes, commande en ligne ou par téléphone : frais de service de 3$ par billet
* (UDA, UNEQ, CEAD, SACM, SCAM, AQAD, AQM, ATEQ)
** limite de 2 billets par spectacle, par carte Prospero
Tarifs sujet à changement sans préavis
Production Les 2 Mondes
Inspiré par l’affaire WikiLeaks, l’auteur Sébastien Harrisson propose avec Becoming Chelsea une parenthèse fictive dans l’histoire de Chelsea Manning, née Bradley, devenue lanceuse d’alertes à l’âge de 22 ans. À travers le récit tissé par les médias au fil des semaines, des mois puis des années, Manning s’est transformée en un mythe vivant dans notre imaginaire collectif.
La pièce nous situe dans une cage d’ascenseur d’un hôtel du Vieux-Montréal, en 2018, lors du passage (réel celui-là) de Manning à Montréal pour une conférence. Là, dans cet hôtel, la jeune femme se retrouve confrontée aux reflets qu’elle-même, les autres et la société lui renvoient. Harrisson s’empare de ce personnage en métamorphose, aussi intellectuelle que physique, et en fait une Antigone prête au sacrifice pour le triomphe d’une justice idéalisée. Dans une époque hyperconnectée, mais dominée par les faux-semblants, les images fabriquées et les faits alternatifs, le droit à la vérité a-t-il encore sa place?
Dans une époque hyperconnectée, mais dominée par les faux-semblants, les images fabriquées et les faits alternatifs, le droit à la vérité a-t-il encore sa place?
La scénographie fluide signée Pierre-Étienne Locas permet à l’équipe de jouer sur plus d’un niveau temporel et spatial et donne à voir de surprenants jeux de transparence et de réflexions. Couplée aux magnifiques vidéos de Julien Blais et aux éclairages de Cédric Delorme-Bouchard, elle fait de Becoming Chelsea une des productions les plus réussies de la saison sur le plan visuel.
Le montage très serré de courtes scènes, leur juxtaposition, l’apport musical important, la vidéo et les éclairages qui en disent long sur l’état d’esprit des quatre personnages : le metteur en scène Éric Jean donne beaucoup ses couleurs à cette production de la compagnie Les 2 mondes. Dans une mise en scène photographique et proche du suspense, les éléments de l’intrigue nous apparaissent par fragments, à travers les souvenirs et les rencontres de chacun des personnages, tous pris dans leur solitude et leurs pensées. Le rythme est haletant, mais donne peu le temps de plonger dans l’émotion.
Becoming Chelsea tire en grande partie sa force de son interprète principal. Sébastien René prête son physique unique à Manning : des bribes de sa jeunesse de petit garçon à sa vie dans l’armée, puis en prison, jusqu’à ce jour précis où elle publie sur les réseaux sociaux une photo de ses pieds au-dessus du vide, accompagnée de trois simples mots : « I’m sorry ». L’acteur, qui enfile les rôles de marginaux comme une seconde peau, fait à nouveau voir l’étendue de son talent. D’une séquence à l’autre, il s’efface, disparaît dans les jeux de miroir, de costumes et de reflets, jusqu’à sa voix qui fluctue, comme l’identité de Manning et son rapport à la vérité et au devoir.
Autour de Manning gravitent trois personnages : le fantôme de Namir Noor-Eldeen, photographe de Reuters abattu par les forces américaines, ainsi que Max, un agent de la GRC chargé de surveiller les déplacements de Manning à Montréal, mais lui-même tourmenté par son passé de militaire, et sa femme, Fiona, en voyage à Londres. Malgré les efforts des comédiens et leur intégration à la structure fragmentée du récit, leur présence paraît, la plupart du temps, superflue à l’intrigue. Pire, elle nous distrait du mal être de Manning et de ses questionnements sur l’identité, et les notions de liberté et de responsabilité.
L’ensemble finit par devenir trop bruyant pour qu’on s’attache à l’âme à vif de Manning et sa quête d’authenticité, envers elle-même et le monde.