Encore cette année, Madame Catherine vient nous plonger dans notre inavouable désarroi. Après son succès au printemps 2018, le Prospero reçoit en reprise la comédie noire de l’autrice albertaine Elena Belyea, qui s’avère toujours aussi cruellement pertinente. L’enseignante de primaire passe du profilage racial à l’obsession sécuritaire, avec en arrière-plan la crainte viscérale d’une tuerie de masse, et le besoin de s’en prémunir par tous les moyens.
Le public, pris à parti, se trouve immédiatement immergé dans cet univers angoissant, interpelé par la logorrhée exaltée d’une femme qui exprime la déroute d’une société obsédée par la sécurité. La comédienne Alice Pascual interprète fougueusement ce personnage d’enseignante qui veut à tout prix protéger ses enfants, et réussit à le rendre à la fois alarmant et hilarant. Elle illustre notre crainte des tueries de masse, notre besoin de s’en prémunir par tous les moyens. La pièce, traduite par l’auteur Olivier Sylvestre, est mise en scène par Jon Lachlan Stewart, qui s’était auparavant fait connaître avec Big Shot dans la même salle. Avec sa compagnie Théâtre Surreal SoReal, il souhaite établir un réel échange entre les communautés francophone et anglophone d’ici. Avec Madame Catherine prépare sa classe de troisième à l’irrémédiable, la conversation est bien amorcée.
Texte Elena Belyea
Traduction Olivier Sylvestre
Mise en scène Jon Lachlan Stewart
Avec Alice Pascual et Frédéric Lavallée
Crédits supplémentaires et autres informations
Environnement sonore Jon Lachlan Stewart
Scénographie Cédric Lord
Éclairages et accessoires Zoe Roux
Durée -
TARIFS
Scène principale - régulier 37$, 65 ans et + 31$, 30 ans et - / professionnels 29$*, Carte Prospero 28$**
Scène intime - régulier 30$, 65 ans et + 28$, 30 ans et - / professionnels 26$*, Carte Prospero 26$**
Les prix incluent les taxes, commande en ligne ou par téléphone : frais de service de 3$ par billet
* (UDA, UNEQ, CEAD, SACM, SCAM, AQAD, AQM, ATEQ)
** limite de 2 billets par spectacle, par carte Prospero
Tarifs sujet à changement sans préavis
Production Théâtre Surreal Soreal
critique publiée en 2018 lors de la création
Jusqu’à la mi-avril, le Théâtre Prospero présente Madame Catherine prépare sa classe de troisième pour l’irrémédiable, une pièce dramatiquement d’actualité d’Elena Belyea traduite par Olivier Sylvestre et mise en scène par Jon Lachlan Stewart. Si le texte a été créé en anglais en 2014, sa pertinence est constamment réitérée par les manchettes des bulletins de nouvelles.
Pour la dernière journée de l’année, Madame Catherine a préparé un programme tout spécial pour sa classe de 3B. Considérant que la société québécoise n’est ni assez informée ni assez inquiète des dangers que courent les enfants dans les écoles, elle choisit de prendre les choses en mains et de donner une leçon de survie aux principaux intéressés. Avec une franchise désarmante, elle leur explique la signification des mots « tireurs », « confinement » ou « profilage », leur apprend comment « courir », « se cacher » et « attaquer » lors d’une situation d’urgence, et leur fait un bref historique des tueries survenues dans les écoles au cours des dernières décennies. Colombine, Sandy Hook et Great Mills, mais aussi Polytechnique, Concordia et Dawson. Pour montrer à ses élèves avec quelle facilité il est possible de faire entrer une arme entre les murs de l’école, elle va même jusqu’à sortir le fusil qu’elle traîne dans son sac depuis plus d’une semaine sans qu’aucun garde de sécurité n’en ait eu connaissance. D’une façon ludique et originale, le spectacle aborde le rapport que l’on entretient avec les armes à feu au Québec et la paranoïa qui peut facilement nous envahir si l’on se laisse aller à une trop grande lucidité quant à la fragilité de l’existence. Même à l’école, qui consiste en un lieu où les enfants devraient se sentir en sécurité, le danger les guette. Et ni Carl le gardien de sécurité qui dort constamment, ni le directeur, ni même les enseignants, ne pourront les protéger contre l’« irrémédiable ».
La performance d’Alice Pascual est magistrale dans le rôle de cette professeure tellement aimante et préoccupée par la sécurité de ses élèves qu’elle en vient à alimenter le climat de peur envahissant plutôt qu’à le prévenir. Tous les détails de son interprétation sont pleinement contrôlés, jusqu’à ses tics trahissant son manque de sommeil et son inconfort à donner sa « leçon de survie » clandestine. Tout au long du spectacle, la comédienne interagit avec le public comme elle l’aurait fait avec une classe d’enfants du primaire. Les spectateurs assis dans les deux premières rangées se font même attribuer un nom permettant à Madame Catherine de les interpeler directement. La mise en scène de Jon Lachlan Stewart mise justement sur cet échange constant entre la scène et la salle, qui oblige l’actrice à s’adapter aux réactions et à la participation des spectateurs. Elle les fait se lever, leur demande de placer leur main en position de « coyote », les fait pratiquer des techniques de défense, et les invite à remettre en question la gentillesse et la fiabilité de leurs voisins de siège.
En recourant à différentes techniques d’enseignement adaptées à un auditoire d’enfants – le jeu masqué, le rap, la marionnette – Madame Catherine cherche à adoucir l’horreur du drame qu’elle évoque, sans se rendre compte que ses « stratégies pédagogiques » ne font que redoubler sa maladresse à aborder un sujet préoccupant de manière aussi décalée. À partir du portrait type du tireur – un homme blanc, seul, originaire d’une petite communauté –, la professeure identifie les élèves de la classe ayant le plus de chance de commettre une tuerie. Plus tard, elle enfile des demi-masques de différents tireurs, Marc Lépine notamment, pour raconter les circonstances et les motivations de leurs gestes irréparables, puis elle colle leurs visages sur le devant de son bureau comme une murale.
En plus de mettre en évidence le choc entre la candeur de l’enfance et la violence du monde actuel, Madame Catherine prépare sa classe de troisième pour l’irrémédiable oblige le spectateur à réfléchir aux dérives de la peur panique cultivée par certains dirigeants politiques, à commencer par Donald Trump qui proposait il y a quelques semaines de munir les enseignants américains d’armes à feu sous prétexte de leur assurer une plus grande sécurité sur leur lieu de travail.
Dates antérieures (entre autres)
Du 27 mars au 15 avril 2018 - Prospero
31 mai et 1er juin 2019 - Carrefour Québec