Du 25 novembre au 21 décembre 2008
Retour à l'accueil Imprimer cette page Archives Accueil Facebook del.icio.us

Opium_37

Texte de Catherine Léger en collaboration avec Éric Jean
Mise en scène d'Éric Jean
Avec Stéphan Allard, Normand Daneau, Muriel Dutil, Kathleen Fortin, Eve Gadouas, Martine-Marie Lalande, Eric Paulhus, Yann Perreau, Evelyne Rompré et Daniel Thomas

La pièce Opium_37 de Catherine Léger questionnera le rôle de l’artiste évoluant parmi ses contemporains dans une réflexion festive et musicale sur le besoin de combattre et de s’enivrer, de se sentir vivant et fort, de se sortir du confort oppressant de nos sociétés riches et coupables. Dans l’ambiance effervescente d’un café du Paris pauvre et explosif des années 30, on suit le destin fictif d’Anaïs Nin, écrivaine célèbre pour ses journaux intimes et ses récits érotiques. Elle côtoie une faune éclectique qui tente d’oublier la menace de la guerre grâce à la fête, l’amour et les vapeurs de l’opium. Une œuvre vibrante qui ouvrira la saison du nouveau Quat’Sous dans le bruit et l’exaltation.

Concepteurs : Angelo Barsetti, Annie Beaudoin, Michel F. Côte´, Nicolas Jobin, Moïka Sabourin, Pierre-Etienne Locas, Martin Sirois

Une production du Théâtre de Quat’Sous

Exceptionnellement, à cause de délais administratifs retardant l'achèvement des travaux du nouveau Théâtre de Quat'Sous, La pièce Opium_37 sera présentée à la salle 2 de l’Espace Go
Espace Go
4890, boul. Saint-Laurent
Billetterie : 514-845-4890


Quat'Sous
100, ave. des Pins Est
Billetterie : 514-845-7277

par David Lefebvre

La vie n'existe pas [...] il n'y a que la jouissance...

Éric Jean, metteur en scène et véritable créateur d'images vivantes, nous entraîne cette fois-ci hors des murs du Quat'Sous de deux façons : en présentant la première production de la nouvelle saison du théâtre de la rue des Pins à l'Espace Go, en attendant d'ouvrir officiellement les portes en 2009 de ce tout nouveau lieu de création, et en explorant l'esprit des années 30, son essence, son âme, avec notre vision biaisée peut-être, fantasmée sûrement, par l'entremise de certains personnages plus ou moins célèbres, par des artistes et des voyous et des marginaux. La jeune auteure Catherine Léger, diplômée en 2005 de l'École nationale de théâtre, inculque à ce récit rétroviseur par le biais de ses dialogues une dose de folie, de délinquance, d'insouciance, aux multiples contrastes, opposant nos conceptions du conformisme et de la liberté avec celle d'alors.

Autour d'Anaïs Nin, jouée par Évelyne Rompré, gravite son amant actuel et psychanalyste, René (calqué probablement sur René Allendy), interprété par Éric Paulhus, un gérant de café (Stéphan Allard), sa soeur au tempérament bouillant et aux idées assassines, qui astique aussi bien les verres que les pistolets (Kathleen Fortin), un artiste raté qui revendique les oeuvres des autres comme étant les siennes (Normand Daneau), une pute caricaturale, tenant autant de Piaf que du clownesque (Martine-Marie Lalande), un androgyne qui déambule dans Paris (Yann Perreau) et une madame pipi (Muriel Dutil) qui a lu l'histoire de l'humanité dans l'urine des gens, qui en connaît tous les secrets, et qui devine tout aussi bien l'avenir sombre des bombes à pleuvoir que la guerre qui se déclare subrepticement. Cette journée débute avec deux figures emblématiques : Anaïs Nin est invitée à revoir deux amants de longue date, soit Antonin Artaud (Daniel Thomas), poète et homme de théâtre, ainsi que June Miller - femme d'Henry Miller - (Eve Gadouas). Se dessine alors, dans ce Paris effervescent sur le bord de l'apocalypse, une journée aux multiples spirales nostalgiques, grisées des rêves d'autrefois, des amertumes et du cynisme omniprésent.

De ces rencontres fictives (parce que Nin a véritablement fréquenté ces deux personnes, au début des années 30, mais ne les a jamais revus) naît un discours sur le rôle de l'art, sur son besoin d'éréthisme, de l'expérimentation et de la protection qu'il offre à l'artiste, sur le contrôle abstrait que nous avons sur notre propre vie et sur la représentation - de soi, des autres, des choses. Le texte, magnifique, réussit à entraîner le spectateur dans ce tourbillon des années folles, où violence rythme aussi bien la vie des gens que toutes les fêtes qui éclatent ici et là. La pièce prend souvent des airs surréalistes, même expressionnistes, et la présence d'Artaud y est pour quelque chose. Ses réflexions, qui rappellent parfois son traité Le théâtre et son double (il clamera une parte du Théâtre et la peste) se veulent exaltés, enivrants, et rappellent le théâtre au théâtre. Étourdi par le laudanum (il en était un consommateur régulier), il divague, mais son discours est encore empreint d'une poésie et d'une justesse fascinante. Daniel Thomas l'incarne avec panache, et on ne peut qu'apprécier le talent de l'acteur qui exulte sur cette petite scène, et qui s'approprie malgré lui, peut-être, une grande part de l'intérêt du récit.

Il y a aussi, en trame de fond, la notion de la puissance, prise par les femmes : Nin comme auteure, forte, fière, qui a fait le choix d'être de celles qui font des choix, et June, qui émane autant la sensualité que la virilité, une virilité qu'aucun autre homme du spectacle ne possède. Artaud est dans son délire paranoïaque, René a le coeur brisé, lui aussi sous l'emprise de la drogue, l'artiste raté n'arrive même pas à se suicider, l'androgyne tombe autant pour les hommes que pour la belle June et le tenancier tente, par deux reprises, de prendre de gré ou de force deux femmes, sans pourtant réussir.

Le décor se veut simple, passe-partout. Les murs, d'un blanc cassé, proposent une surprise ou deux, mais sans plus. La musique, toujours présente chez Éric Jean, ne fait pas défaut : quelques comédiens, Perreau en tête - qui débute la pièce en entonnant a cappella Les forains de Ferré et qui nous fait plaisir ensuite, assis au piano - mettent la main aux instruments et nous proposent quelques chansons senties (dont un magnifique duo Perreau-Kathleen Fortin).  L'esthétisme des photographies du génial Georges Brassaï a aussi été une source d'inspiration pour les deux créateurs, pour les personnages, les lieux, les costumes, l'ambiance... Qui connaît le moindrement Brassaï sourira doucement.

Mais tout ici n'est que fabulation, dans ce cabaret-valse à mille temps, et malgré le souhait indéniable du duo Jean-Léger de miser sur la collectivité, sur les idées plutôt que les individus, notre regard garde tout au long du spectacle un air totalement détaché. Tout ceci reste alors presque futile, volatile, comme au travers des vapeurs de l'opium, de l'ivresse, de la peur, de la fête et des amours déchues. Nous demeurons dans l'attente d'une surprise, d'une détonation salvatrice ou destructrice qui n'arrivera décidément jamais.

14-12-2008

Retour à l'accueil