Texte : Anne-Marie Olivier
Mise en scène : Stéphan Allard
Avec : Suzanne Champagne, Claude Despins, Brigitte Lafleur, Myriam Leblanc, Roger La Rue
Une famille brisée en mille miettes tente de panser ses plaies sous le regard tendre et naïf, mais pourtant bien aiguisé, d’une belle-sœur éthérée. Dans un banquet dominé par le fantôme du père décédé, où une abondante liqueur caustique coule à flots, nous sommes invités, malgré nous, à une énorme brassée de linge sale en famille, où chacun essaie de sauver son enfant intérieur.
À une époque où l’on se doit d’être bien propre et parfait, l’auteure Anne-Marie Olivier nous propose une fable freudienne sur l’enfance brisée, écrite à l’aide d’une plume corrosive teintée d’humour très noir. Une œuvre aigre-piquante à déguster pleinement.
Scénographie : Julie Deslauriers
Costumes : Sharon Scott
Musique : Jean-Frédéric Messier
Éclairages : Martin Sirois
Assistance à la mise en scène : Sophie Martin
L'Heure du conte
La façon Quat’Sous de permettre l’épanouissement de la vie culturelle des familles ! Le dimanche après-midi, pendant que parents ou grands-parents sont à la représentation dans la grande salle, les enfants assistent à un spectacle de contes dans la salle de répétition. Un beau moment de partage et d’échanges qui ralliera toutes les générations.
À partir de 5 ans.
Réservation requise : 514 845-7277.
Mon corps deviendra froid : 7 février avec Anne Casabonne
Une production du Théâtre de Quat’Sous
par Olivier Dumas
« Famille, je vous hais! » Cette célèbre phrase d’André Gide résume à merveille une problématique dominante du théâtre québécois. De Marcel Dubé à Michel Tremblay, en passant par Serge Boucher, nos grands auteurs ont transmis avec une lucidité implacable les blessures et les abîmes des rapports familiaux. Avec Mon corps deviendra froid, la dramaturge et comédienne Anne-Marie Olivier s’inscrit dans cette lignée de parole grâce à un texte troublant qui nous remue de l’intérieur encore longtemps après la tombée du rideau.
Dès notre entrée dans la salle du Quat’Sous, trois comédiens sont déjà sur scène, surtout une touchante Brigitte Lafleur au regard effrayé. La lourde atmosphère laisse planer une tragédie. Sur un mur disposé en diagonale, on voit plusieurs rangées de portes de four, qui servent ingénieusement autant d’un lit d’une morgue que de la porte de la cuisine.
L’histoire se déroule le temps d’un souper à Laval, où une famille dysfonctionnelle commémore la mort du père décédé dix ans plus tôt (Roger Larue). Cette famille brisée en mille miettes tente de se reconstruire sous le regard naïf, mais pourtant lucide, d’une belle-sœur amochée par la vie, Sylvie (Brigitte Lafleur), qui est également la narratrice du récit. La pièce navigue entre le présent et plusieurs flashbacks qui nous plongent dans les douloureux souvenirs d’une mère (parfaite Suzanne Champagne qu’on aimerait voir plus souvent dans des rôles dramatiques), et de ses deux enfants (un fils et une fille interprétés par Claude Despins et Myriam Leblanc). Autour d’un rôti et de la bière qui coule à flot, les spectateurs assistent à une énorme brassée de linge sale en famille, où chacun tente de recoller les morceaux d’un passé toujours envahissant malgré les années qui passent.
Après des textes amusants comme Le Psychomaton qu’on a pu voir au Théâtre d’Aujourd’hui, Anne-Marie Olivier livre ici son œuvre la plus achevée, la plus intense et définitivement la plus ténébreuse. Dans l’esprit de la gang des tu-seuls de Michel Tremblay, ses personnages représentent des puits de douleurs sans fond qui nous émeuvent sans sombrer dans le maniérisme pathétique. Cathartique, son écriture s’imprègne d’une poésie toute quotidienne «qui parle d’une famille qui me traverse comme un train passe à travers un suicidaire, laissant près des rails une peau de visage plate comme une pizza», comme l’exprime Sylvie dans son monologue d’introduction. Seul petit bémol de la soirée: on aurait souhaité que la voix de Brigitte Lafleur soit plus audible à ce moment-là, en contrôlant mieux le débit et la projection.
Les interprètes sont tous formidables, dirigés d’une main de maître par Stéphan Allard, à commencer par Brigitte Lafleur, une inoubliable fleur brisée par les épreuves de la vie. Son destin tragique ne peut nous laisser de glace. D’une grande justesse, la femme « canadienne-française » au foyer de Suzanne Champagne a toujours l’intonation parfaite et le geste adéquat d’une mère autant attentionnée qu’étouffante. Vers la fin du spectacle, son monologue demeure l’un des plus beaux témoignages de lucidité sur la difficulté des relations humaines. Roger Larue suscite l’admiration par son aisance à passer de la cruauté presque bestiale à des scènes où il manifeste pour ses proches une tendresse difficilement assumée. Claude Despins et Myriam Leblanc ne sont pas en reste, le premier par sa composition d’un homme-enfant broyé par la vie, la seconde par sa froideur glaciale qui finit par laisser transpercer quelques parcelles d’humanité.
Alors que la saison hivernale voit briller à Montréal d’autres excellentes pièces de théâtre (Au champ de Mars, Une musique inquiétante), il est à espérer que nombreux sera les spectateurs à faire un détour au Quat’Sous pour réfléchir, s’émouvoir et se faire brasser la cage avec Mon corps deviendra froid, une œuvre qui ne s’oublie pas facilement.