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Du 28 septembre au 15 octobre 2010, supplémentaire 16 octobre 2010
Opium_37
Texte : Catherine Léger en collaboration avec Eric Jean
Mise en scène : Eric Jean
Avec Stéphan Allard, Normand Daneau, Muriel Dutil, Kathleen Fortin, Eve Gadouas, Martine-Marie Lalande, Eric Paulhus, Yann Perreau, Evelyne Rompré et Daniel Thomas
Succès critique autant que public lors de sa création en 2008, Opium_37 nous invite dans l’ambiance exaltée d’un café du Paris explosif des années 30 où l’on sut le destin fictif d’Anaïs Nin et d’Antonin Artaud. Orchestré comme une valse contemporaine, le spectacle est une exploration festive et musicale sur l’artiste et son besoin de combattre et de s’enivrer, de se sentir vivant et fort, de clamer avec vigueur son existence. Même si, parfois, il a le sentiment d’avoir perdu le pouvoir réel de changer les choses et que son art n’a plus d’impact sur le monde qui l’entoure.

Scénographie Pierre-Etienne Locas
Costumes Cynthia St-Gelais
Éclairages Martin Sirois
Musique Michel F. Côté |
Maquillages et coiffures Angelo Barsetti
Assistance à la mise en scène Annie Beaudoin

Une production du Théâtre de Quat'Sous

Quat'Sous
100, ave. des Pins Est
Billetterie : 514-845-7277

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Dates antérieures

Du 25 novembre au 21 décembre 2008 - salle 2 de l’Espace Go

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 Critique
Critique
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par Sara Fauteux

C’est un décor magnifiquement épuré qu’on trouve dès notre entrée dans la salle du Quat’Sous. Sur la scène, les personnages papotent entre eux et leur aspect nous laisse déjà deviner ce qui nous attend : Paris et ses années folles. Une teneuse de café, un artiste raté, une fille de joie, un joueur de piano, une dame pipi… En plus de ces personnages anonymes, mais tout à fait conformes à l'image qu'on se fait de l'époque, la pièce présente aussi quelques figures mythiques: Anaïs Nin, Antonin Artaud, June Milller… Ils dansent et chantent, se laissent remplir par la vie, les mots, la musique, les idéaux…

Cette ambiance festive et idéaliste séduit, certes. On a envie de s’abandonner au fantasme d’une époque avec ses repères rassurants et ses personnages de l’imaginaire collectif. Pourtant, le jeu parfois peu nuancé des comédiens nous prive de plusieurs images évocatrices qui auraient demandé plus de puissance et de profondeur. Entre Anaïs Nin (Rompré) et son amante (Gadouas) le courant ne passe pas tout à fait et leur liaison semble un peu fausse. Pour ces deux grandes femmes, audacieuses et qu’on imagine dénudée de pudeur, on aurait attendu plus de sensualité.

La pièce, créée en 2008, est en reprise depuis peu au Théâtre du Quat’Sous. Faut-il laisser le temps aux comédiens de reprendre possession de l’énergie du spectacle ? Possible. Ce qui fonctionne encore très bien, par contre, c’est la mise en scène d’Éric Jean qui colle parfaitement à l’univers du texte de Catherine Léger. Les comédiens ne quittent pratiquement jamais la scène, restant plutôt en arrière-plan, évoquant un paysage de peinture ou une photographie. Mentionnons aussi la scénographie de Pierre-Étienne Locas et les éclairages de Martin Sirois, qui sont particulièrement réussis.

Qu'ils aient été récupérés ou non par les livres d'histoire, ces personnages sont tous liés par leur époque. Ils appartiennent au temps de la fête, de l’idéalisme, de l’espoir aussi ; l’espoir de pouvoir changer les choses, que ce soit par l’art ou par un coup de fusil. Si Opium_37 dégage une impression d’inachevé qui nous laisse perplexes, c’est peut-être l’effet recherché par les créateurs. En effet, plutôt que de nous présenter un portrait d’une époque, cette galerie de personnages cherche finalement davantage à nous renvoyer à la nôtre et au vide qu’y a laissé la perte des idéaux.

04-10-2010

par David Lefebvre

La vie n'existe pas [...] il n'y a que la jouissance...

Éric Jean, metteur en scène et véritable créateur d'images vivantes, nous entraîne cette fois-ci hors des murs du Quat'Sous de deux façons : en présentant la première production de la nouvelle saison du théâtre de la rue des Pins à l'Espace Go, en attendant d'ouvrir officiellement les portes en 2009 de ce tout nouveau lieu de création, et en explorant l'esprit des années 30, son essence, son âme, avec notre vision biaisée peut-être, fantasmée sûrement, par l'entremise de certains personnages plus ou moins célèbres, par des artistes et des voyous et des marginaux. La jeune auteure Catherine Léger, diplômée en 2005 de l'École nationale de théâtre, inculque à ce récit rétroviseur par le biais de ses dialogues une dose de folie, de délinquance, d'insouciance, aux multiples contrastes, opposant nos conceptions du conformisme et de la liberté avec celle d'alors.

Autour d'Anaïs Nin, jouée par Évelyne Rompré, gravite son amant actuel et psychanalyste, René (calqué probablement sur René Allendy), interprété par Éric Paulhus, un gérant de café (Stéphan Allard), sa soeur au tempérament bouillant et aux idées assassines, qui astique aussi bien les verres que les pistolets (Kathleen Fortin), un artiste raté qui revendique les oeuvres des autres comme étant les siennes (Normand Daneau), une pute caricaturale, tenant autant de Piaf que du clownesque (Martine-Marie Lalande), un androgyne qui déambule dans Paris (Yann Perreau) et une madame pipi (Muriel Dutil) qui a lu l'histoire de l'humanité dans l'urine des gens, qui en connaît tous les secrets, et qui devine tout aussi bien l'avenir sombre des bombes à pleuvoir que la guerre qui se déclare subrepticement. Cette journée débute avec deux figures emblématiques : Anaïs Nin est invitée à revoir deux amants de longue date, soit Antonin Artaud (Daniel Thomas), poète et homme de théâtre, ainsi que June Miller - femme d'Henry Miller - (Eve Gadouas). Se dessine alors, dans ce Paris effervescent sur le bord de l'apocalypse, une journée aux multiples spirales nostalgiques, grisées des rêves d'autrefois, des amertumes et du cynisme omniprésent.

De ces rencontres fictives (parce que Nin a véritablement fréquenté ces deux personnes, au début des années 30, mais ne les a jamais revus) naît un discours sur le rôle de l'art, sur son besoin d'éréthisme, de l'expérimentation et de la protection qu'il offre à l'artiste, sur le contrôle abstrait que nous avons sur notre propre vie et sur la représentation - de soi, des autres, des choses. Le texte, magnifique, réussit à entraîner le spectateur dans ce tourbillon des années folles, où violence rythme aussi bien la vie des gens que toutes les fêtes qui éclatent ici et là. La pièce prend souvent des airs surréalistes, même expressionnistes, et la présence d'Artaud y est pour quelque chose. Ses réflexions, qui rappellent parfois son traité Le théâtre et son double (il clamera une parte du Théâtre et la peste) se veulent exaltés, enivrants, et rappellent le théâtre au théâtre. Étourdi par le laudanum (il en était un consommateur régulier), il divague, mais son discours est encore empreint d'une poésie et d'une justesse fascinante. Daniel Thomas l'incarne avec panache, et on ne peut qu'apprécier le talent de l'acteur qui exulte sur cette petite scène, et qui s'approprie malgré lui, peut-être, une grande part de l'intérêt du récit.

Il y a aussi, en trame de fond, la notion de la puissance, prise par les femmes : Nin comme auteure, forte, fière, qui a fait le choix d'être de celles qui font des choix, et June, qui émane autant la sensualité que la virilité, une virilité qu'aucun autre homme du spectacle ne possède. Artaud est dans son délire paranoïaque, René a le coeur brisé, lui aussi sous l'emprise de la drogue, l'artiste raté n'arrive même pas à se suicider, l'androgyne tombe autant pour les hommes que pour la belle June et le tenancier tente, par deux reprises, de prendre de gré ou de force deux femmes, sans pourtant réussir.

Le décor se veut simple, passe-partout. Les murs, d'un blanc cassé, proposent une surprise ou deux, mais sans plus. La musique, toujours présente chez Éric Jean, ne fait pas défaut : quelques comédiens, Perreau en tête - qui débute la pièce en entonnant a cappella Les forains de Ferré et qui nous fait plaisir ensuite, assis au piano - mettent la main aux instruments et nous proposent quelques chansons senties (dont un magnifique duo Perreau-Kathleen Fortin).  L'esthétisme des photographies du génial Georges Brassaï a aussi été une source d'inspiration pour les deux créateurs, pour les personnages, les lieux, les costumes, l'ambiance... Qui connaît le moindrement Brassaï sourira doucement.

Mais tout ici n'est que fabulation, dans ce cabaret-valse à mille temps, et malgré le souhait indéniable du duo Jean-Léger de miser sur la collectivité, sur les idées plutôt que les individus, notre regard garde tout au long du spectacle un air totalement détaché. Tout ceci reste alors presque futile, volatile, comme au travers des vapeurs de l'opium, de l'ivresse, de la peur, de la fête et des amours déchues. Nous demeurons dans l'attente d'une surprise, d'une détonation salvatrice ou destructrice qui n'arrivera décidément jamais.

14-12-2008

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