L’année de ses 14 ans, le monde de Catherine vacille. Le venin pénètre dans la fleur. Elle danse avec David Bowie, se déguise en Mia Wallace, frenche des filles et des garçons et écoute les mêmes chansons en boucle. Adolescente en talon haut, elle avance dans six pieds de neige et brave les eaux d’un déluge, jusqu’à devenir reine. Campé dans un Chicoutimi presque mythique, son voyage initiatique bat au rythme de tous ces dangers que l’on étreint à bras ouverts quand on a la vie devant soi.

Sous la gouverne du Théâtre PÀP, un groupe de jeunes filles s’empare de la scène et des mots de Geneviève Pettersen pour célébrer le caractère dur, enivrant et universel des pulsions adolescentes.

Couronné de succès depuis sa sortie en librairie, récipiendaire du Grand Prix littéraire Archambault 2015, La déesse des mouches à feu sera adapté à la scène par l’auteure elle-même.

Texte Geneviève Pettersen d'après son roman publié au Quartanier
Mise en scène Patrice Dubois et Alix Dufresne
Avec Lori’Anne Bemba, Zeneb Blanchet, Charlie Cliche, Evelyne Laferrière, Alexie Legendre, Éléonore Loiselle, Elizabeth Mageren, Kiamika Mouscardy-Plamondon, Éléonore Nault, Jade Tessier et Amaryllis Tremblay

Pour amorcer sa résidence au Théâtre de Quat’sous, le Théâtre PàP présente La déesse des mouches à feu, de Geneviève Pettersen, dans une mise en scène d’Alix Dufresne et de Patrice Dubois. La pièce donne la parole au personnage de Catherine, une fille de 14 ans de Chicoutimi qui découvre la drogue, le sexe et la vie de party. Onze jeunes actrices de 14 à 18 ans ont été sélectionnées au terme d’un processus d’audition et d’un laboratoire de création pour incarner autant de facettes de l’héroïne du roman. Ce choix audacieux de mise en scène permet de dresser un portrait original de l’adolescence tout en créant une ambiance des plus festives. La pièce se situe entre deux époques : l’année 1996 durant laquelle s’ancre le roman et l’année 2018 qui permet de faire le pont avec les préoccupations des adolescentes d’aujourd’hui.

Crédit photos : Bruno Guérin

L’adaptation de Geneviève Pettersen conserve la trame narrative du roman original tout en créant une langue hybride où les mots des personnages fictifs sont colorés par ceux des onze interprètes. À plusieurs moments d’ailleurs, l’une des « déesses » s’adresse au public en aparté pour lire une lettre ou un extrait de poème de sa plume. La frontière entre réalité et fiction devient alors poreuse, alors qu’un espace intime s’ouvre pour permettre aux adolescentes réelles de se dévoiler un instant sur scène. La musique conçue par l’excellente Franie Holder (Random Recipe, Dear Criminal) sert de fil conducteur au spectacle et contribue aux scènes les plus fortes de la soirée, notamment lors des chorégraphies de groupe durant lesquelles les comédiennes semblent se sentir particulièrement à l’aise.

Non seulement les onze actrices se partagent le rôle de Catherine, mais aussi ceux de tous les autres personnages qui l’entourent : son chum Keven, sa meilleure amie Marie-Ève, son père, sa mère, les autres élèves de l’école. Grâce au travail exceptionnel de la conceptrice de costumes Elen Ewing, les changements de personnages se font de manière claire et efficace. L’interprète du personnage de Catherine est associé au port d’une couronne par exemple – on en retrouve d’ailleurs de tous les styles et de toutes les couleurs dans le spectacle –, alors que celui de la mère est marqué par des vêtements moulants et scintillants. Ce dispositif fort efficace illustre de brillante manière que des comédiennes de corps, de couleurs de peau et d’âges différents peuvent se glisser sans problème dans la peau de toutes sortes de personnages sans que le public n’y voie d’incohérence. Si l’intérêt de la pièce réside dans l’éclatement des visages du personnage de Catherine permettant à chacune des interprètes de proposer sa vision de l’héroïne, certaines adolescentes se démarquent. C’est le cas d’Amaryllis Tremblay et d’Éléonore Nault, qui proposent un jeu nuancé et sensible en plus d’avoir une diction parfaite. C’est également Éléonore Nault que relève le défi d’incarner le suicide de Keven, mis en scène avec une sobriété et un symbolisme appréciable.

Mais c’est l’authenticité inimitable des jeunes femmes qui rend le spectacle aussi attachant. Une pulsion de vie se dégage de la pièce, qui véhicule pourtant une vision plutôt trash et paradoxale de l’adolescence. Catherine se passionne pour le récit autobiographique Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée,  pour le look de Mia Wallace dans Pulp Fiction et pour les suicides célèbres (Kurt Cobain, Janis Joplin). Bien qu’elle consomme de la mescaline en masse, elle hésite à prendre un Ativan pour l’aider à dormir après le suicide de son chum. Alors que se dégage du personnage de Catherine à plusieurs niveaux une assurance et une grande maturité, certains tableaux laissent transparaître sa fragilité notamment ceux associés à la sexualité et aux premiers élans amoureux.

À l’image du roman, la narration occupe une grande place dans le spectacle. Les épisodes sont souvent relatés après coup plutôt qu’incarnés par les personnages. Cela n’enlève pourtant rien au dynamisme de la mise en scène d’Alix Dufresne et de Patrice Dubois particulièrement à l’écoute de la personnalité de chacune des interprètes. La magie opère dès les premières minutes du spectacle, alors que les adolescentes prennent le temps de se présenter. Tout de suite, on a envie de les suivre dans leurs expériences enivrantes.

10-03-2018