Un homme et une femme en couple ne font-ils qu’un après plusieurs années de vie commune ? C’est à leur routine qu’Ingmar Bergman, l’une des figures les plus célèbres du cinéma mondial, s’est intéressé en 1973. Quarante six ans plus tard, James Hyndman entreprend l’adaptation de ces Scènes de la vie conjugale du 9 avril au 8 mai 2019 sur les planches du Théâtre de Quat’Sous.
Parions que plusieurs couples sauront se reconnaître dans leur propre quotidien en observant celui de nos protagonistes, campés par James Hyndman et Evelyne de la Chenelière.

Depuis toujours, des hommes et des femmes de tout temps ont été assez insensés pour s’engager dans le couple. Bienveillants, violents, attentifs, dépendants, ils se sont dévoilés l’un à l’autre, crument, dans leur lumière et leurs failles. Peut-être ont-ils construit cette pierre d’assise pour se soustraire à la solitude. Car personne ne veut prendre le risque de mourir seul.

Après que James Hyndman ait présenté les textes de Bergman dans le cadre des lectures publiques du Théâtre de Quat’Sous, une adaptation s’imposait. Avec ce scénario original pour la scène et la complicité d’Evelyne de la Chenelière, il nous livre sa vision personnelle et recontextualisée de l’oeuvre, traitant du couple et ses enjeux, ainsi que de l’amour et ses aléas.

Texte Ingmar Bergman
Traduction Carl Gustaf Bjurström et Lucie Gullevic (Éditions Gallimard)
Adaptation et mise en scène James Hyndman
Avec Evelyne de la Chenelière et James Hyndman

Au printemps 2017, James Hyndman et Evelyne de la Chenelière prêtaient leur voix aux personnages de Marianne et Johan de Scènes de la vie conjugale. Le succès de cette lecture a été tel que la pièce prend actuellement l’affiche du Théâtre de Quat’sous jusqu’au début mai 2019.

Crédit photos : Yanick Macdonald

Scènes de la vie conjugale est né sous la forme d’une série télévisée avant d’être adapté pour le cinéma, puis réadapté pour le théâtre un peu partout dans le monde. En se basant sur ses propres expériences amoureuses, Bergman propose une étude de la relation de couple où chacun des états d’âme des personnages est sans cesse radiographié et décortiqué. Marianne et Johan constituent l’archétype du couple contemporain qui se questionne sans cesse tout en essayant de se convaincre de la sincérité et de la force de ses sentiments. Elle est avocate en droit de la famille alors que lui enseigne à l’université. Ils ont deux filles, un appartement confortable et de nombreux amis. Si dans la première scène, l’homme et la femme apparaissent comme un couple modèle, tout le reste du spectacle mettra en relief l’effritement graduel de leur relation.

Si les premières scènes reconduisent certains clichés associés aux genres féminin et masculin, la pièce prend une toute autre tournure après que le couple se soit dissout.

Dans son adaptation, James Hyndman resserre l’histoire autour des échanges directs du couple, évacuant ainsi tous les personnages secondaires. Les amis et la famille sont mentionnés, tout comme la femme de qui Johan tombe amoureux, mais ces gens ne sont jamais représentés sur scène. Les deux comédiens réussissent le pari de dépeindre de façon nuancée le quotidien des personnages dans lesquels le public se reconnaîtra à coup sûr. Si les premières scènes reconduisent certains clichés associés aux genres féminin et masculin – la femme émotive, jalouse et défenderesse de la communication et de l’engagement / l’homme cérébral, lubrique et infidèle qui quitte femme et enfants pour rejoindre une jeune étudiante de qui il s’est épris –, la pièce prend une tout autre tournure après que le couple se soit dissout. C’est finalement Marianne qui arrive le mieux à s’affranchir de son ex-mari, alors que Johan est dépeint de manière assez pathétique.

La scénographie de Stéphane Longpré consiste en la reconstitution d’un appartement, avec une table de cuisine, une grande bibliothèque, le lit conjugal et une ouverture vers ce que l’on devine être la salle de bain. À l’avant-scène, un immense cadre blanc rappelle les origines télévisuelles et cinématographiques de l’œuvre de Bergman, tout comme l’utilisation ingénieuse de la vidéo. En effet, entre chacun des sept tableaux, des caméras donnent accès aux coulisses où les comédiens effectuent leurs changements de costumes et accomplissent quelques gestes simples (se coiffer, se maquiller, se déshabiller, s’asseoir quelques secondes, se lancer des regards tendres, se démontrer des gestes d’affection). Ces ruptures permettent également de marquer le passage du temps entre les scènes, qui varie entre quelques heures et quelques années, la situation dramatique permettant de comprendre que la vie suit son cours malgré les épreuves.

Contrairement à la plupart des œuvres qui mettent en scène des ruptures amoureuses, Scènes de la vie conjugale présente une situation où l’homme et la femme continuent de se respecter et de s’apprécier, n’étant ni plus heureux, ni plus malheureux que lorsqu’ils étaient ensemble. Alors que la musique conçue par Laurier Rajotte, intense et dramatique, laisse présager des déchirements douloureux, les épisodes de ruptures et de retrouvailles entre Johan et Marianne sont plutôt intellectualisés et réfléchis. Il y est question de vérité, d’intimité, d’ennui et de l’incessant besoin de renouveler le regard porté sur l’autre en amour.

La mise en scène de James Hyndman permet de redécouvrir le chef-d’œuvre de Bergman tout en mettant en relief d’autres aspects de la relation entre les personnages et en actualisant quelque peu le portrait que l’on se fait du couple en 2019. L’implication du conseiller dramaturgique Stéphane Lépine et l’amour incontesté d’Evelyne de la Chenelière pour la littérature ont sans doute aussi contribué à faire de ce spectacle une réussite.

15-04-2019