De MARIE JONES
Traduction et adapatation
RENÉ-DANIEL DUBOIS
Mise en scène
YVES DESGAGNÉS
Avec
Bernard Fortin
et Emmanuel Bilodeau

Des Roches... plein ses poches conte l'écroulement du rêve hollywoodien

La Gaspésie devient depuis quelques années l’eldorado cinématographique, le dollar canadien étant faible et la main-d'œuvre peu chère. C’est ainsi que The Quiet Valley, énième production hollywoodienne, installe son plateau de tournage dans un bucolique village de la région.

Les natifs s’en plaignent, mais qui dit production hollywoodienne, dit retombées économiques et de nombreux rôles de figuration à la clé. Robert Meloche et Paul Blais, deux oisifs du cru, veulent donner la réplique à Emmanuelle Binoche, star française en pleine ascension aux États-Unis.

Sur cette toile de fond, se tissera une histoire qui nous fera rire, avec ses personnages juteux et très typés, rire jusqu’à en pleurer, lorsque la comédie deviendra sans que l’on s’y attende, dramatique et que le rêve hollywoodien s’effondrera

Du mardi au vendredi 19h30
samedi 16h et 20h30

 

Voici un résumé d'une entrevue avec M. René-Daniel Dubois sur le métier de traducteur et sur l'adaptation de textes pour le théâtre...

Mth - Vous avez fait beaucoup de traductions, d’adaptations, quel est le défi premier de ce genre de travail?

Pour moi, ce n’est pas un défi. De toutes les fonctions que j’occupe, je suis professeur, je fais des conférences, j’écris, je fais de la mise en scène, je joue… c’est celui où je me sens le plus à l’aise, où je suis le plus relax parce que ce n’est pas mon œuvre, je suis au service de la pièce. Je travaille à rendre le texte accessible, d’essayer de reproduire ce que j’ai ressenti quand je l’ai lu ou vu en anglais. C’est de trouver comment rendre ça pour un public montréalais. Même s’il y a aussi les attentes des équipes de production, pour moi, ce n’est pas du tout un défi; c’est vraiment un pur plaisir et je ne sens aucune pression.

Mth - Est-ce que vous croyez que toute pièce ou création est adaptable en français ou s’il peut exister des exceptions?

L’adaptation ça peut aller très loin… Dans le cas Des roches dans ses poches, c’est presque une réécriture et ça a été un choix avec l’équipe de production d’aller vers cette tangente. Quelqu’un ne sachant pas que c’est Marie Jones qui l’a écrite pourrait penser que c’est une pièce québécoise.

Mth - Est-ce plus facile ou difficile d’adapter une comédie versus un drame?

Non, je ne crois pas. Tu vois, d’ailleurs, je viens de terminer de traduire une comédie musicale : ça fait des années que je rêvais de faire ça parce que c’est un méchant défi de traduire une comédie musicale. J’adore la musique… Je ne suis pas un très bon parolier mais traduire des chansons, le défi est extraordinaire. Je me suis vraiment amusé… Je me suis lancé là-dedans avec un plaisir insensé. Tu parlais de défi tout à l’heure, ça c’en est un parce qu’il faut que ça «rentre». En plus je ne pouvais pas traduire en québécois, il fallait que cela reste en français standard disons.

Mais pour revenir à la question, non ce n’est pas plus difficile un drame. J’ai déjà traduit une pièce sur les trois procès d’Oscar Wilde au Rideau Vert il y a quelques années, une pièce de Moïsès Kaufman. Comment rendre la langue de Wilde en français? Ça aussi c‘est un «méchant» défi... Dans tous les cas, le travail de traduction n’est pas la partie la plus difficile, c’est de s’entendre avec l’équipe de production et/ou le producteur sur ce qu’ils veulent, quel niveau de langage et quel câble de référence. Jean Asselin, par exemple, pour La Trappe (The Mousetrap), avait une idée assez précise de la musicalité, du niveau de langage. Il fallait que ce ne soit ni trop québécois ni trop françouillard ni trop années 50… Je dirais que pas loin de 80% du travail c’est avant de commencer la traduction ou un premier jet. Je fais un espèce de brouillon, je demande alors qu’on m’en parle, peu importe ce que j’ai fait : parlez-moi s’en, cela me donne des clés. Après je peux partir écrire.

Mth - Quand on traduit une pièce, un spectacle, on dénature nécessairement le propos et les sous-entendus du texte principal. Comment arrive-t-on à contourner ce genre de problème?

Il faut essayer de trouver les sous-entendus équivalents. C’est une question d’équilibre. Il y a toute sorte de facteurs qu’il faut tenir compte et c’est avec l’équipe de production qu’on s’entend. On ne peut pas tout avoir mais il va en ressortir des aspects plus privilégiés. Dans le cas par exemple du côté un peu narquois qu’il y a chez Agatha Christie, Jean préférait un niveau de langage qui allait chercher cela mais on perdait des référents typiquement «british» qu’on peut quand même aller chercher en français. D’un autre côté, dans le cas d’une comédie musicale, on doit trouver ce qui a donné le goût au producteur et/ou au metteur en scène de monter le spectacle. C’est en fonction de cela que les choix vont se faire, sur ce que l’on garde ou pas.

Mth - C’est un travail qui est donc très intimement lié au metteur en scène…

Oui tout à fait. Il faut faire des choix et ces choix on ne peut pas les faire à chaque obstacle, on doit prendre une décision globale et dire ok c’est par là qu’on s’en va, très bien. Jusqu'à maintenant je crois avoir une bonne technique, je ne me suis pas «planté»…

Mth - Donc c’est un travail qui peut être très personnel…

Bien sûr! Mais avec une liberté totale, parce que je suis au service de la pièce. Parce que dans toutes mes autres fonctions je suis très investi, donc je suis toujours en train de défendre quelque chose tandis que là, les gens peuvent me dire ce qu’ils veulent et me faire comprendre pourquoi ce n’est pas bon (par exemple) et je n’ai aucun problème à corriger le tir, je n’ai rien à défendre.

Mth - Quels ont été plus concrètement les difficultés encourues pour l’adaptation et la traduction de Stones in his pockets de Marie Jones?

Encore ici, ça a été d’arriver à définir le chemin qu’on allait prendre, soit le «québéciser» ou non, et de l’adapter. L’action de la pièce originale se passe en Irlande dans un bout très «Gaspésie», très typique, qui peut ressembler à la Gaspésie. Il a fallut donc, avec cette décision, trouver une structure équivalente en québécois.

Mth - Est-ce que votre implication dans les Roches dans les poches est allé plus loin que celle de l’adaptation et la traduction? (mise en scène, direction d’acteurs…)?

Non ; quand tu travailles avec quelqu’un comme René Richard Cyr, Jean Asselin ou Yves Desgagnés, c’est du «grand monde», ils savent ce qu’ils font. J’en ai fait des mises en scène d’adaptations ou de traductions et tu n’as pas nécessairement envie d’avoir « chose » qui te guette par dessus l’épaule. Alors on s’entend et s’il y a des trucs qu’ils veulent que j’aille entendre ou des choses qu’ils ne sont pas certain, des ajustements, je leur demande quand je peux aller assister. Je le répète, je suis au service de la pièce, de leur projet, c’est vraiment le plus clair de toutes les jobs que j’ai fait : dites-moi ce que vous voulez et c’est ce que vous allez avoir.

Mth - Avez vous l’impression alors de devenir le 2e auteur du texte?

Non. Un reproche a été fait au moment de la création de la production «Des roches…» par un journaliste qui avait dit : « ça a pas de bon sens, ça a l’air d’une pièce québécoise, il se l’est trop approprié » mais ce n’était pas ma décision, c’était celle de l’équipe. Mais non je ne me sens pas comme ça. C’est comme un metteur en scène : il ne réécrit pas mais son interprétation peut aller très loin. Il essaie juste de faire ressentir au spectateurs ce que lui a ressenti en le lisant. Comment on fait pour rendre ces sentiments, voilà l’idée. Malgré tout, j’ai souvent l’impression que c’est moi qui l’écrit… mais pas en tant qu’auteur. Je me retrouve dans la peau d’Agatha Christie ou dans l’esprit de Marie Jones ou d’Oscar Wilde. C’est de rendre leurs mots accessibles aux spectateurs d’ici. Bien entendu, cela prend une grande connaissance de l’auteur parce que, de toute façon, une langue, par exemple l’anglais de Marie Jones, n’est pas du tout celui d’Oscar Wilde même s’il était lui-même Irlandais (comme Jones) et ce n’est pas du tout la langue d’Agatha Christie…

Mth – Donc il n’y a pas que les mots qu’il faut traduire mais toute la musicalité…

Absolument, il faut tenter de retrouver la musicalité, le rythme, trouver un cadre de référence équivalent… Il faut essayer que cela fasse le même effet à un Québécois qu’à un Londonien qui l’aurait vu.

Mth - Jusqu’à quel point les acteurs pour ce spectacle se sont appropriés les mots par rapport au travail que vous avez effectué?

Ça, j’ai été étonné quand je l’ai vu à la première, il y a des passages qui se sont plus fait… disons des bouts en anglais ou avec un accent plus prononcé mais je pourrais dire dans une très large mesure qu’ils ont respecté ce qui était écrit.

À ce niveau, côté jeu d’acteurs, je trouve que la production a trouvé «sa maison» au Rideau Vert. C’est plus à sa place. J’ai préféré le voir là qu’au St-Denis ça se perdait un peu, c’était trop grand. Tandis qu’on retrouve une intimité, une immédiateté, on sent qu’ils nous parlent directement. Ils l’ont dans le corps, ils l’ont joué plusieurs fois ça a mûri et c’est toujours bon…

Mth - Combien de temps en général cela prend à traduire une pièce?

Le travail lui-même de traduction une fois qu’on a décidé du «comment on le fait» équivaut à peu près au temps que ça prend pour la taper, plus peut-être 15 %.

Mth- Qu’est-ce que ça prend, d’après vous, pour devenir traducteur ou adapter des pièces?

Ça prend toute sorte d’affaires… J’ai toujours dit qu’on doit être auteur, même si d’autres vous diront le contraire. Beaucoup de curiosité, une connaissance de la culture de laquelle on part et une bonne connaissance de la culture d’arrivée.

Mth - En terminant, vous écrivez le roman L’Orgueil des rats et vous semblez être un touche-à-tout, quels sont vos prochains projets? Pensez-vous revenir au théâtre bientôt?

Là j’ai beaucoup de plaisir à faire la traduction d’une comédie musicale, il y a peut-être un autre projet de traduction et d’adaptation pour bientôt (une autre comédie musicale!) j’enseigne, je donne une classe de maître à l’Union des artistes pour des comédiens et j’aimerais bien me mettre du temps de côté pour finir mon roman…

Mth - Merci infiniment pour votre générosité et cette entrevue.

par David Lefebvre

Qui a dit que le cinéma et le théâtre ne pouvaient pas faire bon ménage? Mettons-nous en contexte : une super production hollywoodienne débarque dans un petit village pittoresque de la Gaspésie, avec les stars Brad Cruise et la Française (qui tente d’imiter l’accent québécois) Emmanuelle Binoche pour tourner une méga-production. Mais ça nous prend des figurants. Ces figurants ont une vie, qu’ils cherchent à gagner, et un petit 100$ par jour ça ne fait pas de tort… On rencontre alors Robert Meloche, de Port-Cartier, Paul Blais, un gars de la place, revenu des États, Steve, un jeune aussi de la place, Mike, sexagénaire qui a été figurant sur le tournage de Moby Dick et plusieurs autres qui font partie de la production ou de l’équipe technique. Mais un événement malheureux survient lors du tournage, qui modifiera la vie et (la vision de) l’avenir de Robert et Paul.

Des figurants qui deviennent les héros et les stars qui se retrouvent figurants, voilà ce à quoi on assiste. René-Daniel Dubois a su décoder et adapter d’une façon magistrale ce texte de Marie Jones, et a su l’adapter avec humour et simplicité. La mise en scène d’Yves Desgagnés est inventive au possible, puisqu’il n’y a rien sur scène pour aider ou soutenir les comédiens, sauf quelques costumes et une malle, et un écran à l’arrière qui diffuse des paysages qui se situent entre le dessin, l’animation et la réalité. Le rythme est parfait, c’est une véritable chorégraphie : Bernard Fortin et Emmanuel Bilodeau sont des bêtes de scène, occupant l’espace d’une façon magnifique. Les voir créer leurs 14 personnages en claquant des doigts est une pure merveille : la magie du théâtre opère à plein régime. C’est précis, brillant et drôle. Certaines scènes sont même émouvantes, les deux acteurs nous amènent exactement là où ils veulent bien nous mener, et le voyage vaut le détour. La scène du pelletage est à crouler de rire, j’en ai eu les larmes aux yeux. Mais dès le départ je me suis esclaffé, en entendant le “thème musical” du début, soit la marque de commerce sonore du son THX (vous savez cet espèce de son qui décoiffe au début de certaines représentations cinématographiques?).

Le jeu de Fortin et Bilodeau est incroyable, et les deux heures et quelques minutes passent très rapidement. Plusieurs me demandaient si le fait qu’ils changent de rôles aussi vite que l’éclair pouvait mélanger les spectateurs… Jamais. Ils caricaturent à la perfection les traits de chaque personnage pour que nous puissions, à la première seconde, identifier qui ils sont devenus. Emmanuel Bilodeau a le don de se métamorphoser complètement : il n’a qu’à retirer de ses épaules sa chemise, ou à faire le dos rond et on croit tout de suite aux personnages qu’il incarne. Le choix de prendre Bernard Fortin, qui fait beaucoup de doublages (dont plusieurs voix dans la série Les Simpsons) est judicieux et à propos. Il peut enfin se moquer (un peu…) de ce monde très particulier.

Les thèmes abordés sont quand même sérieux : le vedettariat, la gloire, l’avenir quand on est pas du milieu, la drogue, le sentiment qu’on n’arrivera jamais à rien dans une petite bourgade, les désillusions… Mais la question qui se pose vraiment c’est : est-ce que l’imagination et le rêve font vivre ou mourir? Nous avons pu assister aux deux cas dans ce spectacle.

Des roches dans ses poches est une bénédiction en ces temps plus moroses de fin d’hiver. Une bouffée de fraîcheur, de joie et de franche rigolade, vous n’avez aucune bonne raison de rater ce spectacle.

Fin.

Générique.