Un roman de Romain Gary (Émile Ajar)
Adaptation théâtrale de Xavier Jaillard
Mise en scène de Louise Marleau
Avec Catherine Bégin, Aliocha Schneider, Pascal Rollin et Alejandro Moran
Dans l’appartement où ils ne sont à présent que tous les deux, Momo - un enfant arabe élevé par Madame Rosa, vieille femme juive qui, toute sa vie, a recueilli des enfants abandonnés par leur mère prostituée – l’accompagne durant ses derniers jours. Leurs échanges à l’image de leur vie tournent autour de l’identité. Toujours d’actualité, les questions universelles de races, de religions et d’amour, font l’objet de dialogues touchants dans une langue savoureuse et imagée, sur un ton léger qui ne trompe personne sur la profondeur de leur réflexion.
Assistance mise en scène : Stéphanie Capistran Lalonde
Décor :Jean Bard
Costumes : Maryse Bienvenue
Éclairages : Matthieu Larivée
Musique : Simon Carpentier
Production Théâtre du Rideau Vert
Crédit photos : Angelo Barsetti.
Paru en 1975, La vie devant soi, le roman de Romain Gary, alors publié sous le pseudonyme Émile Ajar, a immédiatement connu un succès retentissant et a remporté le prix Goncourt la même année. Gary y fait parler un préadolescent, Mohammed (Aliocha Schneider), dont la nourrice, madame Rosa (Catherine Bégin), a l’habitude de recueillir plus ou moins temporairement des enfants de prostituées. Elle-même s’est « défendue », comme elle dit, pendant des années. À l’époque elle était belle et les clients nombreux… Tous les enfants qu’elle accueille, madame Rosa les élève avec affection dans le respect de leur culture d’origine. Plaidoyer en faveur du respect des différences, le roman n’a rien perdu de son actualité. Gary y aborde les grandes questions existentielles que sont la recherche du bonheur, l’amour, la foi. « Comme on a tous peur des mêmes choses, on a tous imaginé le même Dieu. Il n’y a que les symboles qui changent », dira ainsi madame Rosa tandis que Momo affirmera « les choses, c’est comme les gens : ça n’a pas de valeur, sauf si quelqu’un les aime ».
Dans l’adaptation pour la scène réalisée par Xavier Jaillard, on retrouve les jeux de mots qui parsèment l’œuvre de Gary, lequel fut en son temps comparé à Queneau par certains. Leur concentration provoque cependant un effet de lassitude, sans parler de certains traits d’esprits qu’il a jugé bon de répéter plusieurs fois. Le fait que Jaillard ait remporté en 2008 un Molière de la meilleure adaptation théâtrale laisse à penser que la compétition n’a pas dû être très sévère cette année…
Le personnage de madame Rosa demeure particulièrement riche. Juive d’origine polonaise, déportée pendant la 2e guerre mondiale, elle conserve d’une vie difficile une peur tenace des sonnettes : Allemands, assistance publique, police, c’est souvent le malheur qui a sonné à sa porte. Mais malgré ses lubies (comme la crainte que les enfants qu’elle recueille soient « consternés » ou « héréditaires », c’est-à-dire atteint de quelque maladie mentale), madame Rosa possède une foi en la vie et en la tolérance qu’elle transmet chaque jour à Momo. Catherine Bégin la campe avec beaucoup de talent, à la fois bourrue et tendre, le souffle court et peinant à enfiler ses souliers.
De leur côté, les prestations de Pascal Rollin, dans le rôle du Dr Katz, et de Marco Ramirez, dans le rôle du père de Momo resurgissant après 11 ans d’absence, souffrent d’un manque de conviction patent. Quant à Aliocha Schneider, il en fait malheureusement trop, mais sans doute ne peut-on le lui reprocher considérant son jeune âge (14 ans). Le simple fait de pouvoir se tenir sur une scène sans trembler d’angoisse semble déjà un exploit en soi et sans doute est-il promis à un bel avenir. Il possède d’ailleurs déjà un parcours fort rempli. C’est plutôt sur la direction d’acteur que l’on s’interroge en le voyant surarticuler pour adopter une sorte d’accent arabe, étonnant considérant que Momo a été élevé à Paris par une Polonaise.
La mise en scène de Louise Marleau est tout à fait conventionnelle et plusieurs de ses choix laissent perplexe. Ainsi, l’utilisation qu’elle fait des noirs paraît à la fois abusive et injustifiée tandis que l’usage de la vidéo (Yves Labelle) pour nous faire comprendre que les personnages changent de lieu agace franchement. Alors que Momo et madame Rosa vont manger une glace, nous voici par exemple en train d’assister à une projection reconstituant un café parisien dans les années 1960, avec une prostituée en arrière-plan, au cas où on aurait oublié le passé sulfureux de madame Rosa. C’est donner bien peu de crédit aux facultés de compréhension du public que de ne laisser absolument aucune place à son imagination…