Texte de Jon Marans
Traduction de Maryse Warda
Mise en scène de Martin Faucher
Avec Jean Marchand, Émile Proulx-Cloutier
Derrière ses valses et ses gâteaux, la somptueuse Vienne dissimule mal son passé intolérant et trouble. Dans cette capitale de la musique, débarque le jeune pianiste prodige Stephen Hoffman venu vivre son rêve d’étudier avec le grand professeur Schiller. Il aura plutôt droit au déclinant professeur Mashkan qui, de surcroît, enseigne le chant! C’est ici qu’entre en scène le troisième personnage crucial de cette pièce, le Dichterliebe de Schumann, un bouleversant cycle de chansons tirées des poèmes d’Heinrich Heine. Peu à peu, la musique s’immisce dans l’histoire précaire de ces deux hommes que tout oppose, l’un avec un lourd passé et l’autre à la découverte du sien.
Ayant étudié en mathématiques et en musique, l’auteur américain Jon Marans connaît intimement le conflit raison/passion qu’il impose d’ailleurs à ses personnages. Préférant la musique, Marans est allé poursuivre sa formation en Autriche où il a été outré par le déni général du passé nazi de ce pays qui a même élu un criminel de guerre à sa présidence. La pièce Une musique inquiétante est donc le fruit de son tiraillement entre le mépris qu’il éprouve envers un peuple intolérant et son émerveillement à la découverte de l’oeuvre de Schumann. Son déchirement s’incarne dans la relation entre le vieux professeur sentimental et le jeune élève rationnel, ces deux hommes dont les liens oscillent entre les extrêmes de la tristesse et de la joie, comme leur art et surtout, comme leur vie.
L’envoûtante musique de Schumann, Jean Marchand l’interprétait brillamment dans la pièce 2 pianos, 4 mains, présentée au Théâtre du Rideau Vert en 1999. Pour jouer le jeune pianiste prodige, il fallait un jeune comédien prodigieux : Émile Proulx-Cloutier. Déjà habitué des scènes et des écrans, son talent prouve que la valeur n’attend pas le nombre des années. Martin Faucher, audacieux metteur en scène, dirige adroitement ces deux interprètes pour donner vie à ces personnages que tout oppose mais que tout rapproche. Doucement, avec justesse et émotion, il crée un monde où la musique nous apprend à vivre.
Assistance à la mise en scène : Élaine Normandeau
Une coproduction avec le Centre Segal des arts de la scène
La pièce sera présentée en anglais du 14 au 27 mars 2010 au Centre Segal des arts de la scène
par Olivier Dumas
Présenté pour la première en français au Québec, le théâtre de l’auteur américain Jon Marans nous révèle une écriture sensible et habile, à mille lieux du manichéisme, souvent tentant pour un sujet semblable. Dans une mise en scène du brillant Martin Faucher (Une maison propre, L’asile de la pureté), Une musique inquiétante constitue peut-être un spectacle conventionnel à prime abord, mais réalisé avec émotions par des artistes prodigieux.
L’histoire se déroule en Autriche en 1986 sur fond de rumeurs d’élection d’un président au passé trouble. Musicien doué, le pianiste Stephen Hoffman (Émile Proulx-Cloutier) se trouve incapable de jouer un seul morceau depuis un an. Pour réanimer sa flamme et son amour pour la musique, il quitte les États-Unis pour le continent européen afin d’étudier à Vienne avec l’illustre professeur Schiller. Or, le fringant musicien aura plutôt droit au déclinant professeur Mashkan (un méconnaissable Jean Marchand avec lunettes et perruque peu attrayante) qui, comble de malheur, enseigne le chant. Entre en scène un troisième personnage, le Dichterliebe de Schumann, un bouleversant cycle de lieder tirées des poèmes d’Heinrich Heine. À partir de là, la musique servira de fil conducteur entre deux hommes que tout oppose, l’un âgé avec un obscur passé et l’autre dans la vingtaine en quête de son identité.
Dès les premières minutes du spectacle d’une durée de près de deux heures, le duel d’acteurs fait des étincelles. Émile Proulx-Cloutier se révèle d’une incroyable justesse en Stephan Hoffmann qui passe d’un orgueilleux musicien borné à un artiste empreint de compassion et d’humanité. Avec quelques gestes comme desserrer une cravate, il fait passer toute une panoplie d’émotions, en plus de jouer du piano avec aisance. Mais c’est Jean Marchand qui suscite les plus grands frissons de la soirée. Impétueux et touchant, son professeur Mashkan dissimule un douloureux secret. L’acteur se surpasse dans ses moments où il évoque la solitude et le désespoir d’un pays qui porte encore aujourd’hui les stigmates du nazisme.
Martin Faucher démontre son habileté à créer une atmosphère toute en délicatesse qui n’alourdit jamais le drame. Des jeux de lumières pour montrer le passage du temps ou l’ouverture de la fenêtre pour souligner l’étouffement de la ville, rien n’est cacophonique ou trop bruyant devant l’harmonie de cette œuvre de fine dentelle.
Les mélomanes auront le bonheur d’entendre de magnifiques pièces musicales de grands génies de la musique. Le public se sustente les oreilles avec du Robert Schumann, Tchaïkovski, Franz Liszt, Beethoven, Jean-Sébastien Bach, Strauss et Leoncavallo. Rarement le théâtre et la musique ont donné un mariage aussi enchanteur.
Pièce de théâtre qui nous apprend combien l’art nous aide à mieux vivre, Une musique inquiétante nous fait découvrir la sensibilité et la justesse d’un auteur, Jon Marans, dont nous aurons, j’espère, le plaisir de voir ses autres œuvres au Québec dans un avenir rapproché. Sous la gouverne de Martin Faucher, Jean Marchand et Émile Proulx-Cloutier nous entraîne dans un voyage mémorable, où l’amitié et la tendresse transgressent les idéologies sanglantes et les antagonismes irréconciliables.