Texte de Robert Gravel
Mise en scène de Claude Laroche
Avec Simon Boudreault, Marie Cantin, Sophie Caron, Louis Champagne, Jean-Pierre Chartrand, Émilie Gilbert, Stéphane Jacques, Marc Legault, Danièle Lorain, Didier Lucien, Claudine Paquette, Nicolas Pinson, Sylvie Potvin, François Tassé
Ce n’est pas parce qu’on rit que c’est drôle. Quoi de plus sinistre en effet que l’étage des malades chroniques d’un hôpital de vieillards la veille de Noël? Pourtant sous la plume géniale de Robert Gravel, tout ce petit monde de grabataires mourants et de préposés pressés compose un univers ahurissant peuplé de personnages plus colorés les uns que les autres. À leur déprimante maladie s’oppose le plaisir indéniable d’une dynamique équipe de comédiens, car Robert Gravel avait pour principe de refuser l’ennui au théâtre!
Nous n’attendions rien de moins du célèbre père de la Ligue Nationale d’Improvisation. Comé dien vif et vibrant, il était connu pour ses rôles au petit écran, notamment dans L’Héritage, Les Héritiers Duval et Marilyn. Observateur curieux des travers de la vie de ses semblables, il décide au début des années 1990 de donner vie à ses réflexions en écrivant sa drolatique trilogie La tragédie de l’homme, dont la pièce Il n’y a plus rien est issue.
L’esprit de gang si cher à Robert Gravel anime l’équipe de cette nouvelle mise en scène de sa pièce. On y retrouve plusieurs vétérans de l’illustre LNI dont Louis Champagne qui tenait avec brio le rôle de Louis dans Minuit le soir, Didier Lucien, l’hilarant Bob-Dieudonné de l’émission Dans une galaxie près de chez vous ainsi que Sylvie Potvin, Jean-Pierre Chartrand et Simon Boudreault. Ils sont rejoints par Danièle Lorain (Vovonne dans Laura Cadieux, Fortier III et IV ), Stéphane Jacques (Virginie ) et François Tassé, que les fidèles du Théâtre du Rideau Vert connaissent depuis longtemps et qu’ils ont pu voir en 2005 dans La visite de la vieille dame. Plusieurs autres jeunes recrues s’ajoutent à cette abondante distribution qui fera de l’hôpital de vieillards un panorama de l’humanité dans toute sa splendeur et son ridicule.
Assistance à mise en scène : Claire L'Heureux
Une production du Théâtre du Rideau Vert
par Olivier Dumas
Le Rideau Vert et sa directrice artistique Denise Filiatrault voulaient rendre hommage à Robert Gravel (1944-1996), dramaturge, acteur et cofondateur de la Ligue nationale d’improvisation. De cette figure dominante du théâtre québécois, la salle de spectacle met à l’affiche le texte Il n’y a plus rien, dans une relecture décapante qui aurait plu certainement à son auteur.
En 1993, Robert Gravel complétait une trilogie théâtrale avec Il n’y a plus rien, pièce qui succédait à Durocher le milliardaire et L’homme qui n’avait plus d’amis, triptyque connu également sous le nom de La tragédie de l’homme. Au moment de sa création à l’Espace libre, les critiques avaient souligné la force irrévérencieuse et grivoise du spectacle conçu par Gravel. Près de vingt ans plus tard, le public se demandait probablement si le côté «baveux» du spectacle ressortirait avec la même provocante impertinence. Dans la mise en scène de Claude Laroche, l’aspect comique prime le voyeurisme. Fort heureusement, le spectacle s’avère réussi, souvent hilarant et quelques fois émouvant.
L’histoire se déroule dans un hôpital aux allures d’un mouroir aseptisé où l’on dompte sans remords ses malades non fonctionnels. C’est la période des Fêtes à l’Hôpital Saint-Jacques de la Providence, mais rien ne laisse présager une période réjouissante. Dans une chambre, deux patientes gravement malades, une religieuse atteinte de sclérose en plaques (une surprenante Sylvie Potvin) et Mme Caron (une truculente Claudine Paquette), diabétique privée d’une jambe toujours obsédée par le sexe, cohabitent difficilement. Ailleurs, des patients couchés sur des civières, en fauteuil roulant, incontinents ou atteints de Parkinson, hantent les corridors devant des employés blasés et indifférents à leur sort. S’ensuivront des visiteurs, tous plus médiocres les uns que les autres, indifférents ou profiteurs, jusqu’à la visite d’un acteur de feuilleton télévisé.
Rares sont aujourd'hui les distributions aussi nombreuses et éclectiques au théâtre. Dans l’esprit de collégialité qui caractérisait le travail de Robert Gravel, Il n’y a plus rien se veut d'abord un prétexte à une succession de numéros de quatorze acteurs dans l'esprit du stand up comique et même du freak show. Tous les stéréotypes y volent en éclat dans un feu roulant d’humour vache qui évite assez habilement le cabotinage. La brochette d’acteurs plonge sans filet dans ce gouffre de l’absurde et se révèle être à la hauteur des exigences. Dans l’ensemble, les personnages ne se démarquent guère de cet amalgame de vices et de travers humain, si ce n’est la femme égarée rendue avec beaucoup de sensibilité et de tragique par Marie Cantin.
Dynamique, la mise en scène de Claude Laroque orchestre bien cette succession effrénée de scènes dignes des spectacles de boulevard. Pendant 90 minutes, aucun temps mort ou longueur ne vient rompre cette mascarade du pathétisme. À cet effet, la scène du Rideau Vert ne semble jamais trop petite dans une disposition ingénieuse des différents lieux de l’hôpital, comme la chambre, le poste de garde et les couloirs.
Bref, une soirée où fusent les éclats de rire jaune dans la salle ; devant ce miroir désolant de la condition humaine, ce n’est pas parce qu’on rit que c’est drôle !