Texte de Tennessee Williams
Traduction de Anne-Catherine Lebeau
Mise en scène d'Alexandre Marine
Avec Sylvie Drapeau, Gregory Hlady, Catherine de Sève, Vitali Makarov, Paul Doucet, Danny Gilmore
Lorsqu’elle descend du tramway nommé Désir à la Nouvelle-Orléans, la délicate Blanche Dubois est déjà irrémédiablement perdue. Dans la chaleur de la nuit, elle découvre le petit appartement minable que sa soeur Stella partage avec son mari Stanley Kowalski. Au coeur de cette pièce où la sensualité suinte des murs, le brutal Stan se dispute l’espace exigu du logis avec cette pâle beauté vulnérable et nerveuse. Une chance s’offre à Blanche de s’abandonner au timide Mitch, l’ami de Stan, qui est subjugué par son charme discret. Mais les espoirs de Blanche seront-ils anéantis par Stan qui soupçonne sa belle-soeur de ne pas être aussi pure qu’elle le prétend?
Succès mondial, cette pièce du dramaturge américain Tennessee Williams continue de susciter les passions plus de cinquante ans après avoir conquis les théâtres de Broadway. Récipiendaire du Prix Pulitzer en 1948, cette pièce a confirmé le génie de cet auteur qui a toujours réservé aux personnages féminins une place de choix dans ses oeuvres comme La ménagerie de verre, La chatte sur un toit brûlant, ou Soudain l’été dernier, toutes devenues des classiques du théâtre contemporain.
Assistance mise en scène : Maria Monakhova
Une production du Théâtre du Rideau Vert
par David Lefebvre
C'était tout un pari que le metteur en scène Alexandre Marine voulait remporter, en montant une version condensée d'Un tramway nommé Désir, ce texte maintenant classique du théâtre contemporain américain de Tennessee Williams, traduit par Anne-Catherine Lebeau. Qui plus est, avec Marine, il n'était assurément pas question de présenter une autre de ces variantes déjà vues et revues. «Tu l'as déjà pris ce tramway-là?» demande l'un des personnages. Vous n'en aurez certainement jamais pris un comme celui-ci.
C'est dans un wagon grandeur presque nature que Blanche DuBois fait son arrivée, sans le sou, dépossédé, dans le quartier de la Nouvelle-Orléans où habite sa soeur, Stella, et son mari, Stanley. Dès le pied posé sur la gare, elle est confrontée à l'image de l'homme moderne que la pièce dépeint : rustre, violent. C'est la mort du gentleman, de la chevalerie. Les bas quartiers sont dangereux, attention aux dames de bonne réputation. Le bas du tramway, par une ingénieuse conception, se défait pour octroyer lit, table et commode aux habitants du petit logement. Dès l'arrivée de Blanche, l'alcool coule à flot. La sensualité s'empare et embrase la scène, c'est le désordre et la désinvolture. On allume des feux qu'on ne pourra pourtant pas éteindre et qui risquent de tout raser. Mais sous les airs de fête, de naïveté, de superficialité, de classe, de frivolité, se cache un désespoir sans nom, une fêlure que Blanche ne peut qu'emplir de mensonges et inventions, qu'elle finit par croire elle-même.
Alexandre Marine a à nouveau fait confiance à Sylvie Drapeau, après leur fructueuse collaboration sur Marie Stuart en 2007, pour incarner sa Blanche DuBois. Extravagante, sulfureuse, raffinée, mais d'une fragilité déconcertante, Sylvie Drapeau joue Blanche avec cet air innocent, angélique, mais aussi coquine et croqueuse, un peu à la manière des actrices hollywoodiennes des années 40-50, avec un air de collégienne. Onirique, la voix un ton au-dessus de tout le monde, elle a le diable au corps : c'est une chatte sur un rail brûlant. La première partie est donc totalement baignée dans ces eaux fiévreuses des désirs et des envies. On danse, on se déhanche. Gregory Hlady incarne un Stanley à l'accent à couper au couteau, rude, presque primitif, mais qui n'est pas aussi stupide qu’il pourrait en avoir l’air. Il sent que Blanche cache quelque chose. Catherine de Sève est le point central de ce trio, une Stella éduquée, mais amoureuse de son mari de «l'âge de pierre». Elle est ce personnage ancré, le pivot sur lequel tourne tout à coup la ronde Stan-Blanche.
Marine insuffle à la pièce une apparence de superficialité, de sensualité, de rêve, d'insouciance, pour démontrer toute la naïve folie du monde dans lequel vit maintenant Blanche DuBois, et son désir de s'arracher de la réalité à laquelle Stanley s'évertue à l'attacher. Marine utilise le langage de la danse contemporaine pour davantage accentuer ces moments de délire, en multipliant les portées et les déplacements fluides et chorégraphiés. Le jeu de quelques personnages est doucement décalé d'une certaine réalité, penchant vers l'amplification assumé, l'hyperbole théâtrale. Et certaines scènes comportent une poésie visuelle frappante ; par exemple, le suicide du premier amant de Blanche, Allan (Danny Gilmore), où celui-ci arrache rapidement des pétales de roses, comme une pluie de larmes de sang. Notons aussi la poignante scène entre Mitch (Paul Doucet) et Blanche, sur le passé de celle-ci, et le sentiment de Mitch de s’être fait berné.
Comment résister à cette Blanche à la soif violente de douceur, de charme, d'absolu? Sans pourtant être caniculaire, cette adaptation du Tramway nommé Désir se veut tout de même torride, audacieuse, contrastée, et nous fait passer du rire au drame sans ménagement.