Du 15 janvier au 9 février 2008 - Montréal - suppl. 12-13 fév.
28 février 2008 - Salle Albert-Rousseau
Élizabeth, roi d'Angleterre
Texte de Timothy Findley
Traduction de René-Daniel Dubois
Mise en scène de René Richard Cyr
Avec Yves Amyot, Jean-François Casabonne, René Richard Cyr, Benoît Dagenais, Marie-Thérèse Fortin, Geoffrey Gaquere, Roger La Rue, Agathe Lanctôt, Olivier Morin, Vincent-Guillaume Otis, Eric Paulhus, Adèle Reinhardt
Shakespeare vs Elizabeth 1re : le choc des titans
Une reine tue la femme en elle afin d’assurer le pouvoir. Un écrivain de génie façonne de sa plume chacun des monarques d’Angleterre et en révèle toute la monstruosité. Un acteur, créateur des grands personnages féminins de Shakespeare, n’arrive plus à sortir de son rôle de femme et peut tout jouer, sauf sa propre vie. Elizabeth, roi d’Angleterre nous transporte en 1616, au moment où Shakespeare, reconnu pour ses portraits de créatures plus grandes que nature, est au sommet de sa gloire. La mort est proche et il se souvient. Il se souvient de cette nuit du Mardi Gras de l’an de grâce 1601 où il rencontra cette reine qui fit un homme d’elle-même. Cette nuit-là, Elizabeth 1re connaît sa Nuit des rois. À la veille de faire exécuter son jeune amant, le comte d’Essex, elle veut que le grand Will la distraie un peu. Après une représentation de Beaucoup de bruit pour rien, elle rencontre Ned, ce comédien qui semble, mieux qu’elle-même, connaître les secrets de la féminité. Elle lui offre alors un marché : qu’il lui enseigne à être une femme et elle lui apprendra à être un homme. À la fois metteur en scène et acteur de ce choc des titans entre Elizabeth 1re et celui qui réécrivit l’histoire d’Angleterre. René Richard Cyr incarnera Ned, ce comédien pour qui Shakespeare écrivit tant de grands rôles de femmes, et signera l’orchestration de cette rencontre au sommet. Il partagera la scène avec Jean-François Casabonne et Marie-Thérèse Fortin, qui foulera pour la première fois les planches du TNM en grand équipage royal. Traduite par René-Daniel Dubois, à la fois écrivain et observateur exceptionnellement lucide de notre société, cette Elizabeth, roi d’Angleterre est l’oeuvre de Timothy Findley, un des plus grands écrivains canadiens anglais, qui n’a cessé de partager sa vie entre la scène et l’écriture. Auteur de romans d’une puissance rare, Findley a connu un triomphe à Stratford à l’été 2000 avec sa pièce « Elizabeth Rex », qui lui a valu le prix du Gouverneur Général et un succès fulgurant sur toutes les scènes du monde.
Les concepteurs : Pierre-Étienne Locas / François Barbeau / Etienne Boucher / Alain Dauphinais - Assistance à la mise en scène et régie : Lou Arteau
Une production du TNM
Tournée février/mars 2008
Sainte-Foy 28 février 2008 (salle Albert-Rousseau)
Chicoutimi 1er mars (Auditorium Dufour)
Sherbrooke 4 mars (Salle Maurice O’Bready)
Drummondville 6 mars (centre culturel)
Rimouski 8 mars (Salle Desjardins Telus)
Trois-Rivières 11 mars (Salle J.-Antonio-Thompson)
Gatineau 14 mars et 15 mars (Maison de la culture)
Laval 18 mars (Salle André-Mathieu)
Théâtre du Nouveau Monde
84, rue Sainte-Catherine Ouest
Billetterie : 514-866-8668
Salle Albert-Rousseau
2410, chemin Ste-Foy
Billetterie : 418-659-6710 - 1-877-659-6710
par David Lefebvre
Montée pour une première fois au Festival de Stratford en 2000, la pièce Élizabeth, Roi d’Angleterre (titre original : Elizabeth Rex), du grand auteur canadien Timothy Finley disparu en 2002, est un véritable voyage initiatique au cœur de la quête d’identité d’individus paradoxaux. Aidé courtoisement par des circonstances que seule l’Histoire peut offrir, le spectacle met en scène la rencontre fictive de trois grandes figures de l’époque, soit la Reine Vierge, William Shakespeare et le comédien Ned Lowenscroft, à un moment charnière de leurs vies, soit la nuit entre le Mardi gras et le Mercredi des Cendres, veille de la condamnation et de l’exécution de l’amant de la Reine, le comte d’Essex, pour trahison. Déchirée entre la femme, amoureuse, et son rôle de chef du pays, pour lequel elle a dû faire taire en elle sa part de féminité pour gouverner dans un monde exclusivement masculin, elle demande à être distraite par la troupe des Hommes du Lord Chamberlain. Après la représentation (plausible) de Much Ado About Nothing, elle décide de rendre visite aux comédiens, et d’entamer une conversation avec Shakespeare, dont elle craint pourtant son pouvoir d’imagination, et Ned Lowenscroft, qui interprète avec grâce et maturité les grandes dames que Will peut lui écrire. Mais ce dernier est désabusé, confronté à l’idée de sa propre finalité, sa mort qui approche trop rapidement à coups de plaques sur sa peau que lui infligent la syphilis. Alors que l’une se bat pour retrouver sa part de féminité, l’autre cherche l’homme en lui pour affronter l’inévitable. Un véritable affrontement théâtral s’ensuit entre ces monstres, qui laissera des marques profondes, comme se le rappelle, au lever du rideau, ce vieux Shakespeare, 15 ans plus tard, sur son lit d’adieu.
Pièce puissante sur la frontière identitaire homme/femme, sur les nombreux contrastes entre ceux-ci, sur ce besoin ultime de contrôle, sur les acquis, sur la réconciliation et l’acceptation de la fin de toute chose, Élizabeth, Roi d’Angleterre évoque aussi comment certains, qui se camouflent sous les apparats qui leur semblent salvateurs, négligent totalement de vivre leur propre vie, piégés dans une illusion existentielle. Comme dans un jeu de miroir, ou encore comme des acteurs sur scène, l’un devient l’autre, tentant de trouver le soi à travers mille contradictions. La frontière entre le rêve et la vie défendue est mince, voire abstraite. L’identité et l’ambiguïté sexuelle sont inévitablement mises en avant : les forces de l’amour sont aveugles et ne font pas la différence entre les sexes. Alors qui sont-ils ? Comment vivre cette dualité, trouver le véritable soi et l’assumer ? Et comment vivre ses amours que tout semble condamner ? Élizabeth tente de justifier la mort du comte sous des prétextes politiques plus que compréhensibles à ce moment, alors qu’elle ne désire rien d’autre que de le visiter à la Tour pour lui pardonner ses parjures. Ned rêve de son soldat qu’il n’a connu qu’une petite semaine et qui l’a rendu malade, mais dont l’image et la présence brûlent encore en lui. Et Shakespeare lui-même entrouvre la porte de ses pulsions possibles pour le comte Southampton, riche mécène qui le soutient, dont il aurait été amoureux, emprisonné et condamné avec Essex. Les mots de Finley, traduits intelligemment et avec émotion par René Daniel Dubois, font autant honneur à l’époque et au grand auteur anglais qu’ils sont ancrés dans une réalité universelle. Même s’ils évoquent une grande Reine qui a régné au 16e siècle, les épreuves, les questionnements que les personnages s’imposent et redoutent auront toujours écho tant que l’homme connaîtra l’amour et sera épouvanté par sa propre disparition dans la mort.
La mise en scène précise de René Richard Cyr se veut presque néogothique, aussi simpliste qu’imposante, empreinte de tristesse, mais lourde par moment. Il réussit à transformer cette troupe en véritable microcosme représentant le peuple qui veut la libération d’Essex, ou s’exprimant contre la Reine. Alors que la mort rôde sur certains, sous différents costumes, la vie aussi prend ses aises, et l’amour naît innocemment entre deux jeunes personnes. Le décor aussi en impose : concocté par Pierre-Étienne Locas, il se compose d’une immense plateforme, faisant référence à une scène rectangulaire et une arrière-scène clôturée. Parés des costumes magnifiques de François Barbeau, baignés dans la lumière d’Étienne Boucher, les acteurs jouent eux-mêmes au miroir, incarnant des comédiens après une représentation au château. Sans tous les nommer, nous pouvons toutefois affirmer que le Ned de René Richard Cyr est préoccupé, taciturne, lui qui est mort tant de fois sur scène, se demande comment faire dans la vraie vie. Jean-François Casabonne incarne un Shakespeare troublé, détaché de sa troupe, occupé à écrire son Hamlet ou son Antoine et Cléopâtre, à se servir de ce qui l’entoure, incluant la Reine, pour réinventer et imposer sa vision du monde, en mots choisis et pesés. Tout aussi royale, majestueuse, que fragile et morcelée, l’Élizabeth de Marie-Thérèse Fortin n’a rien à envier aux autres incarnations que nous avons pu connaître sous les traits de Judi Dench ou Cate Blanchett. Bouleversante, spécialement dans sa scène finale, elle joue adroitement avec un corps pourtant figé, les tonalités impériales d’une voix qui ne s’en laisse imposer, et qui finit par craquer au lever du soleil. Elle parvient à jumeler la force brutale du chef d’État et la femme disparue, pourtant faite de chair et de sang. Le reste de la troupe crée un environnement solide et comique, accompagnant le propos central de la pièce.
Élizabeth, Roi d’Angleterre, duel royal sur le sexe du pouvoir et de la passion et promenade initiatique sur le chemin rocailleux de la renaissance.
20-01-2008