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Du 4 au 29 mars 2008

La petite pièce en haut de l'escalier

Texte de Carole Fréchette
Mise en scène de Lorraine Pintal
Avec Isabelle Blais, Henri Chassé, Julie Perreault et Louise Turcot

Le secret de la chambre obscure  
Dans une maison immense, il y a, quelque part, un escalier dérobé. En haut de cet escalier, il y a un couloir étroit. Au bout du couloir étroit, il y a une porte close. Devant la porte close, il y a une jeune femme, Grâce, qui regarde, comme hypnotisée. Grâce a tout. Grâce a la grâce. Dans la tête de Grâce, il y a Jocelyne, sa mère, et il y a Anne, sa soeur Anne, qui ne voit rien venir. Les deux soeurs portent des noms de princesses. Et dans la tête de Grâce, il y a aussi Henri, son nouveau mari, qui porte un nom de roi et qui l’invite à vivre dans sa grande maison de vingt-huit pièces. Qu’est-ce donc que tout cela? Un conte de fées? Une histoire d’horreur? Henri est-il un prince charmant qui veut combler sa Grâce? Ou un pervers? Un violent? Et quelle est la véritable nature de cette maison? Qu’y a-t-il de si redoutable et de si attrayant dans cette petite pièce en haut de l’escalier? C’est un secret. Seule auteure québécoise à avoir obtenu le prestigieux Prix Siminovitch, la plus haute distinction accordée à un artiste de théâtre au Canada, Carole Fréchette, comme le soulignaient les membres du jury, explore « la part de mystère de la vie quotidienne. Ses pièces concilient le connu et l’inconnu, l’accessible et l’exotique, mariage qui est la marque du grand art. » La Petite Pièce en haut de l’escalier ne fait pas exception à cette règle. Conviant à la fois le mythe de Barbe-Bleue et la sombre histoire des six femmes d’Henri VIII, Carole Fréchette livre un conte énigmatique et fascinant sur nos recoins cachés et nos peurs intérieures. Fière de renouer avec la création québécoise, Lorraine Pintal réinvite pour l’occasion la lumineuse Isabelle Blais, qui fut Juliette, Elvire et Ophélie sur la scène du TNM. Ensemble, elles s’unissent pour faire entendre la voix troublante et ensorcelante de cette auteure, dont les oeuvres sont jouées dans toutes les langues et partout à travers le monde. Ainsi liées, ces trois femmes nous entraîneront dans une maison obscure, une maison dont nous serons amenés à découvrir la vraie nature. Là, en haut de l’escalier, se trouve une pièce… comme on n’en a jamais vue!

Les concepteurs : Danièle Lévesque / Linda Brunelle / Claude Cournoyer / Michel Smith / Jacques-Lee Pelletier - Assistance à la mise en scène et régie : Bethzaïda Thomas

Une production du TNM

Photo : Jean-François Gratton

Théâtre du Nouveau Monde
84, rue Sainte-Catherine Ouest
Billetterie : 514-866-8668

 

par David Lefebvre

André Grétry, Jacques Offenbach, Paul Dukas, Béla Bartók, Frazzi, Méliès, Jean Bovon, Anatole France, on ne compte pratiquement plus les adaptations à l'opéra, au théâtre, sur pellicule ou sur papier du conte populaire La Barbe bleue, rendu célèbre par Charles Perreault dans Les Contes de ma mère l'Oye, paru en 1697. Au départ, le récit aborde les thèmes du mariage obligé et du devoir d'obéissance de la jeune épouse envers son mari. L'auteure Carole Fréchette s'inspire librement du conte pour créer un texte plus subtil, introspectif, catégoriquement contemporain. La curiosité, presque malsaine, est encore un des moteurs centraux du récit, mais ici c'est l'état de dichotomie qui prime : abondance / manque, violence / gentillesse, figure angélique / traîtrise, haine / amour.

Grâce (Isabelle Blais) semble enfin avoir trouvé l'homme parfait. Riche, gentil, Henri (Henri Chassé) la demande en mariage et l'idolâtre. Il lui donne absolument tout. La mère de Grâce (Louise Turcot) est aux anges, mais sa sœur Anne (Julie Perreault), mariée à son amour de secondaire, terre-à-terre et humanitaire, ne peut s'empêcher de penser en mal de la situation. La jeune et désirable Grâce est comblée. Vraiment? Pourquoi pleure-t-elle encore le soir venu, pourquoi compte-t-elle pour s'assurer que rien ne manque ? Son vide intérieur est abyssal, et pourtant elle à tout. Elle se retrouve dans une maison de 28 pièces, plus belles les unes que les autres, elle est choyée, aimée. Un jour, Henri doit quitter pour un voyage d'affaires. Il la laisse aux soins de la bonne et droite Jenny (Tanya Kontoyanni) et lui demande qu'une seule chose, de ne pas entrer dans la chambre en haut de l'escalier. Demande banale, si elle en est, mais qui scelle le destin de la jeune femme. Attirée, elle s'aventure alors quand même dans cette petite pièce, malgré l'interdiction, pour y découvrir l'impensable.

Quête de sens, lubies d'enfants, fascination, contradictions, une grande partie de l'intrigue semble se dérouler dans la tête de l'héroïne. Elle y entend sa mère et sa sœur, avec qui elle dialogue sur son passé et ses choix présents. Le texte se révèle un conte de fées moderne, que la mise en scène de Lorraine Pintal accentue, grâce à la forme narrative active : on nous raconte une histoire, dans ses moindres détails. Les faits et gestes sont sans cesse dits, expliqués, ce qui crée une certaine tension, mais qui, à la longue, devient lassant, comme si l'introspection prenait toujours l’avantage sur l'action concrète. Le temps est fracturé et se mélange, passé et présent, la réalité confronte le fantasme, et l'espace projette un sentiment tout aussi lyrique qu'éclaté. Baigné dans un torrent de métaphores de la pensée féminine, le texte est assurément complexe, antipodal, tourmenté. On plonge intentionnellement de la lumière du rêve et du bonheur à l'ombre du doute, du mystère, de la douleur, des pleurs et des cris, en partie grâce au décor saisissant de Danièle Lévesque. Du plancher, deux trappes avec escaliers font apparaître Anne et la mère de Grâce. Le premier mur est blanc immaculé, épuré, où se découpe une porte de la même teinte. Quand Grâce décide de la franchir complètement, on découvre la suite, soit la fameuse petite pièce. Le mur lacté disparaît, et un deuxième mur s’impose, sombre, carrelé, luisant et humide. Les éclairages de Claude Cournoyer rendent ces moments encore plus mystérieux, avec des jets lumineux verts et plusieurs zones d'ombre.

Isabelle Blais joue son personnage avec grâce. Intenses, ses pensées s'entrechoquent, vibrent et percutent. Le personnage d'Henri Chassé est plutôt diaphane, sans être transparent ni totalement effacé ; son ton de voix et sa présence font poindre le rêve, les illusions. S'il emprunte quelques traits au Barbe-Bleue original, comme la droiture, l'assurance et la richesse, il est par contre beaucoup plus doux et fou d'amour pour son épouse. Le côté autoritaire est pratiquement absent, il semble donc plus facile à Grâce de transgresser la seule requête de son mari, ce qui est dommage, puisque les risques qu'elle courre et le suspense qui en découle s'en voient fortement atténués. Côté jeu en général, malgré qu'il soit soutenu, on sent que la recherche de l'accent à utiliser se fait encore sentir, alors qu'on oscille entre le français normatif et celui québécois, peut-être pour mieux faire ressortir les moments réels et imaginés.

Fable sur les adieux à l'enfance, sur le vide intérieur malgré l'abondance, les secrets et la peur face à autrui, on flirte avec la folie et ce monde intérieur que l'on se bâtît pour y trouver des réponses. La petite pièce en haut de l'escalier nous fait explorer les sombres sinuosités de la première peur, les labyrinthes intérieurs, sans que le dénouement, quoique mystérieux, ne soit moralisateur.

09-03-2008