Du 25 octobre au 3 novembre 2007
Supplémentaires du 6 au 10 novembre 2007
Le Projet Andersen
Conception et mise en scène de Robert Lepage
Avec Yves Jacques
Créé initialement en 2005 pour marquer le bicentenaire de la naissance de l’auteur de La Petite Sirène et de La Petite Fille aux allumettes, Le Projet Andersen remportait un succès proprement phénoménal lors de sa présentation sur la scène du TNM au printemps 2006. L’oeuvre époustouflante d’invention nous revient, toujours aussi séduisante et magique, portée cette fois par le comédien Yves Jacques, devenu au fil des ans un véritable alter ego de Lepage. Ainsi, après avoir arpenté la planète de 2001 à 2005 avec La face cachée de la lune, qu’il a jouée tant en anglais qu’en français, Yves Jacques, qui déjà, en 1989, jouait au TNM dans La Vie de Galilée de Brecht sous la direction de Lepage, endosse le haut-de-forme de Hans Christian et donne vie à la déroute du Québécois à Paris. Et pendant ce temps, Robert Lepage continue d’amasser les honneurs et de filer à toute allure sur les rails du succès.
Les concepteurs : Peder Bjurman / Marie Gignac / Jean Le Bourdais / Nicolas Marois / Jean-Sébastien Côté / Catherine Higgins / Marie-France Larivière - Assistance à la mise en scène : Félix Dagenais
Une production Ex Machina
EN COPRODUCTION AVEC LE THÉÂTRE DU NOUVEAU MONDE, BITE:06, BARBICAN (LONDON), BONLIEU SCÈNE NATIONALE (ANNECY), FESTIVAL DE OTOÑO DE LA COMUNIDAD DE MADRID, CÉLESTINS, THÉÂTRE DE LYON, CHANGE PERFORMING ARTS (MILAN), LA COMÈTE (SCÈNE NATIONALE DE CHÂLONS-EN-CHAMPAGNE), LA COURSIVE (LA ROCHELLE), LE FESTIVAL D’AUTOMNE À PARIS, LE GRAND THÉÂTRE DE QUÉBEC, LE THÉÂTRE DU TRIDENT, LE THÉÂTRE FRANÇAIS DU CENTRE NATIONAL DES ARTS D’OTTAWA, LE THÉÂTRE NATIONAL DE BORDEAUX AQUITAINE, LE THÉÂTRE NATIONAL DE TOULOUSE MIDI-PYRÉNÉES, MAISON DES ARTS (CRÉTEIL), MC2 : MAISON DE LA CULTURE DE GRENOBLE, PILAR DE YZAGUIRRE - YSARCA ART PROMOTIONS (MADRID), SETAGAYA PUBLIC THEATRE (TOKYO), SPIELZEITEUROPA I BERLINER FESTSPIELE, THE HANS CHRISTIAN ANDERSEN 2005 FOUNDATION, THE SYDNEY FESTIVAL.
Théâtre du Nouveau Monde
84, rue Sainte-Catherine Ouest
Billetterie : 514-866-8668
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Dates antérieures
Québec - Trident
Du 22 février au 19 mars 2005
En supplémentaires les 24, 25 et 26
mars, 20h et 26 mars
14h
Au TNM du 11 avril au 6 mai 2006 + suppl. du 9 au 19 mai 2006
par Aurélie Olivier
Fruit d’une commande du Danemark, soucieux de célébrer dignement le 200e anniversaire de naissance du célèbre auteur de contes pour enfants, Hans Christian Andersen, Le projet Andersen aurait pu n’être représenté que dans le cadre des festivités en question… n’eut été l’énorme talent de Robert Lepage. Voici donc une création qui, une nouvelle fois, voyage à travers le monde, récoltant sur son passage des éloges pleinement mérités.
Intrigué par la vie sexuelle trouble de l’auteur danois - adepte du plaisir solitaire mais n’ayant aucune relation officielle à son actif -, par ses contradictions, lui qui écrit pour les enfants mais fuit leur compagnie, par sa passion pour le voyage, Robert Lepage, au lieu de nous en présenter une simple biographie, a choisi de mettre en évidence ce qui, dans la vie d’Andersen, trouve un écho dans notre monde moderne.
Personnage principal du spectacle, Frédéric Lapointe est un librettiste québécois qui débarque à Paris pour écrire le livret d’un opéra à partir d’un conte méconnu d’Andersen, La Dryade. Vivant au dessus d’un peep-show, prenant soin d’une chienne dépressive et tentant de recoller à distance les morceaux de sa relation amoureuse, il se heurte à l’hypocrisie d’un milieu culturel plus préoccupé par l’obtention de financements que par la création artistique. L’histoire d’un loser sympathique, autour duquel gravitent le directeur de l’opéra de Paris, volubile amateur de pornographie, et un concierge Marocain, graffiteur à ses heures. À travers eux, Lepage explore les thèmes de la solitude, des occasions manquées, des espoirs déçus, des fantasmes inassouvis, des troubles de l’identité sexuelle; attire l’attention sur la part d’ombre et de lumière qui cohabitent en chacun de nous et stigmatise avec un humour délicieusement cynique les travers de notre société où l’on emmène son chien chez le psychologue. Un spectacle foisonnant avec plusieurs niveaux d’interprétation. Comme toujours, Lepage mêle ici le langage théâtral et cinématographique. Le ton est donné dès le départ, avec un générique qui défile sur grand écran. Cet écran dans lequel les personnages pénètrent littéralement cède parfois la place à une rangée de cabines téléphoniques ou aux arbres d’un jardin public, qui viennent se mettre en place de manière automatisée du fond de la scène, des côtés ou du plafond. Tout est organisé avec une précision d’horloger, nous en mettant véritablement plein la vue.
Après Lepage, occupé à de nouvelles créations, c’est maintenant Yves Jacques qui incarne tous les personnages, changeant de peau et de costume à la vitesse de l’éclair. Ce n’est pas la première fois que le comédien succède à Lepage et, tout en s’inspirant de son jeu, donne une couleur personnelle à ses personnages. À nouveau, la reprise de flambeau est réussie.
Bien que Lepage ait pendant de nombreuses années refusé le titre d’auteur, considérant ses textes comme indissociables de la scène, force est de constater qu’il maîtrise pleinement les règles de la construction dramaturgique, faisant s’entrecroiser les histoires, construisant des personnages truculents, offrant plusieurs niveaux de lecture. On ne peut donc que se réjouir qu’il se soit finalement décidé à publier ses textes aux éditions L'Instant même.
Salué par l’ensemble de la critique le récipiendaire du 11e prix Europe pour le théâtre en 2006, avant Patrice Chéreau et après Harold Pinter, réinvente l’utilisation de la scène et bouleverse les frontières artistiques. Du début à la fin du spectacle, on est ébloui par l’usage qu’il fait de la vidéo, de la musique, de l’espace scénique. Il parvient même à faire du déshabillage d’un mannequin sur fond de musique classique une expérience d’une terrible sensualité.
Les œuvres de Lepage sont des « work-in-progress ». On pourra donc déplorer que Le projet Andersen n’ait pas été débarrassé des longueurs qui apparaissent aux deux-tiers du spectacle. Il demeure néanmoins une très grande réussite. Portant une profonde empreinte québécoise, on se demande comment il pourrait être aussi apprécié dans le reste du monde qu’ici, mais qu’importe. Une chose est sûre, c’est que si ce n’est pas encore fait, il vous faut y courir.
28-10-2007
Attention : ces critiques, écrites en 2005-2006, sont sur Le Projet Andersen mettant en vedette Robert Lepage
par Magali Paquin
Tout le gratin s’est déplacé pour la représentation
du solo dernier-né de Robert Lepage, « Le projet Andersen »,
en première mondiale au Grand Théâtre de Québec.
Si l’enfant-chéri du théâtre québécois,
maintenant impliqué dans les plus grosses productions mondiales (dont
le spectacle KÀ du Cirque du Soleil à Las Vegas) relève
encore une fois le défi, sa pièce demeure pourtant sujette à
l’amélioration.
Approché par la couronne danoise pour souligner le bicentenaire de
la naissance de l’auteur Hans Christian Andersen, Robert Lepage a choisi
d’aborder l’homme sous un angle méconnu. C’est qu’Andersen
menait paraît-il une vie bien loin de la saveur sucrée de ses
contes pour enfants et fréquentait plutôt des milieux glauques
et vivait une sexualité trouble. C’est à travers un jeune
auteur québécois, engagé pour l’écriture
de l’Opéra pour enfant « La Dryade » d’Andersen,
que l’on devine la vie de ce dernier personnage plus qu’elle n’est
explicitée. Lepage revêt tour à tour la peau de ce québécois
plutôt modeste, du directeur de l’Opéra de Paris flirtant
avec le sado-masochisme ou d’un concierge maghrébin taggeur à
ses heures. Ceux-ci, doit-on comprendre, sont le reflet de certaines facettes
ou étapes de la vie de l’auteur danois. L’action juxtapose
l’époque actuelle et celle de l’exposition universelle
de 1867, alors qu’Andersen, vieillissant, voit naître un monde
moderne venant remplacer l’univers qu’il a connu, un thème
qui se retrouve justement dans le conte « La Dryade », dont plusieurs
extraits sont présentés au cours de la pièce.
Celle-ci doit être considérée comme un « work-in-progress
», c’est-à-dire un travail non-figé, en constante
évolution et passible de modifications majeures comme soudaines. Actuellement
d’une durée de deux heures trente sans entracte, les longueurs
sont présentes malgré l’intérêt que suscite
chacune des scènes. Les histoires et anecdotes secondaires prennent
en effet une grande place et malgré les rires qu’elles peuvent
susciter et l’atmosphère qu’elles tendent à créer,
on peut parfois se questionner sur leur pertinence. Lepage semble se faire
plaisir en brossant un portrait incisif de l’Opéra de Paris et
de la haute culture française. Son texte est à ce point de vue
un pur délice et, conjugué à son jeu formidable (comme
toujours…), son solo est totalement immunisé contre l’ennui.
La mise en scène, dans une perspective multidisciplinaire qui lui
est propre, utilise à la fois le langage cinématographique et
le langage théâtral. Un gigantesque écran est le lieu
de projections d’images 3D, de photos ou de vidéos permettant
de se situer dans différents lieux, d’ailleurs indiqués
en légende au bas de la scène. Les extraits en danois de «
La Dryade » y sont traduits de la même manière pour favoriser
la compréhension des spectateurs. L’écran laisse parfois
place aux cabines d’un sex-shop ou aux arbres cylindriques d’un
parc public, des lieux récurrents dans le récit. Si chaque changement
de décor s’exécute de façon automatisée,
preuve des importants moyens financiers mis à la disposition de Lepage,
ils nécessitent par contre encore quelques ajustements. De plus, il
y aurait matière à tenter de renouveler le procédé,
somme toute un peu répétitif : une fois les principaux lieux
de l’action découverts, le changement de décor se fait
toujours de la même façon et l’effet de surprise disparaît
rapidement. Malgré tout, quelques scènes saisissantes sont une
véritable débâcle d’énergie brute, soutenues
par une trame musicale et des images hardcore. Comme le soulignait Lepage
en conférence de presse, sans réellement être choquant,
mieux vaut voir le spectacle avant d’y inviter sa jeune progéniture.
Tant par le personnage principal que par certaines références
bien québécoises, la pièce conserve une facture d’ici
dont la traduction anglaise ou l’exportation dans la vieille Europe
sont difficiles à imaginer. Mais le « work-in-progress »
comporte aussi ce défi, et la pièce risque de subir une réécriture
qui lui donnera un souffle totalement autre. Pour le moment, malgré
ses lacunes que l’on suppose temporaires, elle demeure tout à
fait à la hauteur de ce que l’on attend de ce grand homme de
théâtre.
27-02-05
par David Lefebvre
Lepage et son ombre
Dire que Le Projet Andersen aurait pu ne jamais exister... Si si, Robert Lepage avait refusé pendant 3 ans les avances du Danemark pour créer un spectacle célébrant le 200e anniversaire de naissance de Hans Christian Andersen, le créateur du Vilain Petit Canard et de la Petit Sirène. Malgré tout, il avait commencé quelques recherches. Ennuyé par ses lectures, Lepage finit par tomber sur une bio, écrite par une Britannique, qui détonne des autres, trop louangeuses, de l’auteur scandinave. Il découvre entre autres qu’il est un grand voyageur. Certains propos qu’il trouve dans le journal intime de l’auteur l’allument, l’inspirent. Il est différent des autres. Entre autres, Andersen aurait eu une sexualité trouble et se serait réfugié dans une solitude sexuelle, transposant du même coup ses angoisses et ses interrogations dans certains de ses contes. Lepage voulait s’identifier au personnage, voir comment les écrits d’Andersen trouverait écho dans un monde moderne dénué de romantisme et qui a perdu le regard émerveillé de l’enfant. Il crée, en novembre 2005, au Trident à Québec, Le Projet Andersen, qui fera le tour du monde avant de venir finalement enchanter les gens de la métropole. Vous pouvez d’ailleurs lire la critique de Magali Paquin un peu plus haut dans cette page, sur les premières représentations du ce spectacle.
Le TNM présente une version allégée du spectacle : près de 40 minutes ont été retranchées depuis la première québécoise, pour une durée d’environ 2h. Mais pour l’homme de théâtre, un spectacle évolue toujours, commence à s’écrire quand il est présenté devant public. De plus que Lepage aime la spontanéité au théâtre, il est donc à parier que le spectacle connaîtra d’autres changements à venir.
Un jeune auteur québécois, Frédéric Lapointe, issu de la musique populaire, répond à l’invitation de l’Opéra Garnier de Paris pour créer le livret d’une œuvre pour enfants tirée de La Dryade, un conte méconnu d’Andersen. Il se dit qu’il pourra se faire un nom respecté en accomplissant son travail. Durant son séjour, il rencontre le commanditaire de l’œuvre, un homme trop épris par la pornographie, ainsi qu’un jeune concierge maghrébin d’un peep show et graffiteur à ses heures. Vivant dans l’appartement d’un ami, au-dessus du peep show, qui lui a aménagé temporairement dans celui de l’auteur à Montréal pour une cure de désintox, Frédéric garde la chienne (invisible mais pourtant présente) de son ami, qui répond au nom de Fanny et qui est suivie par un psychothérapeute canin...
Véritable conte moderne, s’inspirant de deux récits, soient La Dryade et L’Ombre, Lepage donne le ton dès le départ avec un prologue de cet auteur québécois à l’Opéra de Paris, annonçant à la foule que la première de la Dryade n’aura pas lieu à cause d’une grève, mais que ceux et celles qui veulent rester auront droit à une histoire : la sienne. Le personnage se transforme en quelques secondes en graffiteur et un générique hyper visuel s’ensuit, sur une musique hip hop tonitruante. Dès le départ, Lepage met les spectateurs ébahis dans sa poche. L’auteur, metteur en scène et seul acteur du spectacle explore ainsi différents territoires, comme la solitude, le trouble d’identité sexuel, les fantasmes inassouvis, la reconnaissance, la part d’ombre et de lumière dans chacun de nous, le déracinement, le romantisme et la modernité, en passant par les politiques européennes et la remise en question de la position de Paris comme centre névralgique de la culture. Le spectacle est riche, ingénieux, les messages sont percutants et incisifs, et ce ironiquement grâce à des dialogues souvent anodins. Les personnages, attachants, sont mis à l’avant-plan, soutenus par des effets scéniques terriblement impressionnants. Pourtant, en y pensant bien, il ne s’agit que de projections sur une toile incurvée des différents décors, d’un immense cadre noir, de planchers mouvants, de jeux d’ombres et de lumières. Mais la magie opère totalement et fait son effet, sans que nous sentions la lourdeur de ce que cela représente comme technicité. Les changements de costumes et de perruques sont très rapides, grâce à une équipe technique d’une grande efficacité. Plusieurs scènes sont magnifiques : la première rencontre avec le commanditaire de l’œuvre qui parle sans arrêt, les promenades de Fanny dans différents lieux verts de la Ville Lumière, la discussion avec le psychothérapeute du chien et cette scène au son d’un remix infernal de Sweet Surrender de Sarah McLachlan, où la voie ferrée qui défile sous nos yeux vers l’infini se transforme en un effet de lumières dignes des grandes boîtes de nuit. Seul petit bémol, même si le spectacle a connu plusieurs coupures, on sent vers la fin que le destin des deux personnages principaux s’étire légèrement. Mais rien pour provoquer l’ennui et enlever l’admiration que l’on porte à ce spectacle et à son créateur.
Assister à une création de Robert Lepage est toujours une expérience théâtrale unique, fascinante, enivrante, que même des milliers de mots, à mon avis, ne pourraient expliquer clairement. Une seule solution : si vous en avez la chance, ne la manquez pas.
16-04-06