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Du 15 avril au 10 mai 2008
Supplémentaire 13 mai 2008

L'imprésario de Smyrne

Texte de Carlo Goldoni
Traduction de Marco Micone
Mise en scène de Carl Béchard
Avec François Arnaud, Emmanuel Bilodeau, Catherine B. Lavoie, Sophie Cadieux, Pierre Chagnon, David-Alexandre Després, Sébastien Dodge, Sylvie Drapeau, Robert Lalonde, Rénald Laurin, Pascale Montpetit, Alain Zouvi


Les triplettes de Venise  
Nous sommes au milieu du 18e siècle. De toute l’Italie des jeunes gens sans le sou viennent tenter leur chance à Venise, où les théâtres se multiplient : chanteurs mégalomanes, cantatrices sans scrupules, poètes miteux, directeurs rapaces, aristocrates pervers. Avec humour et cruauté, Goldoni décrit en touches vives l’univers baroque de l’opéra vénitien, avec ses divas et ses castrats, ses Farinelli et ses prima donna. Il croque les silhouettes et les intrigues de ce petit monde qui est sans cesse en représentation. Ainsi, en plein carnaval, un imprésario turc est jeté parmi ces fauves. Sera-t-il de force à lutter? Ou sortira-t-il vainqueur de cette vaste mascarade? L’Imprésario de Smyrne est la peinture débridée d’un monde implacable et du plus haut comique, où les egos sont monstrueux et l’argent, la seule et unique valeur. Et Carlo Goldoni de nous entraîner ainsi dans un pétaradant tourbillon de joie, de disputes et d’inventions verbales qui font encore tout son charme irrésistible. Pièce naguère peu connue parmi les deux cent dix et quelque qu’il a signées, redevenue célèbre grâce à la production du grand cinéaste et metteur en scène Luchino Visconti, L’Imprésario de Smyrne est un chef-d’oeuvre de drôlerie, de rapidité, d’inventions multiples et de rythme soutenu. À cet univers de petits chanteurs sans talent, mais au charme irrésistible, qui n’ont que la ruse pour survivre, Goldoni adjoint de savoureux personnages d’un pur théâtre, où le carnaval devient le lieu du réel et la vérité, un masque redoutable pour qui sait l’utiliser. Sylvie Drapeau, inoubliable dans La Locandiera, revient, encore plus pétulante et vive, rivaliser de ruse et gouaillerie auprès des deux autres Castafiore narcissiques et vaniteuses incarnées par Sophie Cadieux et Pascale Montpetit, dont la malicieuse et ricaneuse Toinette de Molière nous fait sourire encore. D’ailleurs, Carl Béchard, brillant chef d’orchestre du Malade imaginaire, retrouve ici une partie de son équipe ébouriffante pour cette production estivale à souhait, qui marque le tricentenaire du dramaturge né à Venise en 1707.

Les concepteurs : Geneviève Lizotte / Marc Senécal / Yves Morin / Normand Blais / Jacques-Lee Pelletier
Assistance à la mise en scène et régie : Claude Lemelin

Une production du TNM

Théâtre du Nouveau Monde
84, rue Sainte-Catherine Ouest
Billetterie : 514-866-8668

 

par David Lefebvre

Nous fêtons, en 2008, le tricentenaire de Carlo Goldoni, appelé parfois le «créateur de la comédie italienne moderne», tant il a su dépoussiérer la commedia dell'arte. En 20 ans, l'homme a écrit au-delà de 200 pièces, touchant différents genres - de la tragédie à la comédie, en passant par le drame, la saynète de carnaval et le livret d'opéra. Il est aussi reconnu pour ses écrits sur la théorie théâtrale, intitulés Il Teatro comico - Le théâtre comique. Sa pièce L'Imprésario de Smyrne est un excellent exemple de l'œuvre comique de l'auteur italien. Les personnages qu'il met en scène ne sont pas des monstres, mais des représentants de la noblesse et des gens ordinaires. Son écriture est optimiste, voire humaniste : il défend l'honneur, la civilité et dépeint, avec un ton farceur, les côtés mesquins et les comportements sournois de l'homme et de la femme.

C'est le milieu de l'opéra vénitien du 18e siècle qui est décrit dans L'Imprésario de Smyrne. De jeunes personnes, avec ou sans talent, souvent sans le sou, viennent de toutes les régions d'Italie pour tenter leur chance à Venise la Belle, où les lieux de création pullulent. En plein carnaval, un marchand turc se fait convaincre par un aristocrate de monter, à Smyrne, un opéra. Le mot court rapidement, et tous, malgré l'éloignement et l'endroit, veulent en faire partie. Chassé-croisé, ambition démesurée, on se chamaille, l'égo éclate. Est-ce que le riche Turc aura la force de lutter? Qui l’emportera?

Franche et joyeuse comédie de situation, satire du milieu théâtral et de l'opéra, L'Imprésario de Smyrne, mise en scène par Carl Béchard, est tout à fait lumineuse. On se moque gentiment du caractère et des conditions de l'artiste moderne, de son besoin de séduire, de son égocentrisme, de sa prodigieuse flamboyance. Béchard joue avec tous les atouts disponibles pour nous plonger dans sa vision du récit et de l’œuvre : faux chef d'orchestre battant le tempo devant un orchestre invisible, souffleur omniprésent, interludes chantés - qui met la ravissante voix mezzo-soprano de Catherine B. Lavoie en valeur. Le masque, propre à la commedia, a droit à un clin d'œil lors d'une scène, mais on sent définitivement le côté moderne de l'écriture de Goldoni qui s'éloigne de ce genre pour s'approprier un style plus réaliste. On peut même percevoir un côté Marivaux, ou Feydeau. Mais Béchard s'évertue à conserver certaines répliques en italien ; quelques-unes sont compréhensibles par la force des choses, cela procure, certes, une saveur typique, mais les spectateurs qui ne le parlent pas pourraient sentir une légère frustration à ne pas saisir toutes les nuances des répliques des personnages.

Crédit photos : Yves Renaud

L'équipe de comédiens que le metteur en scène a réunie est absolument parfaite. Le Carluccio d'Emmanuel Bilodeau est hilarant, au caractère démesuré, le Comte Lasca de Robert Lalonde est sage mais rusé, et le Ali, le marchand turc, joué par Alain Zouvi, navigue entre la caricature et le personnage inquiétant, explosif, exotique, très loin de la frivolité italienne. Les trois divas sont absolument savoureuses: la jeune et belle Annina (Sophie Cadieux), un peu maladroite, mais charmante à souhait, la grande chanteuse, jalouse et autoritaire Tognina (Pascale Montpetit), aux manies parfois provinciales, et la séductrice impénitente Lucrecia (Sylvie Drapeau) qui réussit à mettre dans sa poche tous les hommes qui la regardent, sans pousser une seule note de musique. Le jeu de Drapeau colle admirablement bien au personnage : elle joue sur la rythmique et la musicalité de sa voix, et déploie tous les charmes de son corps à outrance, jusqu'à l'absurdité, pour le plus grand plaisir de tous. La femme, ici, est indépendante (sauf financièrement), érotisée, libertine, désordonnée. Mais tous les personnages, hommes comme femmes, sont poussés par l'opportunisme, et par un seul intérêt : l'argent.

La traduction de Marco Micone du texte original est une version assouplie, tonique, actuelle. Les costumes, blanc, crème et or, de Marc Senécal sont magnifiques, osant quelques couleurs seulement à l'arrivée du marchand turc. Le décor de Geneviève Lizotte est massif mais épuré : façades beige-jaune de chaque côté de la scène, sol en céramique turquoise, et au fond, trois rangées de vagues, symétriques, en aileron de requin. La musique originale d'Yves Morin est un bel hommage à Verdi et à l'opéra en général, et donne une couleur gaie au spectacle.

Très réussi, le burlesque Imprésario de Smyrne nous fait passer d'excellents moments, en attendant le grand événement Arlecchino (à la Place des Arts du 7 au 11 mai 2008).

19-04-2008